23 mai 2024

Temps de lecture : 8 min

Magali Florens (Udecam) : « Des solutions concrètes doivent optimiser le référencement de la presse dans tous ses formats »

Magali Florens est directrice générale de l’Udecam depuis fin 2023. L’ancienne patronne d’agence médias (Mindshare et OMD) détaille les actions que l’Udecam va mettre en place pour que la publicité trouve sa juste place dans le financement de la presse d’information et que ce média réussisse à optimiser son référencement face aux plateformes dans les plans digitaux.

Udecam Magali Florens publicité presse française

INfluencia : le colloque Démocratie, information et publicité, organisé par l’Udecam et l’ACPM, voulait mettre en lumière l’importance de la publicité dans le modèle économique de la presse d’information et, de ce fait, pour le pluralisme des médias et de la démocratie. Objectif atteint ?

Magali Florens : le colloque a rempli son premier objectif d’éclairage et de prise de conscience collective, de front uni des agences et des médias pour aider la presse à optimiser son référencement. C’était la première fois que j’entendais différents éditeurs français exprimer aussi clairement et avec force l’importance de la publicité dans leur modèle économique. Après cette prise de parole entre professionnels, j’appelle d’ailleurs à ce qu’ils partagent cette conviction dans leurs pages à destination du grand public. Les agences médias doivent aussi reconnaître leur part de responsabilité dans l’évolution de l’allocation des moyens, de plus en plus favorable aux plateformes. La presse d’information et l’édition n’ont pas la juste proportion des investissements qui devraient leur revenir compte tenu de leur part d’audience. Leurs sites représentent 37 % des impressions dans l’univers du display tel qu’il est mesuré par Médiamétrie//NetRatings mais il n’y a que trois acteurs français issus de la presse dans le top 10 : 366, Le Figaro et Ouest-France. Cette part d’audience se compare aux 41 % de parts d’investissements reportés par l’Observatoire de l’e-pub SRI-Udecam-Olivier Wyman et donc un manque à gagner à quelque 100 M€. C’est une somme importante, qu’il faut toutefois rapporter à un marché du display valorisé à 1,8 Md€ en 2023, à des investissements publicitaires dans la presse qui représentaient 3 Md€ en 2012 mais n’étaient plus que de 1,8 Md€ en 2022, selon le Baromètre unifié du marché publicitaire (Bump). Et aussi aux 548 M€ investis en digital dans les sites d’info et des éditeurs, un montant qui a baissé de 6 % en 2023.

Ce ne sont pas les médias français qui décrochent, mais les sites de médias issus de la presse écrite

IN : cette baisse des investissements dans les sites des éditeurs de presse, très inhabituelle sur le marché de la pub digitale, est-elle principalement la marque du rouleau compresseur des grandes plateformes ?

M.F. : Le trio Google-Meta-Amazon (GMA) capte l’essentiel de la croissance mais l’Observatoire de l’e-pub montre que certains modèles de médias français parviennent aussi à surfer sur la tendance avec succès : la vidéo, l’IPTV des broadcasters, l’audio… Ce ne sont donc pas les médias français qui décrochent, mais les sites de médias issus de la presse écrite. Il ne s’agit pas de se positionner contre les plateformes mais d’aider les marques de presse françaises à garder une place importante dans les plans médias et à se faire référencer a minima au niveau de leur audience.

IN : lors du colloque, trois ateliers ont justement été annoncés…

M.F. : les sujets des ateliers et les thématiques identifiées sont le résultat direct des freins exprimés par les agences sur la difficulté à recommander les marques médias historiques dans les plans. Au-delà de la puissance ou de coûts au contact peu chers sur YouTube et les réseaux sociaux, il y a chez les plateformes une simplicité d’utilisation par rapport à la complexité d’achat des sites des éditeurs français, d’autant qu’ils ne sont pas agrégés. De façon individuelle – même avec les plus importantes d’entre elles – les marques de presse n’arrivent pas au niveau de couverture que permettent les réseaux sociaux. L’atelier sur la plateformisation des médias français vise à faire travailler les opérationnels des agences et des médias sur des solutions en termes d’outils, d’agrégats, d’interopérabilité… afin qu’il soit beaucoup plus simple d’acheter une audience puissante parce qu’agrégée. C’est un gros chantier qui nécessitera un investissement de la part des éditeurs. J’espère que leur engagement à essayer d’inverser la tendance les fera considérer l’importance de cet investissement dans la commercialisation de leur inventaire.

L’atelier sur la plateformisation des médias français fera travailler les opérationnels des agences et des médias sur différentes solutions pour qu’il soit beaucoup plus simple d’acheter une audience puissante parce qu’agrégée

IN : pourquoi consacrer un autre atelier à la pédagogie, à l’information et à la connaissance de ces inventaires de presse ?

M.F. : à part les équipes du publishing, peu de planneurs et d’acheteurs en agence connaissent les contenus éditoriaux, les performances ou la contribution en termes d’efficacité de ces marques. C’est également un sujet chez les annonceurs. En agence, les départements de planning et d’achat de la presse, en print et en digital restent très souvent séparés alors que les acheteurs « screen » opèrent désormais sur la télé et la vidéo. Les acheteurs radio interviennent également de façon holistique sur l’audio digital… Avec cet atelier Pédogogie/Formation, nous visons plusieurs publics pour espérer développer le chiffre d’affaires des marques de presse sur le digital.

IN : lesquels ?

M.F. : les équipes publishing, qui proposent très rarement les formats digitaux des marques de presse qu’ils recommandent sur le papier. Cette cible doit être formée et outillée car il est plus compliqué d’acheter les versions digitales en complément du papier, contrairement à ce qui se passe par exemple avec l’audio. Les acheteurs screen seront sans doute plus difficiles à convaincre parce que les plans TV sont généralement complétés par de l’inventaire issu de YouTube, des plateformes AVOD et SVOD des diffuseurs, éventuellement des réseaux sociaux, mais rarement par des sites éditoriaux. La plateformisation de l’inventaire des éditeurs jouera peut-être un rôle pour construire une offre suffisamment puissante qui démontrera qu’elle contribue à gagner des points de couverture par rapport à des plans vidéo dans les autres univers. La troisième cible se situe chez les acheteurs digitaux, qui pour la plupart ne connaissent pas du tout les marques de presse. Ces jeunes, peu consommateurs de presse mais férus des réseaux sociaux, ont vraiment besoin d’être formés. Nous avions d’ailleurs demandé aux patrons d’agences média de convier au colloque leurs équipes digitales pour qu’elles puissent prendre conscience de l’importance de la presse pour le pluralisme, la démocratie et l’importance de la presse en termes d’audience.

L’atelier Pédogogie/Formation doit permettre de développer le chiffre d’affaires des marques de presse sur le digital. Nous visons plusieurs publics : les équipes publishing, les acheteurs screen et les acheteurs digitaux

IN : les différentes études économétriques publiées ces dernières années détaillent pourtant l’efficacité des différents médias à court et plus long terme, sur les ventes, le branding…

M.F. : le troisième atelier est justement consacré à l’efficacité au sens large car je ne suis pas sûre que ce qui a été fait jusqu’à présent soit suffisant. Des études ont été commandées à Ekimetrics par le SNPTV pour la télé, par l’ACPM pour la presse, par le Bureau de la radio pour l’audio… Toutes donnent des résultats différents parce que le panel d’annonceurs et de marques testées est différent d’un chantier à l’autre : auto-luxe pour la presse, grande conso pour la télé… Je reconnais que je suis un peu puriste mais il est difficile de se référer à à des chiffres qui diffèrent selon les sources. Sur l’efficacité, il y a aussi un vrai sujet de contexte, qui n’a pas fait l’objet à ce jour d’importants travaux. Soit pour démontrer la contribution positive d’un contexte éditorial d’info ou de site d’édition sur les messages de marque ou, a minima, de démontrer qu’il n’y a pas d’impact négatif. Cette démonstration pourrait avoir un vrai effet sur les block lists.

Le troisième atelier est consacré à l’efficacité au sens large. Il y a sur ce sujet un vrai sujet de contexte, qui n’a pas fait l’objet à ce jour d’importants travaux

IN : ces blocks lists font perdre d’importants revenus, indiquent les éditeurs. Où en est votre réflexion sur le sujet ?

M.F. : l’Udecam, les éditeurs, le SRI, les mesureurs ont interrogé beaucoup d’AdTech sur les block lists. Personne n’est capable de dire à quelle hauteur les enchères ne sont pas lancées à cause de mots-clés d’exclusion. Les mesureurs ne sont pas non plus en mesure d’isoler ce qui est rejeté du fait de la fraude, de la brand savety ou de la brand sustainability. Nous avons lancé avec l’Apig un chantier pour nettoyer les block lists des agences et les alléger. L’Union des marques dit – à raison – que l’on ne pourra pas empêcher les annonceurs de rejeter des contextes qu’ils jugent inappropriés à côté de leurs messages de marque. Mais, si on arrivait à démontrer que ces contextes n’ont pas d’impact négatif, j’ose espérer que cela contribuerait à faire tomber un certain nombre de freins, donc de mots clés d’exclusion et à faire revenir des inventaires dans les DSP. On n’a jamais prouvé l’impact non négatif du contexte. En revanche, jamais un client ne m’a dit qu’il ne voulait pas être dans l’écran juste avant le JT de 20 heures où il peut pourtant être question de guerre et de différents sujets rejetés par les block lists. Hervé Ribaud, directeur média d’Intermarché, faisait d’ailleurs remarquer lors d’un webinar que ce dont parle l’information, c’est souvent ni plus ni moins que la vie de ses clients.

En commençant à travailler très rapidement, nous pourrons produire des recommandations, initier des chantiers de développement d’outils, construire des formations… Ces solutions concrètes donneront idéalement toute leur puissance en 2025. On n’a plus le temps de prendre un an à discuter.

IN : dans quel calendrier s’inscrivent ces trois ateliers ?

M.F. : nous voulons les lancer avant l’été. En commençant à travailler très rapidement, nous pourrons produire des recommandations, initier des chantiers de développement d’outils, construire des formations… Beaucoup de personnes en agence ont annoncé vouloir participer aux ateliers. Ce travail de pédagogie et d’ouverture des chakras des jeunes en agence doit leur permettre de prendre conscience que cela accélère trop rapidement sur les plateformes par rapport aux autres médias. Nous avons tous envie d’accélérer sur des solutions concrètes qui optimiseront le référencement de la presse et qui, idéalement, donneront toute leur puissance en 2025. C’est ambitieux mais on n’a plus le temps de prendre un an à discuter.

IN : l’urgence convaincra-t-elle les acteurs à dépasser les divisions que l’on observe parfois dans le secteur de la presse ?

M.F. : aujourd’hui, il faut que tout le monde se serre les coudes, comme il a été démontré lors du colloque. Editeurs, agences, annonceurs ont accepté de témoigner ensemble. Il faut adresser concrètement les raisons de la domination des plateformes par rapport aux marques médias françaises, en termes de performance et d’audience, de facilité d’accès. Le Figaro ou Prisma Media sont des groupes extrêmement puissants avec des inventaires formidables, mais cette puissance est toute relative par rapport aux plateformes et cela ne suffit pas. Surtout si cela s’accompagne de difficultés à acheter, d’un ticket d’entrée premium…

IN : un autre argument est parfois avancé : les marques globales qui décident de plus en plus au niveau mondial la répartition de leurs plans de communication. Quelle est l’étendue du phénomène et quelle marge reste-t-il aux agences médias en local ?

M.F. : il faudrait en effet quantifier ce que représente aujourd’hui le poids des hubs… Tous les annonceurs internationaux ou européens n’ont pas encore été impactés, mais cette tendance prend de l’ampleur. Sur les clients internationaux, ces hubs regroupent de plus en plus des équipes conseil et achat sur le programmatique (display, social et search), qui opèrent pour le compte d’une région ou d’un ensemble de pays à partir de l’étranger. Beaucoup à Londres, souvent aux Pays-Bas et parfois en Scandinavie. Pour des raisons de charges sociales et de coût de la prestation, la constitution d’équipes de coordination internationale dans un hub échappe souvent à la France, même si les équipes internationales des grandes marques françaises restent à Paris ou en France. Ces hubs installés à l’étranger regroupent des équipes qui ne connaissent pas beaucoup ou pas du tout les médias français, vont droit au but et référencent prioritairement les plateformes internationales dans les trading desks. Les ateliers Plateformisation et Pédagogie/Education doivent également intégrer les équipes qui gèrent le client et assurent le lien avec les hubs, pour qu’ils puissent avoir une voix et référencer une offre de médias français avec une puissance et une simplicité d’achat.

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