6 mai 2024

Temps de lecture : 9 min

Frédéric Raillard (F&F) : « Créer [Ai]magination nous a permis de démontrer que l’IA générative bien utilisée était un allié majeur, et non pas un monstre ».

Frédéric Raillard co-fondateur de Fred & Farid, lançait Aimagination il y a peu et signait le mois dernier un partenariat avec McCANN WORLDGROUP pour deux ans. Une belle aventure pour ce projet innovant qui donne à découvrir ce que l’humain est capable de faire à partir de l’IA générative. Une démonstration brillante de ce que le désir d’épouser le progrès peut donner de mieux. Interview.

ChatGPT

INfluencia : Vous préférez mettre le Creative Studio en avant plutôt que vous personnellement, pourquoi ?

Frédéric Raillard : je préfère que ce soit le studio [Ai]magination qui s’exprime, en tant que collectif. Il est important de ne pas personnaliser cette entité, et de bien la distinguer du groupe Fred & Farid. Notre objectif est de travailler directement avec les marques, mais aussi avec les agences et même les productions traditionnelles. Nous développons [Ai]magination dans un esprit humble, collaboratif, pacifique, non-conformiste et libre.

IN. : Pouvez-vous, malgré vos réserves, nous expliquer l’histoire de [Ai]magination ? Ce site que l’on peut ‘feuilleter’ pendant des heures… Comment est né ce projet ?

Fr.R : pour être honnête, l’arrivée de Chat GPT m’a impactée très négativement au départ. J’étais en Californie où tout commence en matière de tech, et la première chose que j’ai demandé à l’IA, mon premier prompt, était un dialogue entre une vieille Porsche et une jeune Tesla… et j’ai découvert avec stupeur la créativité de la machine. J’ai texté mon ami le réalisateur Tony Kaye pour lui en parler. Il m’a dit n’avoir aucune intention de devenir Artiste IA. Je lui ai envoyé deux dialogues (mes second et troisième prompts) : le premier dans lequel son épouse lui reprochait d’accorder trop de temps à son art, le second dans lequel Tony se battait contre les studios sur le montage de American History X, les deux tellement pertinents et réalistes. Il m’a appelé aussitôt.

C’était ‘Game Over.’

Les concepteurs, les rédacteurs, les créatifs, la création… Le monde n’avait plus besoin de nous. Et honnêtement je suis passé par tous les états; déstabilisé, bouleversé, choqué, triste, énervé, déprimé, en colère, puis fataliste, un peu résigné, cynique même.

Quelques mois plus tard, je suis allé en Chine, retrouver mon grand ami et associé Feng Huang qui organisait une grande exposition intitulée [Ai]magination, rassemblant une centaine d’artistes internationaux d’IA générative.

Tout d’abord j’ai adoré le nom. Référence directe au ‘/imagine’ de Midjourney… simple, central, mais surtout c’est la quintessence de ce sujet; une redéfinition de l’imagination, et c’est bien de celà qu’il s’agit, pas moins. Je l’ai fait déposer immédiatement.

Notre industrie peut résister à une technologie disruptive qui promet un résultat moins cher, ou un résultat plus rapide, ou un résultat meilleur… mais comment résister à une nouvelle technologie qui promet ‘mieux, plus rapide et moins cher’?

D’une certaine façon on peut dire que ce projet est né d’un refus de déni de réalité. Il vaut mieux accepter la réalité et réagir en conséquence, plutôt que de se voiler la face et en subir les conséquences.

IN. : Quelle a été la première ambition de [Ai]magination ?

Fr.R : J’ai rencontré beaucoup d’artistes IA, qui faisaient des choses géniales avec des logos Louis Vuitton, Nike, Balenciaga ou Dior, mais qui de toute évidence ne comprenaient rien aux marques, aux territoires de communication, aux ‘brand purposes’. De l’autre côté, notre industrie regorgeait de talents qui comprenaient les marques mais avaient peur des prompts, qui remettaient en question leur processus créatif, leur façon de produire, et d’une certaine façon leur confort au travail.

Il paraissait évident qu’il manquait un lieu ou les deux cultures pouvaient vivre harmonieusement ensemble, avec des talents créatifs reconnus, mais passionnés par les possibilités créatives infinies de ce nouvel outil. Et ayant beaucoup d’amis côté marketing chez les marques, je savais à quel point ils travaillaient sous une pression de plus en plus intense, pour délivrer toujours plus de résultats avec des budgets de plus en plus restreints. L’idée de leur proposer un studio qui les comprenne parfaitement, mais surtout qui sache répondre à leurs besoins les a enthousiasmé immédiatement.

En interne auprès des créatifs de Fred & Farid il s’agissait ensuite de désamorcer les peurs et les résistances par lesquelles moi-même j’étais passé, de démontrer que l’IA générative bien utilisée était un allié majeur, et non pas un monstre. Ou un peut être un monstre, mais à notre service.

IN. : Cela a-t-il été difficile de désamorcer les peurs, justement ?

Fr.R : J’ai fait un recrutement interne, un spin-off de Fred & Farid, et sans surprise, l’Atlantique (Paris/New York) a résisté, tandis que le Pacific (Los Angeles/Shanghai) a foncé. C’est une question de culture face à l’innovation. Nous avons donc commencé avec une équipe Sino-Californienne, mais depuis les autres bureaux nous ont rejoints, et [Ai]magination existe bien dans les quatre villes.

En fait, il faut plonger, comme dans les rêves. Quand vous voyez un monstre, si vous avez peur et que vous fuyez, le monstre grossit. Si vous vous approchez, que vous lui tendez la main, il redevient petit, et gentil.

IN. : Et comment avez-vous commencé à travailler ?

Fr.R : Ma première pensée était ‘L’IA générative, tout le monde en parle, mais personne n’en fait.’ Les Gourous IA pullulent sur LinkedIn, mais que produisent t-ils? Donc le mot d’ordre que j’ai donné à l’équipe : ‘On va faire l’inverse. On va humblement produire des centaines de milliers d’images et des dizaines de films, avec la plus grande variété de styles. On va essayer le maximum d’IA en open-source, et surtout ne rien poster, ne rien dire pendant un an.’ Nous avons passé des centaines d’heures sur des Chats obscurs sur Reddit, Discord et autres, pour récupérer les ‘flags’ (‘modifiers’) ou les ‘trics’ pouvant enrichir nos prompts, les essayer, et se faire notre propre opinion. Même moi qui suis le plus nul de la bande, j’ai généré plus de 10,000 images, étape indispensable pour diriger une équipe de prompters.

Donc on s’est tous mis au travail, dans un esprit hyper-collaboratif, avec la ferme intention de créer une culture. L’IA générative, c’est facile à comprendre, mais difficile à pratiquer. Ça demande du temps et de la volonté. On a passé un an, comme des chercheurs dans un laboratoire, à humblement tout expérimenter, pour se faire notre propre opinion, créer notre propre méthode, et huiler les rouages de notre petite équipe. On a aussi dès le début, travaillé avec des avocats spécialisés de New-York et de Shanghai pour bien comprendre les enjeux légaux et éthiques indispensables à comprendre sur ce sujet. Et enfin, nous avons travaillé avec nos financiers et nos copains CFOs côté marques pour définir une grille tarifaire juste, gagnant-gagnant pour le studio et pour les marques.

C’est très difficile de créer une culture nouvelle, sérieuse, crédible, opérationnelle pour les marques, au croisement de la création publicitaire et de la technologie. Je vois parfois des studios qui se présentent tel quel, mais qui sont en réalité des acheteurs d’art représentant des artistes IA isolés, souvent même pas en exclusivité. Et je vois aussi des prompters qui s’improvisent publicitaires, sans comprendre qu’il faut au moins 10 ans dans la publicité pour comprendre ce qu’est une idée, et plus longtemps encore pour être capable de trouver une bonne idée. Un concepteur médiocre restera toujours un concepteur médiocre, avec ou sans IA.

IN. : Vous étiez en ‘warrior mode’ en quelque sorte en générant intensivement jours et nuits sur vos machines?

Fr. R. : On peut dire ça, oui. Nous avons généré plusieurs centaines de milliers d’images (les compteurs sur les outils permettent de comptabiliser), finalisé ensuite 500 séries et une cinquantaine de vidéos… puis tué 300 séries et 30 vidéos, pour ne conserver au final que 200 séries et une vingtaine de films… soit un total de 4000 assets que nous avons uploadés sur notre website (aimagination.com). La curation est une partie essentielle de l’IA générative, et il est primordial de ne pas être complaisant.

Et c’est uniquement après tout ce travail que nous nous sommes autorisés à communiquer notre existence dans les médias, et une seule fois.

IN. : En fait, ce nouvel outil vous l’avez utilisé comme des artistes qui testent des techniques, des matériaux dans la vraie vie. C’est là qu’est le secret de ces images incroyables sur votre website ?

Fr. R.: On peut dire ça aussi, oui. Je crois que la raison pour laquelle nous sommes si rapidement devenus le premier studio IA de notre industrie, c’est que paradoxalement nous ne respectons pas la technologie. L’expression est forte, mais elle est juste; nous n’avons aucun respect pour la technologie. Nous sommes convaincus que la guitare électrique a décollé le jour où Jimmy Hendrix a joué avec ses dents et a brûlé sa guitare. Elle ne l’impressionnait pas. Il dominait la machine. Elle n’était là que pour servir sa volonté artistique. Chez [Ai]magination, notre combat, c’est de garder toujours l’intelligence artificielle au service de l’intelligence humaine. Et donc, comme des artistes, nous en détournons en permanence l’usage, la façon de faire, l’esprit initial, pour tendre vers toujours plus de créativité, tout en gardant toujours en tête la pertinence de nos séries pour les marques.

IN. : Sur votre site ‘aimagination.com,’ on comprend que chaque série a son propre univers, alors que beaucoup évoquent les dangers d’une uniformisation des contenus.

Fr.R. : Oui c’est très juste. Étonnement c’est tout le contraire qui se produit. Si vous regardez notre site, il y a effectivement tous les styles, tous les arts, toutes les techniques; photos, sculpture, dessins, gravures, illustrations, peintures, films, animations, design, architecture, produits… mais surtout, l’un des phénomènes les plus intéressants que j’ai pu observer, c’est que d’un prompter à l’autre on devine vraiment l’humain, l’artiste qui est derrière… Je dirai même qu’à l’inverse de tout ce qui se dit, l’IA générative agit comme un révélateur de la personnalité des auteurs, un révélateur de leur sensibilité.

IN. : Pensez-vous du coup, que cette guerre ‘Humain vs IA’ n’a pas lieu d’être ?

Fr. R. : Si, car malheureusement cette guerre est bien réelle, et est probablement l’enjeu n°1 de notre génération. La machine est en train de se substituer à l’homme dans de plus en plus nombreux domaines. L’impact de l’IA sur la société de services est analogue à l’impact de l’industrialisation sur le monde ouvrier au 20e siècle, qui n’avait pas ému grand monde à l’époque.

Dans notre industrie, tous les métiers vont être touchés. Sam Altman a déclaré que l’IA pourra gérer 95% de ce que font les marketeurs, les agences, les stratèges et les créatifs. Les premiers à être touchés sont les producteurs. Et je vois concrètement à quel point mes copains de la prod sont déjà impactés. Sincèrement, ça me fait de la peine, et je pense qu’il est de la responsabilité des agences de continuer à travailler avec les prods traditionnelles.

La Silicon Valley est très cynique. Elle est dans une course effrénée à la performance. Et les conséquences humaines sont déjà désastreuses. Il faut en être conscients, mais cela ne doit en aucun cas nous pousser à résister au phénomène, car la résistance est vaine. Le seule attitude viable, c’est d’épouser l’IA, de travailler avec elle au maximum, et d’essayer de définir une voie médiane dans laquelle l’humain a encore un rôle central à jouer.

C’est le sens profond du projet [Ai]magination, notre ‘sense of purpose. Ce qui nous anime c’est l’idée de travailler à construire une société dans laquelle l’humain reste au centre. À notre petite échelle, notre raison d’être est de construire cette société dans laquelle les jeunes continuent à créer, avec une IA qui amplifie leur champ d’expression. Il ne s’agit pas d’annihiler les qualités humaines, mais bien de les exacerber; l’émotion, le sens du beau, l’intuition, l’instinct, l’imperfection, la spiritualité, la conscience… voilà un trésor qui mérite que l’on se batte.

IN. : dans votre manifesto sur votre website, vous décrivez l’IA générative comme étant ‘better, faster, cheaper,’ mais vous prévenez aussi qu’il ne s’agit pas seulement de cela…

Fr.R: oui le ‘faster, cheaper’ n’excite que les services achats. Mais le vrai sujet, le beau sujet, c’est que notre imagination n’a plus aucune limite. Il n’y a rien qu’on ne puisse produire en AI aujourd’hui pour les marques. Tout est possible, rien n’est impossible. Et notre seule limite devient notre imagination. C’est vertigineux, et beaucoup perdent leurs moyens face à une telle puissance.

IN. : est-ce cette vision qui a convaincu McCann Worldgroup de signer un partenariat avec vous ?

Fr.R.: c’est un projet IA, mais étonnement c’est avant tout une histoire humaine, qui a commencé avec Julien Calot, aujourd’hui CCO de McCann Paris. Julien a commencé dans la pub avec moi; il avait un portfolio d’artistes avec beaucoup de peintures et pas de publicité. Personne ne l’avait embauché, et je l’avait embauché sur le champ. Je sentais son énergie, sa passion, sa pureté, son originalité, son imagination; le reste, c’est technique, ça s’apprend. 15 ans plus tard, c’est lui qui m’a présenté Daryl Lee, le Global CEO de McCann Worldgroup, qui d’une certaine façon m’a embauché sur le champ aussi. Karma? C’est la preuve qu’au cœur de l’une des aventures les plus tech de notre industrie, il y a encore le facteur humain, et il est déterminant. C’est porteur d’espoir.

IN. : vous êtes les premiers ?

Fr.R. : difficile de connaître toutes les initiatives de l’IA générative au service des marques dans 180 pays… mais ce qui est certain c’est que nous sommes les premiers à le faire si sérieusement, si massivement, si artistiquement, si internationalement, et avec des grands talents créatifs reconnus de l’industrie publicitaire. C’est pour cela que nous avons eu un si grand écho mondialement.

Mais cela n’a pas vraiment d’importance d’être les premiers ou pas, ce qui compte c’est d’être les meilleurs au services des directions marketing et des marques, et de pratiquer une IA générative en conscience. C’est du sérieux. On ne joue pas. On construit les bases de la société de demain.

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