« Nous vivons dans une société irréaliste, irraisonnable et irresponsable », Gérard Mermet (Francoscopie)
Sociologue et fondateur du cabinet « Francoscopie », Gérard Mermet a du mal à voir les choses en rose, lui qui se revendique pourtant être un « optimiste par obligation ». Entretien...
INfluencia : Lors de notre dernier entretien, vous nous aviez déclaré que nous pouvions « ensemble, réparer le monde et permettre aux générations futures de l’habiter ». Êtes-vous toujours aussi optimiste ?
Gérard Mermet : Je me suis fixé, il y a longtemps déjà, un devoir d’optimisme mais c’est vrai que lorsqu’on pose un regard objectif sur le monde qui nous entoure, on ne voit pas énormément de raisons d’être optimiste.
IN. : Comment résumeriez-vous l’année 2024 ?
G. M. : 2024 est une année de grand écart. Nous avons connu quelques bonnes surprises comme la réouverture de Notre Dame et les Jeux olympiques de Paris qui se sont déroulés parfaitement alors que beaucoup prédisaient une catastrophe. Mais tous ces événements ont été entrecoupés de nouvelles plus inquiétantes comme les élections européennes, les législatives et la dissolution. Nous sommes aujourd’hui en plein marasme.
IN. : Comment résumeriez-vous le climat actuel ?
G. M. : Nous vivons aujourd’hui dans le monde des « 3i ». « I » comme irréaliste car beaucoup persistent à lutter contre des chiffres qui sont indéniables. « I » comme irraisonnable car personne ne raisonne clairement de nos jours. Et « I » comme irresponsable comme le prouve sans cesse nos leaders politiques et nos députés qui ne parviennent pas à se mettre d’accord à l’Assemblée nationale sur des sujets pourtant cruciaux. Il est, par exemple, évident que le problème de la dette restera insoluble si l’Etat ne fait pas d’économies et/ou augmente certaines taxes. On devrait également trouver une solution sur les retraites mais des esprits fous continuent de réclamer la retraite à 60 ans. Des chiffres indéniables montrent également que les Français sont ceux qui travaillent le moins aussi bien chaque mois, que chaque année et durant toute leur carrière, mais personne ne veut toucher au temps de travail. Dès qu’on parle de réforme dans ce pays, des critiques affirment qu’on franchit une ligne rouge et rien ne bouge. Notre pays devrait tout faire pour être plus efficace. Il faudrait inscrire sur les frontons de nos mairies : « Liberté, Egalité, Fraternité, Efficacité ».
IN. : Comment en est-on arrivé là ?
G. M. : Le Covid a certainement accéléré certains phénomènes qui existaient depuis plusieurs années. Notre société est entrée dans un processus d’autodestruction. Beaucoup de gens baissent les bras et ne font plus rien. Il existe un réel sentiment d’impuissance et de sidération dans notre pays. Au lieu de penser au bien commun, nos soi-disant responsables politiques cherchent seulement à réaliser le meilleur score possible en 2027 et à avoir une meilleure place que celle qu’ils occupent actuellement.
IN. : Notre société continue donc de se scinder de plus en plus…
G. M. : Effectivement. Je le dis depuis longtemps mais il existe trois France.Les tranquilles sont ceux qui ont de l’argent, un bon réseau et une santé robuste. Ces gens-là voient l’avenir sans crainte. Les agiles peuvent être touchés par la crise mais ils savent qu’ils peuvent rebondir et s’adapter. Les fragiles sont, comme leur nom l’indique, plus sensibles aux récessions et leur nombre ne cesse de se développer. Les inégalités matérielles et culturelles dans notre pays se creusent également.
IN. : L’instabilité politique semble aussi s’être emparée de notre pays…
G. M. : En effet. Je souhaiterais être porteur de bonnes nouvelles mais nous avons affaire, comme je vous l’ai dit, à des gens irréalistes, irraisonnables et irresponsables. Ils vont devoir prendre conscience de la nécessité de changer leurs habitudes. Une révolution culturelle s’impose. J’espère qu’un sursaut va se produire sinon la France va se retrouver sous tutelle comme la Grèce l’a été dans le passé. Si cela devient le cas, le FMI imposera ses règles à notre pays. Les salaires et les retraites devront être diminués. En Grèce, les chutes ont atteint 25%. En France, c’est déjà la révolution quand on parle d’une réduction de 2%…
IN. : Quel avenir prédisez-vous à notre nouveau gouvernement ?
G. M. : L’atmosphère n’est pas très bonne. François Bayrou a déjà pris quelques décisions malheureuses notamment concernant son voyage à Mayotte et la lenteur avec laquelle il a formé son gouvernement.
IN. : Le président va-t-il terminer son mandat ?
G. M. : Emmanuel Macron va tout faire pour résister jusqu’au bout car il ne veut pas rester dans les livres d’histoire comme l’exemple politique à ne pas suivre. Par contre s’il reste, il va devoir s’habituer à inaugurer les chrysanthèmes et à visiter les lieux frappés par des catastrophes naturelles car il ne pourra rien faire d’autre.
IN. : Marine Le Pen a-t-elle une chance de devenir notre prochaine présidente de la République ?
G. M. : C’est tout à fait possible. Beaucoup de gens ont un comportement autodestructeur et se disent, en pensant voter pour le Rassemblement National, qu’ils peuvent tenter quelque chose qu’ils n’ont pas essayé dans le passé. Beaucoup savent que les solutions proposées par le RN ne fonctionneront pas mais ils sont prêts à tenter.
IN. : Que faudrait-il faire pour enrayer ce mouvement ?
G. M. : Il faudrait notamment que les médias arrêtent de ménager la chèvre et le chou et qu’ils prennent les Français à témoin afin de leur faire comprendre la situation dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Une émission comme « Vive la crise » diffusée en 1984 pourrait servir d’exemple. Par contre, je ne vois pas qui pourrait remplacer Yves Montand pour présenter ce programme. J’ai regardé la liste des 50 personnalités préférées des Français mais je vois mal Omar Sy, Jean-Jacques Goldman et Jean Dujardin jouer ce rôle.
Il faut trouver quelque chose qui réveille les Français. Ils doivent arrêter de penser à eux et réfléchir plutôt à l’avenir de leurs enfants et de leurs petits-enfants. Si rien ne se passe, une rupture pourrait se produire dans notre société voire même une révolte populaire.
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