8 février 2021

Temps de lecture : 4 min

Gérard Mermet : « On se doit de réparer le monde dans lequel on vit »

Sociologue et fondateur du cabinet « Francoscopie », Gérard Mermet vient de publier aux éditions l’Archipel un livre intitulé « Réinventons l’avenir ! ». Ce spécialiste du changement social, qui se définit comme un « optimiste par obligation », espère que la crise sanitaire nous permettra de réinventer l’avenir en mettant en place « un système écolonomique qui fonctionne ». A voir…
INfluencia : cette pandémie semble avoir approfondi les scissions au sein de la société française. Comment analysez-vous la situation actuelle ?

Gérard Mermet : la propagation du coronavirus a été révélatrice et amplificatrice d’une crise qui existait déjà dans notre pays. La société française est clivée. La pandémie a amplifié la fracture sociale et économique qui déchire notre nation. Cette crise qui a réellement débuté avec les gilets jaunes et qui s’est amplifiée lors des manifestations contre la réforme des retraites entretient un climat qui est très délétère. Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut faire quelque chose mais les gens ne parviennent pas à s’entendre sur les mesures qu’il est urgent de prendre. On voit resurgir les clivages entre la mouvance libérale et ceux qui sont plus attirés par le modèle autoritaire comme les Etats-Unis l’ont récemment montré de façon caricaturale lors de l’invasion du Capitole.

IN. : quels sont les deux camps qui s’opposent ?

G.M. : il y a d’un côté les pessimistes, les déclinistes et plus récemment les « collapsologues » qui considèrent que le monde va inéluctablement à sa perte. Ils sont persuadés que la planète traverse une crise sociale, environnementale et culturelle. Leur argumentation est simple : du fait de l’activité humaine, la nature se dégrade à grande vitesse et les espèces vivantes sont menacées. Certaines sont même déjà en voie d’extinction et parmi elles, l’espèce humaine. Ces adeptes de la théorie de l’effondrement pensent que les progrès de la science ne représentent pas une solution mais un danger supplémentaire et une fuite en avant. Face à ce péril, certains se préparent à survivre en se barricadant dans des bunkers remplis de provisions alimentaires, d’armes et de munitions.

IN. : quel est l’autre camp ?

G.M. : les optimistes. Il en existe deux types bien distincts. Les optimistes par nature pensent que les choses finissent par s’arranger et que l’histoire du monde montre que la société parvient toujours à trouver une solution à ses problèmes. Ils font confiance à la science et à l’innovation et considèrent qu’elle sera en mesure de relever les défis de l’avenir. Ils comptent sur l’intelligence individuelle et collective et considèrent la mondialisation comme un moyen utile de rapprocher les peuples. Les optimistes par obligation, dont je fais partie, estiment qu’ils ont le devoir d’être optimistes. Comme le disait le philosophe Alain, l’optimiste est de volonté et le pessimiste est d’humeur. Les pessimistes sont un frein alors que les optimistes sont un moteur, mais aujourd’hui, il y a de plus en plus de pessimistes. Les mutants sont, par nature, des optimistes actifs. Ils veulent participer à l’invention de l’avenir. Les mutins sont, eux, nettement plus pessimistes et se rebellent contre les changements.

IN. : qui a raison aujourd’hui ?

G.M. : tout le monde a raison. On peut comprendre le comportement des pessimistes et leur raison de l’être. Le monde ne va pas bien actuellement. Mais il reste néanmoins des raisons d’espérer. Les prévisions des collapsologues dans le passé ne se sont pas réalisées. On a donc la preuve qu’ils se sont trompés. Mais la nécessité fait loi. On se doit aujourd’hui de réparer le monde dans lequel on vit et pour se faire, nous devons nous réconcilier les uns avec les autres. Nous devons ranger nos sensibilités au vestiaire.

IN. : qui peut lancer ce mouvement ?

G.M. : je pense que la solution viendra plutôt par le bas. Il existe aujourd’hui une telle défiance à l’égard des institutions qu’il va être compliqué pour elles de se faire entendre. Les personnes qui se placent dans l’opposition adoptent également toujours une posture qui ne facilite pas les choses. Il est, de surcroît, difficile d’attendre une solution venant du haut à un an des prochaines élections présidentielles. Les gens ont donc besoin de sortir de leur état léthargique pour que le mouvement s’amorce. Des voix s’élèvent chez les grands acteurs politiques, économiques et sociaux mais les citoyens ne les entendent pas beaucoup. Il faut sortir des « il faut que » ou des « on doit » et proposer des choses sérieuses. Il est nécessaire d’inventer un système qui emprunte des solutions concrètes venant de tous les bords, y compris des populistes et des révolutionnaires non violents.

IN. : les gilets jaunes ne représentaient-ils pas cette « France d’en bas » qui doit se faire entendre aujourd’hui ?

G.M. : les gilets jaunes avaient une dimension assez réduite. Au début, leurs revendications étaient surtout axées sur le pouvoir d’achat et les impôts. Au fil du temps, ce mouvement est devenu du grand n’importe quoi. Il ne faut pas non plus occulter la dimension sociétale des gilets jaunes qui représentaient surtout la France moyenne inférieure. L’issue à nos problèmes ne viendra pas d’eux mais plutôt d’une classe moyenne plus réaliste et plus responsable. Il est nécessaire de comprendre en premier lieu la situation dans laquelle on se trouve avant de proposer un modèle plus efficace. Mais aucune solution ne pourra être trouvée sans une sorte d’union nationale.

IN. : la crise ne rend-elle pas cette éventualité encore plus improbable ?

G.M. : au contraire. La crise peut être bénéfique et représenter une réelle opportunité. Notre quotidien s’est empiré depuis l’arrivée de la pandémie. A la crise sanitaire s’est ajoutée une crise économique qui va être profonde et durable. Un tel phénomène peut engendrer de la violence et des solutions simplistes. Mais c’est lorsque la résignation devient collective que le pire devient possible. Pour éviter cela, il faut trouver des réponses actives et positives.

IN. : votre espoir n’est-il pas utopique dans un pays comme la France où la contestation est toujours forte ?

G.M. : il est vrai que la France a cet handicap mais sa culture de l’affrontement est moins forte qu’aux Etats-Unis où persiste une fibre suprémaciste blanche toujours très puissante. Il existe dans notre pays une forme de refus de l’autre qui est moins basé sur des critères de couleur de peau mais davantage sur des perception de valeurs. Aucune majorité de Français ne se reconnaît dans un modèle de valeurs bien claires. Pour réinventer l’avenir, nous devons trouver un système écolonomique qui fonctionne. Nous n’avons pas d’autre choix…

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