21 janvier 2025

Temps de lecture : 7 min

Olivier Altmann (Altmann+Partners) : « Les marques qui creusent un sillon clair raflent la mise au final »

Dix ans qu'Olivier Altmann maintient le cap avec l'intelligence et la passion qu'on lui connait pour la chose publicitaire, et son irrésistible envie de vivre une aventure qui lui ressemble : Altmann+Partners, à la fois incarnée, respectueuse et partageuse. INfluencia fait le point avec l'ex-patron de la création de Publicis. Du petit lait.

INfluencia : le secteur de la communication vit une profonde mutation. Où se situe Altmann+Partners. Quelle est sa mission aujourd’hui ?

Olivier Altmann : la mission de l’agence est la même que celle de toutes les agences généralistes en communication : aider les annonceurs à communiquer de façon pertinente et efficace auprès de leurs publics. À la différence près, que nous croyons en la force des idées comme levier stratégique pour construire les marques et à la créativité pour émerger et créer de l’adhésion. Les annonceurs qui viennent nous voir recherchent souvent une expertise de publicitaires confirmés pour repenser leur plateforme de marque et faire résonner leur ADN avec les enjeux sociétaux du moment. Ils ont besoin d’une idée stratégique et créative forte pour construire ensuite un discours cohérent dans tous les canaux de communication dont ils disposent. C’est pour cela que nous sommes souvent l’agence pilote qui collabore avec leurs nombreux partenaires. D’où, entre autres, le rebranding de l’agence autour de cette notion de partenariat (Altmann+Pacreau devenue Altmann+Partners). Nous ne prétendons pas savoir tout faire et les annonceurs ne croient pas trop qu’on puisse être expert en tout. C’est pourquoi nous préférons agréger des talents d’horizons divers selon les enjeux, en étant respectueux des compétences de chacun.

IN. : qui travaille avec vous du coup, qui sont ces « partners » ?

O.A. : la notion de Partners est aussi valable dans notre mode de fonctionnement interne. Comme pour un cabinet d’avocats nous avons souhaité mettre davantage en avant l’esprit collectif qui nous anime avec un management plus collaboratif. Deux femmes de tête pilotent l’agence à mes côtés : Aurore Duhamel en charge du commercial depuis trois ans, qui a œuvré longtemps sur des grands comptes de Publicis (Renault, Engie, Carrefour…). Et Céline Chouéri, canadienne, qui depuis sept ans est patronne du planning stratégique et du new business et qui a un parcours international et également une expérience média en étant passée chez Dentsu.

Nike sans « Just do it », Apple sans « Think Different », VW sans “C’est pourtant facile de ne pas se tromper », Evian sans « Live Young » etc, n’auraient pas eu le succès qu’on leur connait

IN. : face à la révolution technologique que faites-vous concrètement ?

O.A. : notre métier, comme la société, est en permanente évolution. Depuis l’arrivée d’internet en France il y a plus de 30 ans maintenant, on a vécu l’essor des réseaux sociaux, la percée des influenceurs, la gestion des data, le développement du e-retail, le déploiement des plateformes video, (sans oublier la soi-disante révolution du Metavers) et j’en passe… Et maintenant l’IA qui s’immisce partout et prend plusieurs formes. De grands groupes ont fait des acquisitions de plusieurs milliards d’euros pour lutter à armes égales contre les GAFAM, des agences spécialisées se sont créées, les agences médias ont dû intégrer de nouveaux paramètres. Mais force est de constater que les fondamentaux de notre métier n’ont pas changé. Pour construire une marque il faut un propos avec du sens qui touche des êtres humains. Et ça c’est le travail des publicitaires que ni les logiciels ni les cabinets de consulting ne savent faire. Nike sans « Just do it », Apple sans « Think Different », VW sans “C’est pourtant facile de ne pas se tromper », Evian sans « Live Young » etc, n’auraient pas eu le succès qu’on leur connait. Cette capacité à synthétiser une problématique de marque et la traduire en une idée transformative ça s’apprend. J’ai eu la chance de travailler avec de grands patrons visionnaires (Jean-Marie Dru, Maurice Levy…) et avec de grandes marques nationales et internationales, et c’est là qu’on se forme. En écoutant, en restant curieux, en croisant les expériences, et en faisant le pont entre le monde du business et celui de nos compatriotes.

IN. : est-il difficile de garder ses clients ? Quels ont été les gains de l’agence en 2024 ?

O.A. : nous avons la chance d’avoir des clients qui nous sont fidèles mais peut-être est-ce la conséquence de notre capacité à maintenir le cap avec eux, tout en nous remettant en question quand le contexte économique ou sociétal évolue. Pour les marques, la tentation est grande de changer de discours au gré des aléas du business. Mais avec le temps on réalise que c’est celles qui creusent un sillon clair, sur des valeurs qui leur sont propres, qui raflent la mise au final. Dans un monde incertain, les gens ont besoin de repères et de confiance. Nous concernant, cette année nous avons gagné les hôtels IBIS Styles, la Fondation du Patrimoine (l’un des visuels ci-dessous), et plus récemment une marque alimentaire et un sujet de prévention pour une grande assurance. Nous avons surtout été très occupés par le partenariat de la Caisse d’Epargne avec les Jeux olympiques qui a été un vrai succès, et également le repositionnement de Naturalia qui semble porter ses fruits puisque le bio reprend des couleurs.

Ibis Styles remporté en 2024 par Altmann+Pacreau

IN. : la conception rédaction, la direction artistique vont-elles être remplacées par ces fameuses IA bien dressées ?

O.A. : l’IA générative ne trouve pas d’idées. Elle nous aide à travailler différemment et c’est surtout un outil qui permet parfois de gagner du temps mais pas toujours. Pour notre dernière campagne en faveur de la Fondation du Patrimoine, nous avons travaillé avec un photographe (Marc Da Cunha Lopes) qui utilise l’IA. Les maquettes initiales de l’agence étaient vendeuses mais manquaient de naturel et d’émotion. Le processus pour trouver le bon équilibre a été finalement assez long donc l’IA n’est pas une baguette magique et gratuite. Il faut du talent pour s’en servir et le temps qu’on y passe pour générer de nombreuses images est finalement assez coûteux. Derrière le logiciel, il faut un cerveau et un œil éduqué. Côté rédaction ou planning stratégique, l’IA comme ChatGPT peut être une aide pour défricher un sujet mais par essence, comme elle compile le passé, ce n’est pas elle qui peut faire un pas de côté pour inventer un nouveau discours. Mais nous en sommes qu’au début et c’est vrai que le résultat est parfois bluffant et assez grisant.

Campagne Fondation du Patrimoine gagné en 2024

IN. : nous avons parfois l’impression que les quinquas sont mal traités par les métiers de la pub. Qu’en est-il exactement ?

O.A. : c’est le cas des séniors en général en France avec un taux d’emploi d’environ 50% contre 70% en moyenne pour nos voisins européens. Dans la pub, encore plus que dans d’autres secteurs, il y a un effet « jeunisme » car on estime qu’à partir d’un certain âge les créatifs sont moins productifs et déconnectés des nouveaux usages. Alors qu’en réalité, de par leur expérience, ils comprennent plus vite les problématiques et ont une culture publicitaire qui leur évite de reproduire certaines idées du passé.

En vérité, dans une agence de pub généraliste, il faut un brassage de plusieurs générations, jeunes et moins jeunes. Pour trouver autant la bonne activation en social média que le grand film de marque bien écrit et exécuté. Il y va de la transmission de notre savoir pour former les grands publicitaires de demain.

Les grandes campagnes c’est généralement deux personnes, un annonceur et un patron d’agence, qui se font confiance et assument un risque commun

IN. : diriez-vous que « c’était mieux avant » ?

O.A. : disons qu’avant le métier faisait plus rêver et on redoutait moins les réactions négatives sur les réseaux sociaux puisqu’ils n’existaient pas. La publicité moderne émergeait des années 68 avec un vent de liberté, d’insouciance et d’impertinence qui me semble être moins dans l’air du temps. Notamment quand on parle à tout bout de champ de responsabilité. Pour autant les Français ont toujours autant envie de rire et de rêver, je dirais même plus que jamais. La publicité a aussi voulu gagner en respectabilité, on a voulu quantifier, mesurer, rassurer, pré-tester, post-tester… Résultat les processus de décision sont plus compliqués avec plus d’intervenants, parfois extérieurs. Or les grandes campagnes c’est généralement deux personnes, un annonceur et un patron d’agence, qui se font confiance et assument un risque commun.

IN. : on parle beaucoup « des métiers qui n’existent pas encore »…Quels seraient ces métiers dans la pub ? Si elle existe encore… (rire jaune)

O.A. : vu que ces métiers n’existent pas encore, je me vois mal imaginer ce qu’ils seront (rire ironique). Quand a la pub, elle a de beaux jours devant elle, car peu importe la forme qu’elle prendra, on aura toujours besoin de communiquer. Que ce soit pour promouvoir une entreprise, une marque, un produit, et surtout une idée.

IN. : auriez-vous imaginé il y a encore dix ans cette accélération du temps et les maux qui s’y rattachent, santé mentale, radicalisation des jeunes, mécontentement des différents acteurs économiques, migrations, … est-ce un effet démultiplicateur des réseaux sociaux ?

O.A. : personne n’aurait pu imaginer que l’humanité vivrait une pandémie mondiale qui a tué au final près de 16 millions de personnes et confiné 4 milliards d’individus. Le monde entier et chacun a pris conscience d’un coup de sa fragilité. Quand on rajoute à cela la crise climatique, le terrorisme, les guerres sur plusieurs fronts, les tensions géo-politiques qui s’enchaînent, on peut comprendre que notre santé mentale en prenne un coup. Sans oublier qu’avec la crise inflationniste que nous venons de vivre, de nombreux Français ne s’en sortent plus. Tout cela génère de l’angoisse et de la colère qui ne peut que s’exacerber sur les réseaux sociaux. Pourtant la parenthèse des JO a démontré que les Français peuvent retrouver le goût de vivre ensemble. Et au café du coin on peut (encore) échanger des idées sans forcément s’invectiver. J’en veux beaucoup à nos dirigeants qui sont nombreux à penser à leur agenda personnel plutôt qu’à montrer l’exemple dans l’intérêt supérieur du pays. Plus personne n’a vraiment une vision pour nous galvaniser et nous entrainer vers un avenir meilleur.

IN. : que vous inspire l’alliance Trump-Musk, et l’intervention chaque fois plus oppressante des libertariens dans le jeu politique mondial ?

O.A. : c’est très inquiétant de voir la politique et le business aussi intrinsèquement liés de façon aussi décomplexée. Comme si en France nous étions dirigés par un milliardaire accompagné par l’homme le plus riche du monde. Mais derrière les questions de personne et les caricatures, je pense qu’une certaine Amérique en a soupé du wokisme et veut revenir à des valeurs plus conservatrices. Le fameux mouvement de balancier et je me demande si comme souvent nous n’allons pas vivre bientôt la même chose en Europe, avec un temps de retard.

IN. : vos campagnes préférées de tous les temps, qui vous bercent ou vous inspirent encore ?

O.A. : honnêtement j’adore être surpris par les nouvelles idées. La vraie jubilation ce n’est pas tant de revoir une vieille campagne mais de se prendre une claque en se demandant comment un créatif a pu, après toutes ces années, nous étonner encore. Une campagne culte pour moi c’est le film Guinness « NoitulovE » qui revisite l’évolution de l’homme dans le seul but de goûter une bière. Avec cette signature de marque inchangée depuis des années qui part d’une réalité produit « Good things come to those who wait » (Grand Prix à Cannes en 2006). Et ma dernière claque c’est Orange WoMen’s Football de Marcel qui a raflé toutes les récompenses dont le Grand Prix Film à Cannes l’année dernière. Une campagne qui coche toutes les cases.

« Guiness, Good things come to those who wait »

Orange WoMen’s Football

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