2 janvier 2023

Temps de lecture : 9 min

Grégory Gazagne : « Snapchat a des atouts pour sortir par le haut de ce marché compliqué »

Grégory Gazagne a pris l’été dernier ses fonctions de directeur général France de Snap, au moment où les champions de la tech et les Gafa commençaient à entrer dans une zone de turbulences. Il détaille pour INfluencia sa feuille de route, sa méthode et les atouts de Snapchat, l’appli au petit fantôme plébiscitée (pas seulement) par les jeunes.

INfluencia : vous avez été nommé en juillet directeur général France de Snap, société mère de Snapchat. Avec quelle feuille de route ?

Grégory Gazagne : je dois continuer à faire grandir la communauté d’utilisateurs de Snapchat, lui permettre de s’exprimer dans un environnement sûr et protecteur de la vie privée, permettre à nos équipes en France d’aider les annonceurs, les partenaires médias et la communauté de créateurs de contenus à se connecter à cette audience… Aujourd’hui, un Français sur deux est sur Snapchat. L’appli est utilisée par 27 millions de personnes tous les mois (avec deux millions d’utilisateurs gagnés depuis début janvier 2022) et 19 millions tous les jours, ce qui représente un engagement assez exceptionnel. Un autre aspect de la feuille de route consiste à démocratiser auprès du plus grand nombre cette approche de réalité augmentée (AR) que Snap développe depuis sept ans. Ajouter une couche de digital sur le monde réel augmente la communication avec nos amis, notre famille et le monde extérieur, au lieu de nous enfermer dans des mondes virtuels. Il s’agira de montrer que Snapchat est non seulement la première appli à proposer cette expérience mais qu’on est toujours de loin les leaders de la réalité augmentée, pour des usages de publicité ou avec l’AR Studio.

L’AR Studio installé à Paris veut démontrer la puissance et l’utilité de la réalité augmentée et former des jeunes aux métiers 3D de demain en les aidant à passer à l’étape supérieure

IN : quels sont justement le positionnement et les objectifs de l’AR Studio, ouvert en septembre et inauguré le 6 décembre 2022 à Station F ?

G.G. : l’AR Studio est un centre d’excellence qui développe des partenariats non commerciaux avec les mondes de la culture, de l’art et de l’éducation, veut démontrer la puissance et l’utilité de la réalité augmentée et former des jeunes aux métiers 3D de demain en les aidant à passer à l’étape supérieure. Il en va de notre responsabilité de leader de marché d’éduquer et d’accompagner le plus grand nombre sur cet univers. La décision d’implanter à Paris le premier AR Studio de Snap dans le monde s’est imposée d’elle-même. La ville proposait le meilleur des deux mondes : la créativité en tant que capitale du luxe et de la mode et un terreau d’écoles d’ingénieurs et de développeurs de grande qualité. Cela démarre très bien. L’équipe de 14 talents, tous français avec des profils différents, a déjà mis au point un événement à la BNF pour la réouverture du site Richelieu en septembre, une expérience Playing Pompidou autour de l’exposition de Christian Marclay au Centre Pompidou qui permet de déclencher les bruits bruts trouvés par l’artiste à l’intérieur du musée.

IN : vous avez pris vos fonctions dans un contexte très chahuté pour les entreprises de la tech, avec des résultats en berne et des licenciements (- 20 % au niveau global chez Snap). Comment l’activité française est-elle impactée ?

G.G. : en France, Snap se porte bien mais a dû fermer Zenly, sa filiale spécialisée dans la géolocalisation des utilisateurs (qui comptait quelque 70 salariés, ndlr). Nous nous sommes recentrés sur nos forces : la communauté, les contenus avec Discover, les revenus et la réalité augmentée.

IN : est-ce suffisant pour passer la crise avec un modèle économique qui repose sur la publicité ?

G.G. : en ce moment, il est très difficile de se projeter. Le marché est compliqué mais on a aussi des atouts pour s’en sortir par le haut. Notre profondeur d’audience nous permet d’être résilients. Snapchat est l’appli la plus utilisée par des 15-24 ans (94 %) et les 15-49, mais aussi par les familles avec des enfants de moins de 18 ans (avec une couverture quotidienne de 57 %). C’est aussi la 3e plateforme française toutes plateformes confondues, ce qui nous permet d’adresser toutes les cibles et tous les budgets. Nous travaillons avec toutes les entreprises du Cac 40. Si certaines sont en difficultés, d’autres se portent très bien, ce qui offre une variable d’ajustement pour les revenus publicitaires en cette fin d’année 2022 et pour 2023. Notre audience vient sur une application de messagerie visuelle et, quand les utilisateurs ont trouvé leurs amis, ils nous sont très fidèles, ce qui explique en partie qu’en France la moyenne d’âge de l’utilisateur est de 35 ans. Nous avons des solutions pour toutes les typologies de problématiques et de publics. SNCF Connect vend par exemple des cartes seniors sur Snapchat. La réalité augmentée permet d’adresser tout le tunnel de conversion : la mémorisation et l’image, mais aussi le trafic et les ventes puisque, selon Shopify, les campagnes qui y ont recours affichent des taux de conversion 94 % plus élevés que les campagnes vidéo. Nos annonceurs peuvent donc consacrer un peu moins de budget sur l’image et un peu plus sur la performance. Enfin, Snapchat s’appuie sur une réalité augmentée qui existe et qui fonctionne, bien loin du métavers qui implique un pari sur 5 ou 10 ans.

Les campagnes qui ont recours à la réalité augmentée affichent des taux de conversion 94 % plus élevés que les campagnes vidéo. Nos annonceurs peuvent donc consacrer un peu moins de budget sur l’image et un peu plus sur la performance

IN : dans quelle mesure la montée en puissance du social, de l’AR et du gaming constitue des leviers ?

G.G. : nous bénéficions de dynamiques positives avec les transferts de budget publicitaires des médias traditionnels vers la vidéo et le social, et avec la réalité augmentée qui suscite un engouement extrêmement fort. La Crying Lens créée par Snap a touché 180 millions de personnes en 72 heures et est devenue virale sur toutes les autres plateformes. Un nombre incalculable de Lens organiques sont créées par des personnes isolées via notre Lens Studio. Il y a encore plein de potentiels à explorer. 94 % des marques pensent que l’AR est avant tout un moyen pour se divertir mais seulement la moitié des consommateurs (1), sont déjà passés à l’étape d’après. D’ailleurs, 90 % des gens se disent heureux d’être sur Snapchat parce que l’appli est divertissante et qu’on y apprend des choses. Certaines Lens rendent service comme celle de la Croix Rouge pour apprendre les gestes qui sauvent ou ASL Alphabet autour de la langue des signes. Celles qui sont développées par l’AR Studio les emmènent vers d’autres univers. Les Lens d’essayage sont plébiscitées par le luxe pour tester des vêtements ou des accessoires, mais aussi par l’automobile pour faire visiter un véhicule de manière immersive sur son téléphone, comme on l’a fait avec Toyota et Dacia. La France est un des pays où la pénétration de ce moyen de communication auprès des marques est la plus avancée car notre industrie du luxe les utilise énormément. Elles profitent d’une audience de 250 millions de personnes qui interagissent avec la réalité augmentée tous les jours, avec une expérience de plus de 20 secondes avec leur marque. C’est assez rare.

Les marques pensent que l’AR est avant tout un moyen pour se divertir mais les consommateurs sont déjà passés à l’étape d’après. Ils apprécient que l’appli soit divertissante et qu’on y apprenne des choses

IN : comment évoluent vos relations avec les partenaires médias ?

G.G. : 17 millions d’utilisateurs viennent chaque mois sur Discover, soit 7 millions de plus que lorsque le service a été lancé en 201­6. Grâce à une approche de kiosque à journaux et aux partenariats noués avec les éditeurs (Le Monde, Le Figaro, 20 Minutes, Elle, Arte, Canal+…), ils y restent de plus en plus longtemps (+42 % par rapport à 2021), d’autant que nous avons ajouté 118 nouvelles chaînes depuis début 2022. Aujourd’hui, 92 émissions réunissent plus d’un million d’utilisateurs tous les mois. On est sur du mass média ! Les fondateurs de Chef Club ont pu créer une multinationale en s’appuyant sur Snap. On continue à aider les différents acteurs à interagir avec la communauté d’utilisateurs. Les partenaires médias font du test & learn, adaptent sans cesse leurs propositions… Ils arrivent à se renouveler et à capter une audience plus jeune en gagnant de l’argent puisque les revenus publicitaires sont partagés à 50-50. Ces revenus sont significatifs et atteignent pour certains des millions de chiffre d’affaires.

Aujourd’hui, 92 émissions diffusées sur Discover réunissent plus d’un million d’utilisateurs tous les mois. On est sur du mass média !

IN : le partenariat avec M6 a été récemment étendu à la régie. Est-ce une nouvelle source de diversification ?

G.G. : il s’agit en effet de diversifier nos revenus en développant les partenariats avec nos créateurs de contenus professionnels. Le groupe M6 qui diffuse ses programmes sur Snapchat et M6 Publicité peut commercialiser en direct les espaces publicitaires qui leur sont associés. De notre côté, nous intégrons leurs programmes dans les centres d’intérêt autour de la nutrition ou la cuisine. Un partenariat a aussi été noué avec TF1 Pub pour commercialiser l’inventaire de ses franchises dans Discover, ce qu’ils ont commencé à faire avec la Star Academy. L’abonnement est une autre piste avec Snap+, qui permet d’avoir accès à des fonctionnalités exclusives comme des stories plus longues ou un avatar différent. En trois mois, 1,5 million d’utilisateurs sont déjà passés à un abonnement dans le monde.

des équipes en interne mesurent la fatigue utilisateur pour comprendre à quel moment il faudra commencer à réduire l’exposition publicitaire pour garder de l’engagement. C’est davantage le moteur qui décide, qu’un arbitrage humain.

IN : sur les contenus de Discover, la publicité est parfois assez intrusive. Comment est-elle pilotée ?

G.G. : des équipes en interne mesurent la fatigue utilisateur pour comprendre à quel moment il faudra commencer à réduire l’exposition publicitaire pour garder de l’engagement. C’est davantage le moteur qui décide, qu’un arbitrage humain. Comme Snap va bien, il y a de la pub et on essaie de la diffuser le mieux possible avec différents formats. Les publicités de 6 secondes non skipables et en plein écran plaisent beaucoup aux marques.

IN : les médias sociaux sont souvent décriés pour leur manque de responsabilité envers les jeunes ou pour lutter contre la désinformation. Comment garantissez-vous l’environnement « sûr et protecteur » que vous mettez en avant ?

 G.G. : Snapchat s’est construit comme un antidote aux réseaux sociaux, sans like, sans followers, sans pression ni jugement. L’appli s’ouvre sur la caméra et permet d’entretenir la communication avec sa famille ou ses amis au travers de la création et d’une certaine transformation de ce qui existe réellement, plutôt qu’en scrollant du contenu à l’infini de manière passive. Nos espaces publics sont pré-modérés et plusieurs centaines de personnes sont rémunérées pour assurer cette modération. Les vidéos UGC de Spotlight sont modérés via du machine learning et de la modération humaine si besoin. Discover est la partie la plus protégée. Elle accueille un mix de partenaires médias et de figures publiques, qui doivent passer par nos équipes pour obtenir leur approbation. Les contenus qui quittent l’appli pour des univers plus viraux font au préalable l’objet d’une modération humaine. Les signalements sont adressés humainement en quelques heures. L’Arcom (ex-CSA, ndlr) a récemment reconnu que Snapchat était un des acteurs les mieux placés dans la lutte contre la désinformation et la protection de ses utilisateurs. Les déboires de certaines plateformes créent finalement une opportunité pour nous…

Je dois animer les équipes avec l’objectif de partager les connaissances. Il y a plein de choses que je ne sais pas mais je suis persuadé qu’il y a, avec l’équipe, plein de sujets que l’on va arriver à résoudre ensemble

IN : votre parcours vous a mené dans les médias avec TF1 et IP France, en agence médias chez Dentsu Aegis, dans entreprises internationales comme Yahoo!, des start-up et des scale-up chez Criteo et Swile… En quoi va-t-il vous aider à traverser ces temps mouvementés que connaît l’univers de la tech ?

G.G. : Criteo a été une expérience incroyable pour être agile, générer du scale, engager les bonnes personnes et créer des dynamiques d’équipe. Swile avait levé 200 millions à une période où il était relativement facile de trouver de l’argent auprès des investisseurs. Les retournements de marché extrêmement rapides font aussi partie de mon parcours dans la French Tech… Partout où je suis passé, j’ai constaté à quel point une entreprise repose avant tout sur des gens et sur la capacité à créer les meilleures interactions possibles. Chez Snapchat, je dois animer les équipes avec l’objectif de partager les connaissances. Il y a plein de choses que je ne sais pas mais je suis persuadé qu’il y a, avec l’équipe, plein de sujets que l’on va arriver à résoudre ensemble. Mon parcours m’a aussi appris que cette diversité d’avis, d’opinion, d’origines, qui est certes un peu plus difficile à gérer, amène une créativité qui donne un avantage sur les autres. En ce moment, j’essaie de faire des « Vis ma vie » avec l’équipe parce que je veux comprendre dans le détail ce que font mes N-3. Même si l’économie va de crise en crise, la croissance reste assez linéaire sur le long terme. L’être humain est résilient par nature parce qu’il n’a pas d’autre choix que d’aller de l’avant. C’est pareil pour les entreprises qui doivent prendre des décisions pour passer les crises et recommencer à accélérer ensuite. Je suis naturellement optimiste mais je pense qu’on est chez Snap dans un univers qui sera moins difficile pour nous que pour d’autres.

(1) Étude « Augmentality Shift » réalisée par Ipsos pour le compte de Snap au printemps 2022 dans 16 pays dont la France. Dans l’hexagone, les réponses sont issues de 1 644 utilisateurs de smartphones âgés de 13 à 44 ans et de décideurs de marques ou d’agences qui ont utilisé l’AR ou envisagent de le faire à l’avenir.

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