Josiane, une agence indépendante remporte un Lion d’Or face aux géants du secteur
Il était une fois, "L’anniversaire de trop”, satire sociale concoctée par Josiane pour l’association Valentin Haüy, qui remporte un Lion d'Or aux Cannes Lions... Contre toute attente, comme l'explique Laurent Allias. Un format atypique digne des meilleures comédies italiennes des années 70.
Diffusé sur les réseaux sociaux dans sa version longue de 4’30 et salué pour son impact, -il suffit de compter et de lire les commentaires sur youtube pour savoir que le format ne laisse personne indifférent…- le film de Josiane intitulé « L’anniversaire de trop » a tapé dans l’œil des jurés. Il est vrai que ce long spot où des adultes lors d’une fête d’anniversaire se courent après en tentant de se crever les yeux, lorsqu’ils apprennent qu’à partir de la soixantaine, ils ne recevront pas d’aides pour leur déficience visuelle, n’est pas des plus tendres… Cynique, absurde, surréaliste comme notre époque ?
INfluencia : vous attendiez-vous à ce Lion d’Or ?
Laurent Allias : en fait, beaucoup de confrères me disaient qu’il était très compliqué pour une agence indépendante d’avoir un Lion à Cannes. Et c’est vrai qu’en regardant les palmarès ces dix dernières années il n’y en a eu que quatre remportés par des agences françaises indépendantes. Donc, très peu de chances de remporter quoique ce soit selon moi…
Nous avions à la fois le sentiment de gravir, avec nos petits bras, une montagne insurmontable faite de plus de 26000 campagnes venues du monde entier, pour laquelle nous n’avions pas les armes pour lutter, d’un autre côté nous savions que cette campagne avait tout pour elle, une chance de se distinguer. Soit ça prenait, soit jamais elle n’émergerait.
IN. : lorsque vous apprenez que vous êtes short-listés, c’est la fête donc…
L.A. : on était ravis ! Et franchement, une fois arrivés là, nous nous sommes dit, qu’un Bronze serait un miracle. Pour tout vous dire, je commence seulement à réaliser que nous avons eu un Or !
IN. : quand vous faites cette campagne, vous ne vous dites pas à l’époque que vous faisiez un saut créatif, une pure campagne unique, à la fois violente, cynique, et tellement en phase avec notre époque ?
L.A. : c’est violent dans tous les sens du terme. Quand je parle de cette campagne, je dis qu’elle est à la fois drôle, absurde, trash, gore et stratégique. La réponse juste à cette loi qui fait qu’après 60 ans, nous sommes considérés comme vieux et que le handicap n’est donc pas remboursé… Et ce qui est incroyable c’est que dans le processus de conception, et dans notre relation à notre client, les planètes se sont toujours alignées. Ce qui est très rare. En fait notre client était ouvert dès le démarrage à nos propositions, il voulait que nous fassions parler de l’association, et non pas que l’on s’attaque à cette loi… Du coup, nous sommes arrivés avec notre idée, très engagée d’une certaine manière.
IN. : Le film est d’une certaine manière une œuvre cinématographique à la Marco Ferreri…
L.A. : oui, la loi est absurde, il fallait aller au cœur de cette absurdité et y répondre sur le même ton, violent, cynique et ne pas en faire une campage sociétale, mais plutôt, politique, et comme toutes les bonnes satires aller au bout de l’absurdité du propos. Je dois remercier les créatifs pour cette audace, Evelyne Bourdonnet, et ses équipes qui sont au planning stratégique chez Josiane, parce qu’en vrai, s’ils n’avaient pas été là, il n’y aurai pas eu de campagne. Sans oublier ce client incroyable qui était à 100% avec nous, courageux, qui a acheté l’audace, (personnellement j’aurais douté à leur place (rire)) et est allé jusqu’au bout avec nous.
IN. : cela tient à quoi, à votre avis ?
L.A. : je pense qu’il y a un truc chez Josiane, des personnalités fortes, différentes qui forment un tout assez cohérent. Cela crée une relation très forte avec nos clients et c’est vrai qu’ils nous font confiance jusqu’au bout. Ce film surréaliste qui ne lésine pas non plus avec la DA, la réalisation c’est très rare de nos jours.
IN. : Cette satire surréaliste, donc, est un ovni hors du temps que vous n’avez pas imaginée pour avoir un prix, ce qui arrive parfois au sein des agences…
L.A. : oui, on dit souvent qu’on fait des campagnes pour obtenir des prix, en ce qui nous concerne nous faisons le mieux que nous pouvons pour nos clients. On fait ce métier par passion, et aussi pour nos clients, on aime avoir un regard sur la société. Les prix sont une conséquence de ça. Mais ce n’est pas une fin en soi à l’agence.
IN. : aviez-vous un réalisateur en tête dès le début ? Un casting ? Parce que là aussi tout est très juste, pas de tiédeur… De l’audace.
L.A. : c’est Lucie Bourdieu qui l’a réalisé, une jeune femme de 31 ans, qui s’est avérée elle aussi être un choix évident, une énergie particulière. Donc effectivement alors que souvent les meilleures idées s’effritent tout au long des process client, agence, pour des compromis, cette fois il y a eu un miracle de convictions communes. Et ça c’est ouf. Et j’ai rarement vu ça.
IN. : l’idée du craft ?
L.A. : un craft très real life, très brut. Oui, c’est ça.
IN. : donc Cannes, n’était pas dans vos projets…
L.A. : (rires) on a retrouvé un échange qui a eu lieu pendant le tournage. Romain Grange qui a travaillé sur le sujet avec Lisa Chaput avaient échangé un mail où ils racontaient pour rire qu’ils préparaient leurs billets pour Cannes ! On a retrouvé le mail. C’était assez incroyable !
IN. : si je vous dis que vous n’avez pas fait « un film français », vous me répondez…
L.A. : disons que nous ne sommes pas conformistes, il y a une forme de maturité à l’agence qui nous permet de trouver une voix qui nous ressemble et qui n’est pas celle des autres. Elle nous appartient. Un humour particulier, une manière d’aborder les sujets, de raconter des histoires à contre temps de l’époque. Une troisième voie ?
IN. : est-ce une réponse à ce qui se passe dans la société aujourd’hui, qui est extrêmement violent.
L.A. : je dirais que dans ce spot les personnages deviennent des monstres, parce qu’effectivement, ce qui se passe est monstrueux. Notre défense est le décalage.
IN. : vous dites que cette campagne n’a pas été diffusée en TV…
L.A. : ce film était indiffusable pour les raisons évidentes que l’on vient d’évoquer. Et en fait, en février dernier, nous avons fait une phase 2 avec un écran noir où on a tout fait en audiodescription… Mais nous ne l’avons pas présenté à Cannes car j’ai pensé qu’il fallait rester pur sur l’objet initial.
IN. : avez-vous un message à faire passer après ce Cannes Lions riche en surprises !
L.A. : Il y a eu beaucoup de petites agences entre guillemets, indépendantes présentes à Cannes, plus de 60 % agences indé si je ne dis pas de bêtises, cette année. Le message à faire passer c’est que ce qui nous arrive et qui me semblait impossible, ne l’est pas et ça c’est rafraîchissant. Malgré le fait que les indé aient moins d’armes, fassent moins de politique, n’aient pas de réseau forcément, c’est possible en fait. Et ce n’est pas parce que vous avez en face des mastodontes qui vont remporter un maximum de prix sur des engagements d’entreprise, tels que AXA, Orange, EDF, les JO de Paris, LVMH, que nous petits n’avons pas accès à la lumière. Je trouve que c’est un beau message à faire passer. Ça fait du bien.