5 avril 2024

Temps de lecture : 10 min

Fabienne Marquet (SRP): « Depuis mes années de foot et de hand, cela ne me dérange pas de perdre mais je donne toujours tout pour gagner »

Parlez de nature et de biodiversité à Fabienne Marquet et elle devient intarissable sur le sujet. La directrice générale adjointe de Bayard Média Développement et présidente du Syndicat des Régies Publishers répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’hôtel Swann* – Proust oblige bien sûr –

INfluencia : Votre coup de cœur?

Fabienne Marquet : En ce moment, je suis en pleine découverte du vivant, donc de la nature, la biodiversité… Et dans mes recherches, j’ai découvert Olivier Hamant, biologiste, directeur de recherche à l’Inrae au sein du Laboratoire de Reproduction et Développement des plantes, que j’ai écouté lors d’une conférence. Il nous a exposé sa théorie sur la robustesse du vivant. Il a d’ailleurs écrit un petit bouquin facile à lire que je recommande vivement : « Antidote au culte de la performance : La robustesse du vivant » **. Cela m’a complètement enthousiasmée. J’ai ensuite eu la chance de déjeuner avec lui pour lui poser plein de questions. Imaginez un arbre, avec ses racines et ses feuilles. Eh bien, cet arbre n’utilise que 5 % des rayons du soleil pour fabriquer de la photosynthèse et ainsi faire vivre toute sa structure ! S’il en utilisait plus, il serait cuit. Je synthétise grossièrement ce que j’ai compris mais tout est aussi passionnant. Au-delà du champ des recherches scientifiques, ses travaux conduisent à plusieurs réflexions sur la manière dont les sociétés humaines peuvent et doivent faire face aux défis environnementaux.

 

Nous sommes dans l’ère de la performance contreproductive

 

Il montre que cela ne sert à rien de pousser la performance, parce que plus un être vivant agit ainsi, plus il s’use. En fait, nous sommes dans l’ère de la performance contreproductive. Dans le sport, à partir d’un certain niveau de performance, on oublie pourquoi on performe et on va jusqu’à se blesser ! Il prend également l’exemple de la durabilité d’une entreprise et explique que la compétition poussée à son extrême aide certes sa compétitivité sur un instant court mais pas sur le moyen et long terme. Enfin il rappelle que notre performance humaine a un coût environnemental exorbitant : plus nous performons et plus la biodiversité s’effondre, le climat se dérègle, les ressources se raréfient, les pollutions se généralisent.

Mon autre coup de cœur, qui rejoint le premier, est pour cette BD géniale « La Vie Secrète des arbres »*** par Peter Wohlleben, qui explique, comme dans un conte, comment les arbres interagissent, communiquent et se défendent. Elle a été un émerveillement du début à la fin, et m’a donné encore plus envie d’être dans l’action. Je l’ai d’ailleurs fait en Dordogne quelques semaines après avoir lu ce livre. Nos amis agriculteurs nous ont donné des boutures et nous avons planté des haies. Un cadeau de la vie. J’en rêve la nuit. Je vois ces bouts de plantes repartir de plus belle et devenir un jour de beaux arbres élancés et vigoureux. L’idée que d’autres humains en profitent me rend joyeuse.

 

  Mettre à mal la biodiversité est un acte dangereux pour la terre

 

IN.: Votre coup de colère ?

F.M. : Il est contre l’injustice et la mauvaise foi. Par exemple, le fait qu’on fasse machine arrière par rapport à la biodiversité. (ndlr : le gouvernement a récemment décidé de « mettre en pause » le 4e plan Ecophyto qui fixait un objectif de réduction de 50 % de l’usage des pesticides d’ici 2030, par rapport à 2015-2017). 58 % de la biodiversité est en-dessous du sol. Comment pouvons-nous reculer sur la gestion des intrants chimiques dans le sol qui tuent la biodiversité ? In fine, cela va nous impacter un moment ou un autre. Je ne veux pas trop épiloguer là-dessus parce que c’est aussi un sujet politique, mais mettre à mal la biodiversité est un acte dangereux pour la terre nourricière et pour nous. Et cela me met très en colère.

 

Sénèque m’a enseigné l’acceptation sereine du destin et la maîtrise de soi

 

IN. : La personne qui vous le plus marquée dans votre vie.

F.M. : Dans ma vie privée, c’est Sénèque, grand philosophe stoïcien qui m’a beaucoup apporté à la fin des années 80 et m’a enseigné, au travers de ses écrits, l’art de bien vivre, l’acceptation sereine du destin et la maîtrise de soi.

Dans ma vie professionnelle, j’ai été marquée et accompagnée par Sabine Gibory, la fondatrice du cabinet Gibory Consultant (ndlr : Sabine Gibory, aujourd’hui retraitée, avait fondé ce cabinet conseil en choix d’agences en 1987). C’est une femme remarquablement intelligente, cultivée et qui a du cœur. Pour moi, avoir du cœur, agir avec sincérité et loyauté, est la plus belle valeur qui soit. Et je pense que Sabine en est un parfait exemple.

 

J’ai été capitaine d’équipe de handball pendant 12 ans

IN.: votre rêve d’enfant ?

F.M. : C’était de faire du sport. A un moment donné, je me suis même demandé si je n’allais pas faire sport études. Toute petite j’ai fait du football. Mais il n’y avait que des garçons. Même si mes copains adoraient jouer au foot avec moi et moi avec eux, et si j’étais très heureuse, je me suis dit que cela ne valait pas vraiment la peine de continuer. J’ai alors découvert le handball. J’ai tellement aimé ce sport que je l’ai pratiqué pendant 12 ans. J’ai même été capitaine d’équipe pendant 5 ans. Les valeurs du sport m’ont donné envie de me surpasser et m’ont appris à m’adapter à n’importe quelle situation. J’aime bien cette idée que tant que le coup de sifflet final n’a pas retenti, on peut marquer un but, même si on est mené au score 10 minutes avant la fin, et reprendre la main sur le cours du match. C’est une vraie leçon de vie. J’aime la compétition, cela ne me dérange pas de perdre mais je donne tout pour gagner.

 

J’ai décidé de faire moins de sport et plus la fête

 

J’ai été présélectionnée à Créteil pour intégrer les équipes de filles qui pouvaient éventuellement passer en équipe de France. J’ai commencé les premiers entraînements et j’ai réalisé que cela prenait beaucoup de temps. Or je viens d’un milieu simple et j’ai décidé à 18 ans, après mon bac, de vivre seule à Paris. Donc j’ai trouvé une chambre de bonne mais il fallait que je travaille pour la payer. Ce n’était pas facile de suivre des études, de faire du sport et en plus de travailler. C’était aussi une période où j’avais plutôt envie d’aller au Queen ou au Palace que faire mes entraînements. (rires) Donc j’ai décidé de faire moins de sport et plus la fête..

En dehors du sport, je voulais devenir soit architecte soit avocate. Architecte pour construire des maisons et donc un habitat qui soit secure pour les gens et puis avocate parce que je voulais défendre les pauvres car je trouvais qu’il y avait énormément d’injustices sociales et qu’il fallait aider les gens qui n’ont pas d’argent à se battre face aux aléas de la vie. J’ai toujours eu ce petit côté Robin des Bois qui m’a construite. Mais c’était des études longues, et vu ma situation c’était trop compliqué. Et puis j’ai vu une annonce pour Médias (ndlr : fondé en 1980 par le publicitaire Eudes Delafon, ce magazine disparu en 1994 couvrait l’actualité des médias) et j’ai tenté ma chance. J’ai été recrutée et voilà comment j’ai démarré ma carrière dans le marché publicitaire. Je ne l’ai jamais regretté et ne me suis jamais ennuyée.

 

Si quelqu’un comme lui a peur de l’eau, ça peut arriver à tout le monde

IN.: Votre plus grande réussite (en dehors de la famille et du boulot)

F.M. : sur le plan personnel, ma plus grande réussite a été de vaincre ma peur et d’apprendre à nager après un incident où j’ai failli me noyer. Mes parents m’ont fait faire du bateau et m’ont inscrite au club de voile. Donc je savais et aimais naviguer, j’ai même fait des régates. Mais j’avais toujours peur de nager. Et puis une amie m’a poussée à aller suivre des cours spéciaux pour les adultes qui ont peur de l’eau à la piscine Montparnasse.  J’y suis allée et je me suis retrouvée avec des adultes comme moi dont un très beau gosse. Je me suis dit : « si quelqu’un comme lui a peur de l’eau, ça peut arriver à tout le monde » (rires). Et ça a été magique. On chantait et on faisait des cabrioles sous l’eau, on se laissait tomber jusqu’au fond de la piscine et on remontait tout naturellement. On avait des vrais fous rires, on se retrouvait dans des situations où nous avions l’impression d’être des gamins de 5 ans.

Sur le plan plus professionnel, à 30 ans, j’ai poursuivi mes études, approfondissant mes connaissances dans un domaine qui me tenait à cœur : le futur. J’étais passionnée par la science-fiction : « Blade Runner », « Soleil Vert », « Matrix », « Wall-E » plus récemment. Je suis allée aux portes ouvertes du CNAM et j’ai fait une rencontre incroyable avec un prospectiviste : Michel Godet, économiste, membre de l’Académie des technologies. J’ai suivi ses cours de prospective industrielle et les TD avec les oreilles grandes ouvertes. Je suis allée jusqu’à passer son UV et la réussir. Une petite fierté à l’époque.

 

J’ai eu un fou rire tellement énorme qu’il m’était impossible de m’arrêter

IN.: Votre plus grand échec

F.M. : Il y a quelques années, comme je me passionne pour le vivant, j’ai fait un stage de permaculture d’un week-end. Un « professeur » expliquait ce qu’il ne fallait pas faire. Et je ne comprenais rien. J’ai dû certainement avoir un petit moment d’absence. Mais si on décroche quelques secondes, c’est fichu ! Cela faisait longtemps que je n’avais pas été perdue comme cela… Nous étions six personnes dont l’une qui travaillait dans l’armement. Je les ai toutes regardées. Et là, j’ai eu un fou rire tellement énorme qu’il m’était impossible de m’arrêter. Et plus l’expert parlait, plus je riais. Cela a entrainé le fou rire des autres participants, tout le monde pleurait. Du coup, j’ai décidé de me rattraper et de faire un CCP (Cours de Conception en Permaculture) pendant 11 jours au mois de juillet à la pépinière des Alvéoles.

 

Je suis très fière de mes calculs car le plancher est droit et pourtant il y avait un petit dénivelé

 

IN.: Votre occupation préférée

F.M. : je ne vais pas vous étonner en vous répondant que c’est la permaculture. J’ai acheté un petit terrain de douze hectares de terre en Dordogne qui avaient été complètement cultivés en agriculture conventionnelle. Donc le sol n’avait plus de vie. Pour le savoir, c’est très simple : on fouille un peu la terre. S’il y a des vers de terre, il y a de la vie. Là, il n’y avait plus rien… Donc depuis trois ans nous plantons un certain nombre de choses pour créer de la biomasse, recréer de la vie, faire venir les insectes, les oiseaux, etc. Et ça fonctionne. Nous avons quelques arbres fruitiers, deux noyers, des cerisiers des pommiers, un figuier. Et tout récemment nous sommes allés déplanter des charmilles en forêt que nous avons replantés dans la haie. Et cet hiver, comme je vous le disais précédemment, nous avons planté des haies pour avoir un peu plus de biodiversité. Nous avons aussi construit une cabane en bois, dont j’ai fait le plan, qui va servir de douche et de lieu pour entretenir le matériel qui nous sert à travailler la terre. Je suis d’ailleurs très fière de mes calculs car le plancher est droit et pourtant il y avait un petit dénivelé. Nous allons ensuite construire une petite maison, en éco-conception et autonome

J’ai une autre passion : c’est la cuisine. J’aime faire les courses, prendre du temps pour préparer des plats et cuisiner et les gens aiment ma cuisine. Quand ils se régalent, je suis très heureuse. C’est une façon à moi de donner de l’amour. Et ce qui est génial, c’est que ma fille, à qui j’ai offert un petit tablier à l’âge de 5 ans et appris à cuisiner, s’est prise au jeu. Mon plus beau cadeau, c’est de lui avoir transmis cela, comme mon père l’avait fait avec moi. Aujourd’hui, elle va avoir 17 ans et elle fait encore mieux la cuisine que moi, avec beaucoup plus d’originalité. Moi je suis plus traditionnelle : un bœuf bourguignon, un bœuf marengo, des pâtes, des plats bretons vu mes origines, etc.

Bienveillance: c’est un mot très beau

IN: Le mot que vous préférez et celui que vous détestez le plus

F.M. : celui que je préfère, c’est bienveillance. Je crois profondément qu’il y a des gens bienveillants. Quand on dit que quelqu’un est bienveillant, cela démontre qu’il a du cœur, qu’il respecte l’autre, qu’il a un sens de l’écoute, de l’empathie. C’est un mot très beau. Dans un monde où tout va vite, je trouve qu’il est important d’avoir de tels mots qui peuvent sembler être des mots balises mais qui sont pour moi plus que cela. Ce sont de vrais caps. Quand, dans certaines occasions dans ma vie, on m’a dit que j’étais bienveillante et gentille, ce sont deux compliments qui m’ont vraiment fait très plaisir. J’ai été administratrice pendant 8 ans – et j’ai adoré le faire – dans une association, Des Soins & Des Liens, afin d’apporter des solutions à des enjeux majeurs : le bien vieillir et l’employabilité des femmes de plus de 50 ans. Quand je serai à la retraite, je vais de nouveau m’investir à fond dans des associations.

Quant aux mots que je déteste, en ce moment, ce sont les mots guerriers notamment dans les discours politiques, pour tout et n’importe quoi : Emmanuel Macron parle de « réarmement civique, de réarmement de la France, l’école en première ligne ». Je ne veux pas faire de politique, mais de quelle guerre parlons-nous ?

 

Je me suis mise au « football en marchant »

IN.: si vous deviez échouer sur une île déserte, à quel titre de presse vous abonneriez vous (en dehors de ceux de votre groupe bien sûr)? Et quel objet emporteriez-vous ?

F.M. : en dehors de Ouest France, du fait de mes origines bretonnes auxquelles je tiens, je m’abonnerais à Courrier International car c’est la marque qui permet le plus d’ouvrir ses horizons sur l’international.

Mais si je dois échouer sur une île déserte, il me faut à tout prix une balle, soit de hand, soit de foot, de pétanque, de golf (j’ai commencé le golf quand j’avais 30 ans et ai même gagné la finale Renault Trophy)… J’adore le sport même si je n’en fais pas autant que je le souhaiterais. Ma condition physique n’est plus celle d’avant bien sûr mais néanmoins j’aime l’entretenir. Et je me suis mise au « football en marchant ». C’est un sport qui a été lancé au Royaume-Uni en 2011 pour les 50 ans et plus et est arrivé en France. C’est une version lente du football avec des règles aménagées permettant une pratique loisir totalement sécurisée et accessible à tous et toutes (intergénérationnelle, mixité hommes-femmes et/ou sociale, inclusion). Aujourd’hui, ce sport compte 1000 licenciés et fait partie de la Fédération Française de foot. Je suis allée à mon premier entraînement il y a quelques jours et j’ai adoré. J’ai pris ma licence et je me suis acheté mes chaussures à crampon sur le Bon Coin. Pour la petite histoire, quand j’étais gamine je rêvais de chaussures à crampons et mon père me répétait que le foot était un sport de garçon.  Et puis un jour je reviens du collège et il m’offre ces chaussures. J’étais tellement heureuse j’ai dormi avec elles.  Mon père a d’ailleurs fait une photo où on me voit dans mon lit avec mes chaussettes de foot et les chaussures à crampons qui sortent des draps. (rires)

 

* l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’« À la recherche du temps perdu »

** Editions Tracts Gallimard, 2023

***Editions Les Arènes, 2023

En savoir plus

L’actualité de Fabienne Marquet

-Elle a été réélue en novembre 2023 présidente du Syndicat des Régies Publishers (SRP)* pour un mandat d’un an après un premier mandat débuté en janvier 2022. Un référentiel pour les calculettes carbone va être lancé pour toute la presse

-Depuis 2023, elle est membre du Conseil de l’éthique publicitaire de l’ARPP, présidé par Dominique Wolton.

-En 2023, elle a été intronisée Chevalier des Compagnons de Gutenberg.

-Depuis 2024, elle est membre du conseil d’administration de l’EJCAM, école composante d’Aix-Marseille Université. « C’est la première fois qu’ils intègrent au conseil d’administration un représentant d’une régie publicitaire. J’en suis très heureuse et très fière parce que je me suis toujours battue pour préserver l’intérêt des marques médias qui m’employaient et j’ai toujours cru que le travail que je faisais aiderait à payer des journalistes, et donc à faire du bon journalisme. J’ai toujours été intimement convaincue que la publicité faisait partie de l’économie des médias »

-Elle est administratrice de la filière communication et travaille sur la communication à impact positif

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