« Si Levi’s sortait “Odyssey”(2002) aujourd’hui la copie serait encore pertinente », Ibrahim Seck (Monks Paris)
Ibrahim Seck directeur de la création de l'agence Monks Paris évoque pour INfluencia, l'opération menée pour l’association DesCodeuses. Il a grandi avec Pascal Grégoire, puis a fait des campagnes avec Rémi Babinet, Antoine Choque ou encore Jérôme Galinha. L'occasion de converser avec un fils de pub, Collection quadra.
IN. : pourquoi avoir choisi le format vinyle pour communiquer sur les cyberviolences avec DesCodeuses?
I.S. : derrière le mot cyberviolences, il y a tout d’abord des milliers de femmes qui sont victimes d’attaques sur les réseaux dans la plus grande impunité. Pour essayer de faire bouger les choses, nous avons voulu pointer une aberration : en France, on protège très bien le droit d’auteur (et c’est tant mieux) mais on protège très mal les femmes, des cyberviolences. Nous avons imaginé à partir de constat, de mettre en lumière la triste réalité des femmes victimes de cyberharcèlement grâce à la création de ce vinyle intitulé Album 84 puisque ce phénomène… touche 84% de femmes . L’album regroupe quatre témoignages de femmes, (à écouter ici). Il est disponible sur les plateformes de streaming, a également été pressé en vinyles pour toucher des leadeurs.deuses d’opinion. Il y a par ailleurs de l’affichage DOOH et de l’affichage sauvage.
Album 84, comme le pourcentage de femmes, parmi les victimes de cyberviolences
Affichage sauvage pour DesCodeuses
INfluencia : qui sont les DesCodeuses ?
Ibrahim Seck : DesCodeuses est un ovni puisque c’est la première école qui vise à former les femmes des quartiers populaires aux métiers de la tech. Le mot école est réducteur quand on connaît l’engagement de la fondatrice Souad Boutegrabet -qui vient d’être promue chevalier de la légion d’honneur-. L’objectif de DesCodeuses est de permettre à toutes ces femmes qui ne sont pas considérées de se faire une place dans la tech et in fine de favoriser leur émancipation.
X et Méta veulent faire de leurs plateformes des endroits où on peut dire ce qu’on veut, y compris, tenir des propos sexistes ou racistes pour ne citer que ceux-là.
IN. : ce type de sujets alarmants sont souvent traités au travers d’une campagne d’affichage ou d’un film choc, aujourd’hui cela est-il moins impactant ?
I.S. : je crois que le sujet est avant tout de réussir à inscrire la campagne dans le bon contexte. Le contexte quand on parle de cyberviolences c’est que les propriétaires de X et Méta veulent faire de leurs plateformes des endroits où on peut dire ce qu’on veut, y compris, tenir des propos sexistes ou racistes pour ne citer que ceux-là.
Le contexte c’est aussi le déferlement de violence que l’on a pu voir sur les réseaux lorsque la participation de la chanteuse Aya Nakamura a été évoquée pour la cérémonie d’ouverture des JO. Et elle est là l’absurdité : les chansons d’Aya Nakamura sont mieux protégées qu’elle ne l’est. Autrement dit, on prend plus de risques en téléchargeant ses chansons qu’en l’insultant sur les réseaux. Cet exemple concerne un personnage médiatique mais malheureusement c’est la même chose pour les millions de femmes anonymes qui subissent ces violences.
IN. : vous êtes le directeur de la création de Monks Paris, quel est votre profil, et vos convictions en matière de communication ?
I.S. : après dix ans chez La Chose, quatre ans chez BETC / BETC Fullsix et trois ans chez Monks Paris, ma plus grande conviction me vient de mon quotidien avec une planneuse de grand talent (NDLR, Fanny Camus) : il n’y a pas de bonne campagne sans bon insight. Je n’apprendrais sans doute rien à personne en disant cela mais c’est toujours bien de le rappeler.
IN. : y-a-t-il la pub à l’ancienne et celle d’aujourd’hui faite de multiples éléments ?
I.S. : je ne pense pas. Je suis assez convaincu que si Levi’s sortait “Odyssey” aujourd’hui (lancement en 2002) la copie serait encore pertinente.
Tu pourrais facilement exploiter des scènes iconiques du film en social pour faire les “multiples éléments” que tu évoques et dont les plateformes sont friandes dans la pub aujourd’hui. La pub d’avant et la pub de maintenant ont et auront toujours en commun l’absolue nécessité d’être avant tout de bonnes idées.
IN. : quel est votre rôle aujourd’hui en tant que directeur de création génération quadra ?
I.S. : j’ai grandi avec Pascal Grégoire (NDLR, co-fondateur de La Chose, aujourd’hui co-président de Justement) qui m’a permis de devenir directeur de création. Puis j’ai fait des campagnes avec Rémi Babinet, Antoine Choque ou encore Jérôme Galinha.
Je comprends donc la frustration de certains. En revanche, je refuse d’être nostalgique.
Je ne suis donc pas certain d’être un DC nouvelle génération. Ce qui est certain c’est que mon rôle est toujours d’écouter et de comprendre les enjeux des marques qui viennent nous voir, de rester connecté à notre époque et de faire preuve de créativité pour résoudre des problèmes.
IN. : on entend souvent des quincas+ un peu amers du tournant que prend la com, la pub aujourd’hui, est-ce vraiment un changement aussi radical comme certains le disent ou le pensent ?
I.S. : je vais avoir 45 ans en mars. Je ne suis pas encore aigri (rires) mais je suis presque quinca. Je comprends donc la frustration de certains. En revanche, je refuse d’être nostalgique.
J’ai adoré des moments de ma carrière comme pouvoir faire un film avec Jacques Audiard ou aller tourner une scène à San Francisco parce que le script le nécessitait. Mais les changements qu’on vit dans le métier au quotidien multiplient le champs des possibles.
Aujourd’hui tu peux dire “et si on créait un numéro de téléphone pour l’office du tourisme suédois avec de vrais suédois au bout du fil” et voir Barack Obama parler de ta campagne. Tu peux dire “et si on prankait le monde entier dans une vidéo YouTube” pour mettre en avant le football féminin. Oui le changement est radical mais on peut repousser les limites chaque jour un peu plus.
IN. : le terme « créativité » est utilisé pour tout et n’importe quoi que signifie-t-il pour vous ?
I.S. : la créativité c’est notre capacité à comprendre pour apporter la bonne solution. En posant cette base, tu élimines plein d’utilisations frauduleuses du mot créativité.
Quand j’ai commencé, on travaillait avec des maquettistes pour faire des mises au format et aujourd’hui j’ai un outil qui s’appelle Monks.flow et qui permet de transformer un visuel en une infinité d’assets
IN. : l’IA est un sujet. Quel est votre avis sur la question en matière d’image, de rédaction, de planning stratégique…
I.S. : ce qui est drôle avec l’IA c’est qu’on passe beaucoup de temps à se parler de ce qu’elle nous permettra de faire demain. Or, aujourd’hui, l’IA nous fait gagner beaucoup de temps et nous permet d’être plus efficaces. Quand j’ai commencé, on travaillait avec des maquettistes pour faire des mises au format et aujourd’hui j’ai un outil qui s’appelle Monks.flow et qui permet de transformer un visuel en une infinité d’assets pour une infinité de marchés en quelques secondes. Nos planneurs peuvent aussi discuter en temps réel avec les audiences de nos campagnes. On peut littéralement demander à un conso qui ressemble à notre cible ce qu’il pense d’un nouveau service ou encore de l’utilisation d’un mot plutôt qu’un autre dans une campagne.
D’un strict point de vue créatif, l’IA ne change pas ma vie au moment où nous nous parlons. Mais cela sera probablement différent demain
IN. : Et … de fiabilité… La guerre des IA est-il un sujet qui vous intéresse. Il y a la Chine et Deepseek, la France et Mistral, et ChatGPT… (et tous les autres). Qu’est-ce que cela vous inspire pour le futur proche ?
I.S : L’agence Monks ayant été nommée AI agency of the year par Adweek et Google étant un client de l’agence, nous suivons de très près toutes les évolutions en matière d’IA. D’un point de vue citoyen, j’espère simplement que tous ces acteurs vont réussir à contenir la demande d’énergie qui croît de manière exponentielle avec le développement de l’IA.
IN. : vos campagnes cultes ?
I.S : Question difficile… Disons :
1998: The Independent , Litany
2014, Nike, Fate, David Fincher
2011, Chrysler « Imported from Detroit, 2011
En savoir plus
Les formations proposées par DesCodeuses soutiennent les femmes, pour leur permettre de prendre leur place au cœur des solutions, et changer le monde du numérique de l’intérieur.
Les cyberviolences représentent le crime le moins réprimandé en France. Cette impunité est exacerbée par le manque de ressources allouées aux enquêtes, et par la complexité des procédures judiciaires en ligne. Le Sofnet Report 2022 indique que 80% des victimes de cyberharcèlement estiment que les réponses institutionnelles sont insuffisantes pour les protéger efficacement. Autre fait notable, les femmes sont largement sous-représentées dans le domaine de la cybersécurité, ce qui contribue à l’absence de reconnaissance des préoccupations spécifiques aux femmes dans les stratégies de lutte contre le cyberharcèlement.
Sources: Féministes contre le cyberharcèlement, “Cyberviolence et cyberharcèlement: état des lieux d’un phénomène répandu”, Novembre 2021, enquête conduite par IPSOS auprès de 1008 Français-es âgé-e-s de 18 ans ou plus.
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