12 octobre 2022

Temps de lecture : 3 min

Comment le secteur de l’aviation continue de nous « enfumer » avec les crédits carbones

Le secteur mondial de l’aviation, à lui seul responsable d’1,5% des émissions mondiales des gaz à effet de serre, vise à supprimer ses émissions carbone d’ici à 2050. Mais selon une étude parue cette semaine, les méthodes appliquées pour y arriver induiraient les consommateurs en erreur ce qui pourrait même engendrer « des risques juridiques pour les compagnies aériennes ».

Malgré ce que nous promettent Air France, RyanAir et consorts, le jour ou l’on pourra prendre l’avion en toute impunité, sans crainte de notre impact sur l’environnement, n’est pas près d’arriver. Depuis son introduction le 21 août 2021 dans l’arsenal législatif français, la Loi climat et résilience oblige les compagnies aériennes à compenser leurs émissions de gaz à effet de serre de leurs vols intérieurs sous peine de sanctions. Comme l’explique le site du Ministère de la transition énergétique, l’objectif de cette mesure est de pouvoir : « financer des projets permettant de stocker du CO2 – renouvellement forestier ou toute pratique favorisant le stockage de carbone dans les sols par exemple – ou de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour compenser d’autres activités. Pour s’acquitter de leur obligation de compensation, les exploitants utilisent des crédits carbones ». Une méthode à la Peter Pan en quelque sorte.

En bref, l’idée est que l’argent ira à un projet tiers qui empêchera un volume de CO2 équivalent aux émissions par passagers d’atteindre l’atmosphère. Depuis, de nombreuses compagnies aériennes offrent désormais à leurs clients la possibilité de s’acquitter de ces fameuses compensations au moment d’acheter leur billet. Mais comme le révèle une étude de Carbon Market Watch réalisée auprès de huit compagnies européennes et parue le 10 octobre dernier, ces crédits carbones sont généralement de mauvaise qualité. Pour rappel, cet organisme/gendarme des ciels est une association à but non lucratif spécialisée dans la tarification du carbone et accréditée auprès de l’organisation de l’aviation civile internationale et de l’organisation maritime internationale.

 

 

Déshabiller un Bordeaux-Genève pour habiller un Paris-New York

Depuis l’introduction de cette loi – à l’échelle supranationale, il faut le rappeler –, ses détracteurs ont toujours souligné que le risque était que les compagnies se contentent d’accumuler ces projets dans la comptabilité de leur empreinte carbone, plutôt que de réduire directement leurs émissions en améliorant l’efficacité opérationnelle et technologique de leurs coucous. L’étude de Carbon Market Watch suggère que non seulement les compagnies aériennes ne parviennent pas à compenser réellement leurs émissions, mais qu’elles seraient également en train de retarder la transition énergétique et technologique vers des vols plus propres. Il reste finalement une question en suspens, inhérente à toutes les industries polluantes dans le cadre de cette méthode : l’achat de crédits carbones permet-il réellement d’empêcher les émissions qui, en l’absence de compensation, atteindraient l’atmosphère ?

Prenons un exemple : comme le relèvent les auteurs de l’étude, aussi bien Air France que British Airways, ont inclus la préservation des forêts – au sens large, selon différentes méthodes – dans leur portefeuille de crédits carbone. Pourtant, selon de nombreux activistes et ONG, les compensations forestières étaient bien trop souvent liées à des forêts qui n’auraient jamais risqué d’être tronçonnées par une armée de bucherons chevronnés ou brûlées dans des incendies. Il y a un terme pour ça : le greenwashing. Interrogées par Bloomberg sur la question, les deux compagnies citées ont stipulé que l’achat de crédits n’est qu’une mesure à court terme complémentaire d’une politique de décarbonisation qui s’orchestrera sur le temps long.

 

 

Un discours toxique

Selon l’étude, il est impossible de déterminer la composition complète de ces portefeuilles en raison d’une opacité évidente. Mais le prix moyen des crédits proposés par les compagnies aériennes – moins de 20 euros par tonne de CO2 – laisse penser que la plupart d’entre eux concernent des projets de piètre qualité,  contrairement aux compensations basées sur la capture directe du carbone dans l’air, qui atteignent rapidement les centaines d’euros. L’utilisation d’un langage marketing autour des compensations de carbone expose les compagnies aériennes à de nouvelles formes de risque juridique. Certaines publicités de RyanAir ont été interdites par les régulateurs britanniques en 2020 pour greenwashing, en partie à cause du langage lié à l’utilisation de ces crédits. En juillet dernier, des groupes environnementaux des Pays-Bas ont poursuivi KLM pour avoir fait des déclarations trompeuses sur ses compensations.

Comme il en faut toujours un pour relever les autres, en septembre dernier, la compagnie aérienne britannique EasyJet a carrément déclaré qu’elle allait supprimer ses offres de compensation pour investir directement dans des avions plus économes en carburant. Pour rappel, l’objectif de supprimer les émissions de carbone d’ici à 2050 nécessiterait, selon les compagnies elles-mêmes, 1.550 milliards de dollars d’investissements. Comme dans d’autres secteurs, les Etats seront obligés de mettre la main à la poche pour réaliser cette transition énergétique. L’OACI – l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale – continue de « plaider pour que les États fassent preuve de beaucoup plus d’ambition et d’investissements afin que l’aviation soit entièrement décarbonée d’ici à 2050 ou avant ». Gardez vos ceintures attachées, on est pas près d’atterrir.

 

 

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