27 juin 2022

Temps de lecture : 5 min

Caroline Fourest : « On essaie de ne jamais réduire le débat à sa dimension politicienne »

La presse d’opinion connaît un regain d’intérêt avec plusieurs lancements très réussis ces derniers mois ou années. INfluencia consacre à ces titres une mini-série, dont le premier volet est dédié à Franc-Tireur, avec Caroline Fourest, directrice éditoriale et éditorialiste de l’hebdomadaire lancé en novembre 2021 par CMI France.
INfluencia : Franc-Tireur a été lancé le 17 novembre 2021 en tant que journal d’opinion qui défend la raison. Quel bilan peut-on dresser sept mois plus tard ?

Caroline Fourest : je ne m’attendais pas à ce que l’on trouve un public aussi rapidement. En six mois, Franc-Tireur a recruté 18 500 abonnés et se vend à 25 à 30 000 exemplaires en kiosque chaque semaine, ce qui va bien au-delà de nos espérances. Avec Raphaël Enthoven, Christophe Barbier et Eric Decouty, nous avons sculpté un journal qui voulait résister aux extrêmes et aux excès, en se revendiquant clairement de la raison et de la philosophie des Lumières, avec cette envie d’un approfondissement éclairé. Une des opportunités pour les propagandistes et les radicaux est de se saisir de la rapidité des choses pour tout simplifier. Notre mission consiste à aller aussi vite qu’eux pour tout complexifier. Le plus difficile consiste à faire écrire des articles par des intellectuels dans un format très court et à défendre la complexité avec un ton offensif. C’est ce que je pratique depuis un certain nombre d’années, mais aligner un collectif sur ces réglages a été un vrai défi. On fait beaucoup travailler nos rédacteurs pour arriver à cette métabolisation de la complexité dans un format court et attractif et on ne les lâche pas sur cet objectif de faire toujours plus court et plus clair. C’est là que réside la résistance et le combat parce que cette métabolisation demande un surcroît d’énergie.

Une des opportunités pour les propagandistes et les radicaux est de se saisir de la rapidité des choses pour tout simplifier. Notre mission consiste à aller aussi vite qu’eux pour tout complexifier

IN : que dit ce succès, comme celui d’autres titres lancés ces derniers mois ou années, de l’attente envers une presse d’opinion ?

C.F. : dans l’immense magma numérique où tout le monde se retrouve submergé par un trop-plein d’informations, chacun cherche un moyen d’y voir clair et de s’y retrouver à partir de sa sensibilité. Des gens nous disent que cela leur fait du bien de lire Franc-Tireur et de se rendre compte qu’ils ne sont pas tout seuls à trouver que des gens sont beaucoup trop énervés. On s’énerve ensemble avec des gens qui nous énervent mais l’objectif est de retrouver un calme commun et de s’apaiser car il y a encore des gens qui prennent le temps d’analyser.

IN : en tant que presse d’opinion, quelle place réservez-vous aux politiques ?

C.F. : on n’interroge quasiment pas de politiques, mais on a récemment publié un grand entretien avec Carole Delga, la présidente de la région Occitanie, et Michaël Delafosse, le maire de Montpellier, deux personnalités de gauche entrées en dissidence par rapport à Nupes. Franc-Tireur a envie d’être un lieu où la gauche peut se poser les questions de fond. Nous venons d’une gauche très attachée à la laïcité et aux questions républicaines. On sera mordants et offensifs avec ceux qui égratignent ces valeurs et ces principes.

IN : dans quelle mesure la période électorale ou la guerre en Ukraine ont-ils porté le lancement ?

C.F. : lutter contre les postures extrémistes est très décorrélé de l’enjeu électoral. Il y a toujours un sujet pour Franc-Tireur, qu’il s’agisse de la propagande russe sur la guerre en Ukraine, de la montée de l’extrême droite, des postures victimaires, racialistes ou à tendance pro-islamiste. On ne s’ennuie jamais comme, malheureusement, on ne s’ennuie jamais depuis une bonne vingtaine d’années en matière de lutte contre les postures extrémistes et la polarisation. On a annoncé très tôt la fin des poutinolâtres, dès le numéro du 2 mars qui montrait Poutine se faisant baiser la main par Jean-Luc Mélenchon, Eric Zemmour et Marine Le Pen. C’est d’ailleurs un de ceux qui s’est le mieux vendu, avec 29 000 exemplaires. La brutalité de l’invasion russe en Ukraine a eu au moins le mérite de faire tomber les masques. Quand, un jour, j’avais dit à la télévision qu’il n’y avait pas plus nocif que Poutine pour la planète, les gens éclataient de rire. Comme certains avaient éclaté de rire quand on disait qu’un jour il y aurait des attentats à Paris… Cela montre aussi l’importance de ne pas se désintéresser de l’international. On essaie de ne jamais réduire le débat à sa dimension politicienne, de toujours le lire à travers les grandes questions et les débats de fond : le rapport à l’Union européenne, à l’environnement… Sur Nupes, on a été assez sévères. Du point de vue tactique, on peut être emballés par cette alliance mais, du point de vue intellectuel, on ne peut qu’être frappé par les grandes fractures et les grands clivages.

IN : certains sujets sont-ils plus « vendeurs » que d’autres ?

C.F. : En dehors du numéro un qui s’est vendu à 72 000 exemplaires, les ventes sont assez stables, avec un plus bas à 19 000 et jusqu’à 35 000 pour le numéro spécial sur « Les dix raisons de bloquer Marine Le Pen », qui était un vrai mode d’emploi au moment où on avait besoin. Le titre marche bien sur les questions de réarmement intellectuel, ce qui est satisfaisant car c’est une belle approche. On essaie de faire porter nos unes par le dossier mais on s’autorise parfois à s’en éloigner pour faire une affiche. Au début de la guerre en Ukraine, les numéros sur Poutine ont bien fonctionné. Comme celui sur CNews avec une enquête qui n’était pourtant plus tellement dans l’actualité, mais qui nous tenait à cœur.

Le titre marche bien sur les questions de réarmement intellectuel, ce qui est satisfaisant car c’est une belle approche

IN : quel type de lecteurs avez-vous attiré vers Franc-Tireur ?

 C.F. : on a un public très large, qui va de gens de très haut niveau et très CSP+, qui lisent encore la presse, à des gens qui ne lisaient plus du tout la presse. Certains nous disent qu’ils n’avaient jamais été abonnés à rien ou qui s’étaient désabonnés de tout. Le but est que le journal apporte quelque chose d’éclairant et de stimulant intellectuellement le temps d’un très long café. En proposant un petit format, on a aussi l’attractivité du prix à 2 euros, qui devient accessible à des gens qui n’avaient plus les moyens d’acheter la presse. On a d’ailleurs envie de lancer une formule pour les étudiants. C’est mon rêve que les étudiants, les gens qui n’ont plus les moyens d’acheter la presse et les CSP+ lisent le même journal avec le même plaisir. Si on y parvient, on arrivera peut-être à armer intellectuellement des gens sur des sujets qui les concernent tous, en leur faisant en plus le plaisir de garder ce lien avec la presse écrite.

Le public de Franc-Tireur va de gens de très haut niveau et très CSP+, qui lisent encore la presse, à des gens qui ne lisaient plus du tout la presse ou n’avaient plus les moyens de l’acheter

IN : des évolutions à venir sur la ligne éditoriale et sur la marque ?

C.F. : on veut s’améliorer sur les questions environnementales et économiques. De jeunes passionnés d’économie nous rejoignent et nous voulons les former à écrire avec profondeur et pédagogie. Cet été, nous voulons aborder des thèmes de société comme l’emprise, les OGM ou le rapport du Giec pour trier la part de fantasme de l’alerte véritable qu’il faut entendre. Comme on est très critiques sur l’écologie punitive, on ne veut pas oublier que l’écologie reste la philosophie politique de l’avenir et proposer des pistes très concrètes pour montrer aux gens ce qu’ils peuvent faire pour sauver la planète sans tout défaire. Nous allons aussi parler des grandes aventures, par exemple en donnant la parole à des gens comme l’explorateur et écrivain Patrick Franceschi (auteur notamment de S’il n’en reste qu’une sur deux combattantes kurdes pendant la guerre en Syrie, ndlr), pour qu’il nous parle de ses expériences autour de La Boudeuse, le trois-mâts sur lequel il emmène des jeunes pour se construire en voyageant et qui vient de se voir confier une mission Planète 2022 sur le service national universel qui partira à l’automne pour un tour du monde. Compte tenu de l’accueil de l’hebdomadaire, CMI souhaite que l’on développe quatre hors-série par an et que l’on rénove le site. C’est ambitieux, mais il faut tenir cette exigence sur tous ces supports.

 

 

 

En savoir plus

Franc-Tireur compte 18 500 abonnés et ses ventes atteignent en moyenne 30 000 exemplaires chaque semaine.

Une étude lecteur a montré que :

  • les acheteurs actuels avaient acheté 90% des numéros précédents.
  • 94 % des acheteurs actuels disent qu’ils vont continuer à l’acheter régulièrement dans le futur.
  • la moitié le feront principalement pour soutenir et participer au combat de Franc-Tireur. L’autre moitié pour la qualité de ses contenus.

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