4 juin 2025

Temps de lecture : 5 min

Care : « si les hommes avaient des règles, le problème aurait été réglé depuis longtemps »

Claire Boswell, rédactrice, planeuse stratégique, Benoit Jung, DA et Louis Tierny, commercial, tous trois freelance, se sont choisis et réunis le temps de réaliser cette campagne pour l'ONG Care, qui lutte contre l’extrême pauvreté, les injustices sociales, et défend les droits des femmes et des filles. Une aventure peu ordinaire que racontent Louis et Claire à INfluencia.

INfluencia: les campagnes probono réalisées par des agences, sont légion. Les projets nés hors les murs sont moins courantes. Racontez-nous cette aventure.

Louis Tierny : je suis freelance et j’ai un esprit créatif, donc j’ai besoin de m’occuper l’esprit en imaginant des concepts créatifs. J’avais une idée que je voulais développer à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes en mars. J’ai approché au culot, la DIRCOM de Care France sur LinkedIn. En lui exposant rapidement mon idée, elle m’a répondu qu’elle n’avait pas d’argent. Je lui ai dit  » Ne vous inquiétez pas, c’est Probono. Offrez-moi 5 minutes de votre temps pour que je vous raconte l’idée. Elle a trouvé ça super mais malheureusement nous étions à 2 jours de la journée internationale des femmes, un peu short. En revanche, elle m’a évoqué la journée internationale de la santé menstruelle fin mai. « Je serais curieuse de vous faire réagir sur le brief. » Du coup j’ai trouvé le sujet hyper inspirant de briser le tabou des règles. Un sujet qui concerne la moitié de l’humanité ! J’ai pris le brief et tout de suite pensé à m’entourer de gens talentueux, Claire, conceptrice rédactrice et planneuse stratégique que je connaissais pour avoir travaillé dans la même agence et nous nous sommes mis à travailler, voilà.

IN. : le message, “Privée de lycée. De réunion. De dormir à la maison. Normal, elle a ses règles » interroge.

Claire Boswell : de fil en aiguille, nous nous sommes réunis et travaillé sur le sujet, en rentrant dans le détail de la campagne. Nous nous sommes rendus compte qu’en fait le sujet des règles en communication consiste à montrer du sang. Or, ce n’était pas aux règles que nous voulions nous attaquer, mais à la construction qu’en ont fait les sociétés, et ce sans exception. En fait, en compulsant dans les documents fournis par Care, nous nous sommes rendu compte que les règles, sont un sujet très délicat, éminemment intime, quelque chose qui se passe dans la culotte dont on ne parle pas, qui est mal connoté et met les gens mal à l’aise. Il y a aussi tout un imaginaire de mystère nourri par beaucoup d’histoires sur l’hystérie des femmes etc. Nous voulions aller plus loin, porter haut la problématique complexe à la fois sociale et culturelle que représentent les règles. Le tabou des règles est bien plus qu’un enjeu de santé, c’est une mécanique d’inégalités et l’une des discriminations sexistes les plus répandues dans le monde, aussi bien en France et les pays occidentaux que dans les pays des Suds où les conséquences sont démultipliées. 

IN. : Pas facile d’aller sur un autre terrain… la mode est aux culottes menstruelles, aux cups, et à une prise de parole féministe notamment avec cette fameuse campagne La Vulve…

C.B. : justement, nous sommes partis d’un tout autre point de vue. Pas question de mettre du sang partout, des culottes pleines de sang, on n’y croit pas. Nos recherches ont montré que les hommes et les femmes ignorent cette fonction de vie qu’ont les règles, c’est quelque chose de sale, de honteux, et c’est quelque chose qui existe dans toutes nos sociétés occidentales ou non.

L.T. : du coup, nous avons choisi de faire confiance à l’intelligence et à l’humanité des gens en démontrant l’injustice dont pâtissent les femmes du fait de ces règles. Une injustice injustifiable, un rejet, une construction humaine historique, qui malgré une certaine banalisation, est encore aujourd’hui présente partout.

IN. : d’où la signature…

L.T. : oui, « Les règles sont naturelles pas l’injustice », est arrivé assez naturellement parce que ce sujet recouvre des thématiques sociales, culturelles, religieuses, historiques.

IN. : on devine dans ces visuels des origines et populations différentes. Comment avez-vous travaillé l’universalité de cette injustice ?

C.B. : la campagne est à la fois humaine, universelle mais ne pointe pas de pays, de cultures en particulier. Nous nommons les femmes qui sont photographiées (pas les pays), elles pourraient être en Afrique, en Inde, ou en Europe. Nous avons tendance dans nos pays occidentaux, en France aussi, à avoir souvent une posture de jugement et à nous croire assez volontiers irréprochables. Or ce n’est pas vrai, c’est même loin d’être le cas. Le sujet des règles et de la précarité menstruelle est partout. Il y a du chemin à faire.

L.T. : et puis nous ne voulions pas mettre les publics à distance, choisir « l’ailleurs » pour traiter de ce sujet aurait mis le public à l’abri de la réflexion. Ce n’était pas l’objectif. Voilà, nous voulions que tous se sentent concernés. Cela ne touche peut-être pas nos filles, nos femmes directement comme c’est le cas à l’étranger, mais cette transposition pousse à nous sensibiliser sur le sujet et à juger insupportable et aberrant, cet état de fait.

IN. : comment avez-vous avez choisi les visuels ?

L.T. : l’objectif est surtout de ne pas provoquer les « Ah bah en Inde ou au Népal, ils font ça et c’est monstrueux. » Non, la jeune fille est obligée d’aller dormir dans une cabane, une autre ne peut pas aller au travail, l’autre ne peut pas quitter le domicile ou aller dans la cuisine car elle est impure… Cela nous amène à la précarité menstruelle directement. Cela impacte le droit des femmes, la déscolarisation, l’exclusion et en fait c’est vraiment un effet domino assez atroce que nous voulions mettre en avant dans le cadre de la campagne. Le tabou des règles marque le début des inégalités homme femme.

IN. : vous avez également réalisé un micro-trottoir… un jeune homme lance « si les hommes avaient des règles, le problème aurait été réglé depuis longtemps? »

L.T. : avec CARE nous avons interrogé des passants avec une série de questions chocs : “Que diriez-vous si votre fille était exclue de son lycée à cause de ses règles ?” ; “Si votre sœur n’avait plus le droit de dormir à la maison pendant 4 jours ?”. L’interviewé qui a lancé cette phrase a tout dit. Patriarcat, politique. Vous le savez, dans les entreprises, on entend des interjections du type: « tu es stressée, énervée, hystérique, tu as tes règles non ? » « Tu es de mauvaise humeur, tu as tes règles ». Enfin, c’est insupportable en fait. Un jour nous ferons une campagne pour célébrer les règles.

C.B. : on a réalisé ce micro-trottoir aux Halles, pour faire réagir des gens de tous âges, de toutes cultures. Il y a une justesse dans les propos qui interroge sur l’aberration de cette injustice.

IN. : quelles sont les thématiques plus précisément ?

C.B. : l’exclusion dans certains pays, puisque les femmes sont jugées « impures » quand elles ont leurs règles. Au Vanuatu ou au Népal, elles sont chassées du foyer pendant leurs menstruations et doivent dormir dans des abris précaires, causant plusieurs décès chaque année. 85% des femmes sont exclues d’au moins une activité pendant leurs règles (1). Les risques de santé, beaucoup utilisent des substituts dangereux (boue, papier journal, chiffons souillés), favorisant infections et maladies. 

L.T. : les inégalités, dans beaucoup de pays des adolescentes manquent l’école lorsqu’elles ont leurs règles, faute de protections et de sanitaires adaptés. En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, un tiers des filles manquent une partie ou la totalité des jours d’école pendant leurs règles (2). Ce décrochage scolaire accentue les inégalités de genre. La honte et la stigmatisation, le sang menstruel est perçu comme « sale » : plus d’une fille sur deux de 11 à 18 ans a ressenti de l’angoisse ou de la peur lors de leurs premières règles (3). 

Sources :  

1 Demographic and Health Survey, 2022

UNICEF, 2024

Opinion Way et Règles élémentaires, 2023

En résumé

CARE est l’un des plus grands réseaux d’aide humanitaire au monde, apolitique et non confessionnel. CARE s’attaque aux causes profondes de l’extrême pauvreté et aux conséquences du changement climatique, dans des situations d’urgence ou de développement à long terme. L’ONG CARE met les femmes et les filles au cœur de ses programmes.
Près de 2 milliards d’euros risquent d’être amputés à l’Aide Publique au Développement (APD) mettant en danger la solidarité internationale. CARE se mobilise avec Coordination Sud et les ONG françaises. #StopàlabaisseAPD

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