Arnaud Belloni (Renault) : « Nos performances ont été générées tout en réduisant de 40 % notre budget marketing mondial »
Le directeur marketing monde Renault, Arnaud Belloni nous révèle comment il a redoré l’image du constructeur automobile en passant à une stratégie de valeur tout en centralisant son marketing et en réduisant ses dépenses mondiales en marketing.
INfluencia : Après plus de 16 ans chez Stellantis où vous avez notamment occupé le poste de Chief Marketing Officer, vous êtes retourné en novembre 2020 chez Renault où vous avez commencé votre carrière en 1994. Quelle a été votre première priorité lorsque vous avez repris les commandes du marketing du groupe ?
Arnaud Belloni : Lorsque je suis revenu chez Renault en novembre 2020, le groupe affichait une perte abyssale de 8 milliards d’euros. Cette situation était liée au fait que la marque avait privilégié pendant des années les volumes plutôt que la valeur. Or tout le monde sait que les remises tarifaires détruisent la valeur d’une entreprise et sont des ennemies de la création. L’image de Renault était donc très écornée. Notre dernière force était notre réseau. Notre première décision a été de passer d’une stratégie de volume à une stratégie de valeur car quand la valeur se développe, les volumes finissent à terme par repartir à la hausse. Il nous a fallu, pour cela, changer en très peu de temps le visage de Renault. Le challenge est que l’automobile s’inscrit dans un temps industriel plutôt long. La première chose pour accroître la valeur d’une marque est de changer de gamme mais dans notre secteur, il faut compter entre cinq et dix ans pour voir le premier dessin d’un nouveau modèle se transformer en voiture en circulation dans les rues. Or nous n’avions absolument pas le temps d’attendre si longtemps.
IN : Comment avez-vous alors relevé cette mission qui semble impossible ?
A. B. : La première chose que nous avons fait est de changer immédiatement notre logo qui reste le point focal de toute marque. En deux mois, nous avons parallèlement refait tout le look de nos sites web et nous avons modifié totalement notre univers publicitaire.
Pour chaque lancement, nous réalisons un film unique pour le monde entier et nous le diffusons pendant une période d’environ dix-huit mois.
IN : En changeant d’agence ?
A. B. : Non. Nous sommes restés fidèles à Publicis mais toutes les équipes en charge de notre budget ont été modifiées chez eux. Marco Venturelli, qui est probablement le meilleur créatif au monde, se charge désormais de nos campagnes. En interne, nous avons formé une direction marketing monde qui n’existait pas jusqu’alors ce qui était pour le moins aberrant. Nous sommes partis d’une page blanche en créant une équipe de cinquante personnes. Notre seconde décision a été de créer pour chaque lancement un film unique pour le monde entier et de le diffuser pendant une période d’environ dix-huit mois. Dans le passé, nous pouvions faire entre six et huit films régionaux pour chaque lancement. Réaliser une production unique nous permet de travailler avec les meilleurs réalisateurs et les meilleurs créatifs. Cette stratégie nous aide, par ailleurs, à avoir une énorme cohérence mondiale.
Certains de nos films peuvent notamment étonner comme celui de la Renault Captur Hybride qui conseille aux consommateurs de ne pas prendre leur voiture tous les jours.
IN : Quels messages souhaitez-vous véhiculer pour redorer l’image de la marque ?
A. B. : Les trente cinq films que nous produisons chaque année sont axés sur la technologie, nos produits et notre histoire. Nous insistons notamment sur le fait que nous sommes un des pionniers dans le domaine des véhicules électriques. Avec Tesla aux Etats-Unis et Nissan au Japon, Renault a été le premier en Europe à miser sur cette technologie. Notre groupe a toujours été très innovant. Il a notamment lancé le monospace et le turbo. Nous avons aussi la particularité d’être une marque latine. Dans le passé, beaucoup de constructeurs latins essayaient de copier les Allemands mais cela trahissait notre ADN. Renault est présent dans 120 pays. Les Français sont souvent admirés et jalousés mais nous avons décidé de suivre le chemin que nous nous sommes tracés quitte à aborder des sujets sensibles. Certains de nos films peuvent notamment étonner comme celui de la Renault Captur Hybride qui conseille aux consommateurs de ne pas prendre leur voiture tous les jours. La modernité est une autre valeur importante de notre groupe comme le prouve l’accord cadre que nous avons conclu avec Google.
IN : Les marques automobiles françaises sont toutefois moins réputées que les fabricants allemands notamment…
Notre stratégie ressemble à une pyramide. À son sommet figure notre « brand power ».
IN : Comment comptez-vous prendre ce virage sans encombre ?
A. B. : Notre stratégie ressemble à une pyramide. À son sommet figure notre « brand power ». Nous devons nous assurer de ne jamais corrompre notre marque en offrant des remises ou en proposant des séries limitées en lien avec des marques faibles. En bas et à droite de notre pyramide est notre volonté de raconter des histoires et de ne jamais parler pour ne rien dire. Chaque prise de parole doit avoir du sens. Nous devons enfin nous assurer de bâtir une marque singulière et différente.
IN : Tout cela prend du temps…
A. B. : Certes mais nous avons la chance d’avoir dans notre groupe les meilleurs designers au monde. Nous commençons déjà à proposer des véhicules de rupture comme la R5 et la R4. Nous avons mis bien moins de dix ans pour y arriver. L’image de marque de Renault a changé ces quatre dernières années et je ne frime pas en disant cela…
IN : Comment pouvez-vous en être certain ?
A. B. : Nos ventes sont en hausse. L’an dernier, nous étions les seuls constructeurs, avec Ferrari, à afficher des bénéfices.
Nous sommes aujourd’hui reconnus comme étant une marque mondiale.
IN : Ces performances sont-elles dues à une hausse de vos dépenses en marketing ?
A. B. : Bien au contraire. En centralisant tout notre marketing autour d’une équipe réduite de cinquante personnes et en limitant le nombre de nos films publicitaires, nous avons réduit de 40% notre budget marketing mondial. Nous avons, dans le même temps, gagné 18 points dans le classement Kantar Brand7 Top 50 France. Nous avons également reçu ces quatre dernières années plus de 350 prix publicitaires dans le monde entier et notamment à New York et à Londres. Nous sommes aujourd’hui reconnus comme étant une marque mondiale.
IN : Quelles sont, selon vous, les campagnes publicitaires les plus emblématiques que vous avez lancées depuis votre retour chez Renault ?
A. B. : Le teasing que nous avons fait avant le lancement de la R5 dans lequel nous mettions en avant le chiffre 5 sans jamais montrer la voiture est très fort. Le film sur la R5 Roland Garros est, lui, très élégant et poétique.
Celui sur Renault Care Service qui montre la Fuego, et que nous avons diffusé trois mois après mon arrivée dans le groupe, était lui aussi très poétique.
Notre méthode est toujours la même. Nous cherchons à parler au cœur des gens et pour les toucher, nous n’hésitons pas à sortir des sentiers battus.