19 décembre 2025

Temps de lecture : 10 min

« Ma relation à Stendhal est presque névrotique » : Clément Léonarduzzi (Publicis France)

L’ex-conseiller présidentiel Clément Léonarduzzi, aujourd’hui vice-président de Publicis France et président de Publicis Consultants, ne veut plus parler politique. Ce dingue de football et de littérature, qui aurait pu devenir prêtre répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’Hôtel Littéraire Le Swann* – Proust oblige.

INfluencia : Votre coup de cœur ?

Clément Léonarduzzi : Il est pour les œuvres d’intérêt général et les séries. Alors qu’on vient de célébrer les dix ans des commémorations des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, j’ai regardé sur le service public une série extraordinaire réalisée par Jean-Xavier de Lestrade, intitulée « Des vivants ».

Elle retrace l’histoire méconnue de sept otages – Marie, Arnaud, Caroline, Sébastien, Grégory, Stéphane et David – qui ont fait face aux terroristes et ont été utilisés comme boucliers humains pendant plus de deux heures dans l’étroit couloir du Bataclan. La série raconte leur retour à la vie, la manière dont ce groupe de rescapés s’est construit une amitié indestructible. C’est une œuvre bouleversante d’humanité, de pudeur et de résilience.

« Des vivants » est une œuvre majeure, d’intérêt général.

Mais au-delà de sa qualité intrinsèque, ce qui m’interpelle profondément, c’est qu’elle représente l’un des rares moments d’union nationale. Nous traversons une période où, à part le sport, le deuil et le devoir de mémoire, il existe finalement très peu d’occasions de ressentir cette impression d’appartenir à un même pays, à une même époque, à une même philosophie.

Et paradoxalement, cette série à la fois intime et universelle vous émeut autant qu’elle vous questionne : elle interroge la perte, le deuil, la réparation, le rôle des parents, la reconstruction. Évidemment, des polémiques ont émergé : fallait-il replonger dans l’écrin de l’horreur pour redonner à voir la monstruosité de l’acte ? Certains survivants ne se reconnaissent pas dans cette histoire. Ce sont de vraies questions, légitimes et douloureuses. Mais honnêtement, « Des vivants » est une œuvre majeure. Une œuvre qui méritait d’être montrée.

Je suis reconnaissant au service public de produire des œuvres de cette intensité-là et d’intérêt général.

On débat beaucoup aujourd’hui de la raison d’être du service public audiovisuel, on se demande s’il faut une BBC à la française et on se questionne sur le devoir d’information. Il m’arrive souvent d’en être un spectateur critique. Mais il m’arrive aussi d’en être admiratif, et même reconnaissant, lorsqu’il produit des œuvres de cette intensité-là,  et je n’ai pas peur de le dire, d’intérêt général.

Sur un tout autre sujet, une minisérie un tout petit peu plus ancienne m’a beaucoup touché : « Adolescence » de Stephen Graham sur Netflix, qui raconte le poids de l’algorithme, la violence des rapports de genre, comment cette génération est en train d’être construite et polluée par les réseaux sociaux. Elle a été diffusée dans les collèges et lycées britanniques (ndlr : l’ex-ministre de l’éducation Elisabeth Borne a annoncé en juin dernier qu’elle serait proposée comme support pédagogique à partir de la 4ème).

IN. : Et votre coup de colère ?

C.L. : Je ne sais pas s’il s’agit de colère, plutôt d’indignation face à la dégradation du débat public et politique, désormais réduit à la petite phrase, à la fake news et aux ingérences étrangères. Et de tristesse face à notre incapacité collective à réaliser que nous sommes un pays qui crée de l’intelligence et de la richesse de manière absolument remarquable.

La phrase attribuée à Talleyrand : « Quand je me regarde, je me désole ; quand je me compare, je me console » est d’une justesse implacable.

Depuis vingt ou vingt-cinq ans, nous vivons au rythme d’une litanie nostalgique : « c’était mieux avant ». Il suffit de relire le livre de Nicolas Baverez, « La France qui tombe ». Bien sûr, beaucoup de choses ne fonctionnent pas correctement dans notre pays, et c’est une responsabilité à la fois individuelle et collective. Mais je fais partie des optimistes pragmatiques, convaincus que la France possède bien plus d’atouts, de richesses et de talents qu’on ne le croit.

Les exemples abondent. Dans l’intelligence artificielle, des entreprises comme Mistral AI montrent notre capacité d’innovation. Sur le plan académique, nous avons obtenu deux prix Nobel d’économie en moins de dix ans. Nos écrivains brillent, plusieurs ayant reçu le prix Nobel de littérature. Notre patrimoine gastronomique, culturel et créatif est unique. Et nous savons accomplir des défis que l’on disait impossibles, comme la réouverture de Notre-Dame en cinq ans.

On m’a souvent répété, tout au long de ma carrière, qu’il faut savoir chausser les bonnes lunettes. Oui, certaines choses allaient mieux hier ; mais beaucoup vont aussi mieux aujourd’hui. Nous vivons plus longtemps, en meilleure santé, dans de meilleures conditions, et nous disposons de services publics que bien des pays nous envient.

Mais c’est là où nous formons une société profondément paradoxale : nous râlons sans cesse – moi le premier – et nous sommes capables de véritables prouesses : nous enflammer collectivement pour des Jeux Olympiques dont pourtant, le pays entier ne voulait pas au départ. Je suis sans doute la caricature de ces élans successifs de joie et de colère. Mais je suis résolument fier d’être français, et convaincu que la France a un destin bien plus grand que ce que prétendent les déclinistes.

La phrase attribuée à Talleyrand : « Quand je me regarde, je me désole ; quand je me compare, je me console » est d’une justesse implacable.

Le 31 mai dernier, j’ai eu l’impression que quelque chose de mon enfance, de ma passion première pour le sport, se refermait doucement

IN. : La personne ou l’événement qui vous a le plus marqué dans votre vie ?

C.L. : Entre l’évènement et la personne qui m’ont le plus marqué dans ma vie, il y a un grand écart. Il s’agit d’un épisode récent, qui peut sembler léger, mais qui compte énormément dans ma construction personnelle : la victoire du Paris-Saint-Germain en Ligue des Champions, le 31 mai dernier. Je suis un dingue de football, mais vraiment un dingue de football. La première fois que je suis allé au Parc des Princes, c’était en 1987, pour un derby entre le club de Lagardère et le Paris-Saint-Germain, alors naissant.

J’en garde un souvenir presque inscrit dans ma peau : le bruit, la fureur, l’énergie brute d’un spectacle qui m’a littéralement marqué au fer rouge. Et lorsqu’on est supporter du PSG, on a connu des heures compliquées. Alors le 31 mai dernier, j’ai eu l’impression que quelque chose de mon enfance, de ma passion première pour le sport, se refermait doucement : « Ça y est, c’est arrivé, ce club a gagné ». C’était un moment presque initiatique.

Avant de découvrir l’ouvrage fondamental de Jean Tulard, « Napoléon ou le mythe du sauveur », j’avais dévoré, adolescent, les quatre tomes que Max Gallo avait consacrés à sa vie

Plus sérieusement, deux figures ont profondément façonné ma construction personnelle : Napoléon et Stendhal. D’ailleurs, il existe entre eux de vrais points communs : le sens de l’épopée, la manière de saisir leur époque, une forme de lyrisme, et même leur rapport aux passions et aux sentiments. J’ai beaucoup lu sur Napoléon. Avant de découvrir l’ouvrage fondamental de Jean Tulard, « Napoléon ou le mythe du sauveur », j’avais dévoré, adolescent, les quatre tomes que Max Gallo avait consacrés à sa vie.

Quant à Stendhal je fais partie des « beylistes » (ndlr : le vrai nom de Stendhal est Henri Beyle). « Le Rouge et le Noir », « La Chartreuse de Parme », « De l’amour », « Lucien Leuwen », « Armance » sont autant de livres qui m’ont profondément marqué. Tout me parle et m’enthousiasme chez lui : ses personnages, son regard sur l’histoire, son écriture qui navigue sans cesse entre le réel et l’imaginaire.

J’ai rédigé un mémoire sur Guillaume Apollinaire et j’ai connu des passions successives pour de nombreux auteurs – Alexandre Dumas, Victor Hugo et d’autres. Mais ma relation à Stendhal est d’un autre ordre, presque névrotique. Quand je suis arrivé à Paris, je levais les yeux pour repérer les plaques « Ici a vécu Stendhal ». Pour moi, Stendhal reste un véritable Graal.

IN. : Votre plus grande réussite ? (pas professionnelle)

C.L. : Cela peut sembler anodin, presque dérisoire, mais j’ai une petite fierté personnelle : avoir des enfants – 9, 11 et 18 ans – qui lisent. Qui lisent de tout et n’ont pas renoncé au livre papier. Cela ne les empêche pas, bien au contraire, d’être parfaitement à la page en matière de dessins animés, de films ou de séries. Zoé, ma cadette, dévore tout ce qui lui tombe sous la main : romans, bandes dessinées… Elle lit avec une véritable boulimie, et à l’heure où l’on s’inquiète tant des écrans, c’est pour moi un immense motif de fierté.

J’ai aussi une seconde petite réussite, plus modeste encore. Je suis un cuisinier lamentable – vraiment lamentable – mais j’ai fini par maîtriser le saumon à l’unilatérale. J’y ai mis du temps, mais finalement, ce n’est pas si compliqué. Une petite victoire, certes, mais une victoire quand même. Pour le reste, en cuisine… c’est la catastrophe.

J’ai un rapport à la création artistique qui est assez faible : je n’ai pas de talent musical.

IN. : Votre plus grand échec ? (idem)

C.L. : J’en ai deux : le piano et l’écriture. Mes parents m’y ont beaucoup encouragé et j’ai fait entre sept et dix ans de piano. Puis, presque du jour au lendemain, la passion et l’envie se sont éteintes. C’est une immense frustration. Pourquoi ? Pour mille raisons : sans doute pas le niveau suffisant, et puis un examen au conservatoire qui ne s’est pas du tout passé comme je l’espérais…

C’est un véritable échec parce que cela me manque. Aujourd’hui, j’aimerais retrouver cette agilité de pianiste, cette capacité à créer de la beauté avec ses mains. J’ai un rapport à la création artistique qui est assez faible : je n’ai pas de talent musical. J’aurais rêvé d’être chanteur, mais je n’ai pas la voix. J’ai cru un moment que le piano pourrait être mon chemin, et j’ai dû me rendre à l’évidence : je n’avais pas le niveau.

Mais mon plus grand échec, mon regret absolu lorsque viendra l’heure du bilan, sera de ne pas avoir été écrivain. J’avais pourtant entrepris des études pour devenir journaliste, mais je n’ai jamais eu ce talent au bout de la plume : cette capacité de créer, d’être maître des mots et d’un récit, ni la résilience nécessaire pour aller au bout d’un livre. J’ai essayé à plusieurs reprises d’écrire, mais je n’y suis jamais parvenu.

J’avais pourtant commencé très tôt. En CM2, j’écrivais de petites histoires, des poèmes que j’offrais à mon frère. J’ai toujours voulu faire cela. Je suis profondément admiratif de ceux qui, avec une forme de régularité presque magique, composent des livres talentueux et nous entraînent dans des histoires sublimes.

Écrire, c’est une forme de naissance, un geste de création qui, pour moi, reste difficile.

IN. : Votre rêve d’enfant ou si c’était à refaire ?

C.L. :  Alors, si c’était à refaire, j’essaierais de me faire accompagner, de m’accrocher davantage pour écrire et je m’investirais pleinement dans cette capacité de créer, par les mots, des récits qui emportent.

Bien sûr, il n’est jamais trop tard. Il y a sans doute une part de non-talent, ou en tout cas de limites, mais je crois aussi qu’écrire un livre, c’est se dévoiler. Il y a toujours une dimension intime, quelle que soit la part d’invention ou le genre du roman. Écrire, c’est une forme de naissance, un geste de création qui, pour moi, reste difficile. C’est là ma vraie frustration.

Et pourtant, si je tire un peu le fil, ma carrière de communicant n’en est pas si éloignée : travailler sur les récits, sur les narratifs, façonner des histoires et leur donner du sens – tout cela dessine une continuité. Ce n’est pas le même médium, ce n’est pas le même vecteur, mais cela reste une manière de raconter, de dépasser l’écrin du quotidien et de façonner un imaginaire.

J’ai un tatouage sur le poignet : « Etiamsi omnes, ego non ». Quand bien même tous les autres, moi non.

IN. : Si Dieu existait, qu’aimeriez-vous qu’il vous dise après votre mort ?

C.L. : Très bonne question. J’aimerais qu’il me dise : « Ce n’est pas si mal ce que tu as fait, tu as droit à un deuxième passage sur terre. » Je fais partie de ceux pour qui le rapport à Dieu compte énormément. Cela a été une construction essentielle dans ma vie.

Il y a même eu un moment où je me suis demandé si je n’allais pas entrer dans les ordres. Avec le temps, ce rapport à Dieu est devenu plus ambivalent, plus complexe. Mais l’idée qu’on puisse avoir droit à une deuxième chance… oui, cela me plairait beaucoup.

Et si Dieu devait me dire une deuxième chose, j’aimerais que ce soit : « Bravo, tu es resté droit dans tes bottes. » Je vais d’ailleurs vous confier un secret. J’ai un tatouage sur le poignet : « Etiamsi omnes, ego non » (Quand bien même tous les autres, moi non). Ce sont les paroles attribuées à Saint Pierre dans le jardin des Oliviers : « Quand bien même tous les autres vous renieraient, je vous resterai fidèle. »

Je suis profondément convaincu que la présidentielle de 2027 sera à la fois très algorithmique et très émotionnelle.

IN. : Une question que vous redoutez et à laquelle vous ne répondrez sans doute pas…

C.L. : Il y a une question qui m’agace autant qu’elle m’interpelle : « Qui va gagner la présidentielle de 2027 ? » Elle m’agace parce que tout le monde a un avis, alors qu’en réalité personne n’en sait rien – moi le premier.

Je ne sais pas si l’élection se gagnera sur le fond ou sur la forme mais, en revanche, je suis profondément convaincu qu’elle sera à la fois très algorithmique et très émotionnelle. Aujourd’hui, le débat public est largement façonné par les algorithmes, les réseaux sociaux, les deepfakes, l’intelligence artificielle…

Dans le même temps, nous traversons – comme beaucoup de pays – une immense fatigue démocratique, une colère diffuse, des tentations populistes. Dans un tel contexte, quelles que soient les convictions de chacun, toute prédiction me paraît vouée à l’incertitude.

IN. : Quelle personne (morte ou vivante) emmèneriez-vous sur une île déserte ?

C.L. : En dehors de Napoléon et de Stendhal, j’emmènerais quelqu’un pour qui j’ai un respect très profond : Eric Fottorino. Son aventure entrepreneuriale et journalistique est remarquable. Il est passionné par la presse, par le papier, par le métier de journaliste.

J’adore Le 1, j’ai dévoré Zadig. C’est aussi un auteur remarquable. Je ne l’ai croisé qu’une seule fois dans ma vie, mais si l’on me disait demain : « Tu peux choisir dix personnes, toutes époques confondues, pour un dîner », je le mettrais dans la liste. Alors l’emmener avec moi sur une île déserte serait encore plus formidable.

Et si vous m’autorisiez à prendre un livre, je ferais d’ailleurs une infidélité à Stendhal : j’emporterais « 4 3 2 1 » de Paul Auster. Je n’ai jamais lu un ouvrage comparable. C’est un livre extraordinaire, qui raconte quatre versions différentes de la vie d’un même protagoniste : un seul événement bifurque, et toute la suite de l’histoire change.

Le roman traverse en plus l’Amérique des années 50 et 60. Et puis, il est immense – près de 1 200 pages. De quoi ne pas s’ennuyer sur une île déserte…

* l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’ « À la recherche du temps perdu ».

En savoir plus

2026 est une année particulière pour Publicis Groupe : l’agence née à Montmartre en 1926, qui s’est hissée au rang de premier groupe mondial de communication, célèbre en effet son centenaire.

Présent dans plus de 100 pays, Publicis Groupe rassemble aujourd’hui plus de 108 000 collaborateurs, dont 5 000 en France. Sur son marché historique, le Groupe est structuré autour de quatre grandes expertises : la Création, les Médias, la Technologie et la Data.

Au cœur de cet écosystème, Publicis Consultants se positionne comme « l’agence des nouvelles influences ». Alors que les mécaniques d’opinion sont en constante évolution, Publicis Consultants aide les marques, les entreprises et leurs dirigeants à se faire entendre, en alliant l’expertise des canaux traditionnels à celle des nouveaux écosystèmes d’influence.

Allez plus loin avec Influencia

les abonnements Influencia

Les médias du groupe INfluencia

Les newsletters du groupe INfluencia