5 décembre 2025

Temps de lecture : 3 min

Balenciaga, Crocs, cheveux sales : l’anti-design et le moche séduisent la Gen Z

Depuis des décennies, les marques polissent leurs visuels comme des vitrines de luxe. Peau lisse, lumière parfaite, couleurs calibrées... Aujourd’hui, les jeunes y opposent un contre-canon radical. Le contenu volontairement « moche » (flou, mal cadré, bricolé) triomphe sur TikTok et Instagram.

Le moche surprend. Le moche fait rire. Le moche dérange… et donc il s’impose.

Dans des fils saturés d’images impeccables, ce sont désormais les vidéos bancales, les photos floues et les montages hasardeux qui retiennent vraiment l’attention.

Highsnobiety, média-baromètre du streetwear, parle dans un de ses articles d’un « great Make-Under », une grande dé-glamourisation portée par une génération lassée du récit parfaitement huilé des années 2010.

Il n’y a qu’à ouvrir Instagram : les contenus flous, saturés ou captés en 0,5 (l’ultra-grand-angle du smartphone qui déforme les visages et produit cet effet bancal devenu viral) sont devenus la norme.

Les « proof of life images », qui privilégient une lumière crue, des poses improvisées et un grain numérique, séduisent précisément parce qu’elles ne cherchent rien à masquer.

Quand le brut s’impose dans la mode

Dans le prêt-à-porter, l’esthétique Indie Sleaze revient en force : looks grungy, maquillages imparfaits, flash agressif, silhouettes « sales » et non retouchées.

Dans ses essais sur la culture lo-fi, Simon Reynolds, l’un des critiques musicaux les plus reconnus du monde anglo-saxon souligne que l’esthétique « brute » a toujours servi de contre-poids aux images trop polies, perçues comme artificielles dans la culture pop.

Le chanteur Royel Maddell, du duo jeune duo australien Royel Otis, en est devenu l’icône involontaire : frange qui lui cache le visage, allure négligée, posture grunge héritée de Kurt Cobain… un vrai anti-« clean girl » (une esthétique virale qui valorise une image très propre née sur TikTok et Instagram autour de 2021–2022).

Au vue du succès planétaire du groupe, les jeunes s’y reconnaissent…

… et les marques suivent. Diesel pousse le concept depuis quelques années en proposant dans ses collections des jeans volontairement salis, vieillis à la main, et un « dirty denim look » assumé, mis en scène dans des visuels volontairement granuleux.

Collection 2023
Collection 2023

Autre cas révélateur : Acne Studios, une marque suédoise très populaire, qui revendique un parti pris « ugly-chic » avec des silhouettes asymétriques, des matières froissées et des accessoires volontairement disproportionnés.

Collection actuelle


Maison Margiela a même présenté en 2023 sa série « Loved To Death » qui comportait des chaussures volontairement mal finies, aux coutures visibles. Et comment ne pas citer leurs fameuses tabi shoes

Sans oublier les succès massifs des Crocs, des Ugg plateform et des Birkenstock Boston : trois modèles longtemps moqués, devenus symboles du « moche confortable ».

Le luxe consacre l’ugly-chic

Le luxe, historiquement prescripteur des codes visuels, a forcément jouer un rôle clé dans cette mutation. En bouleversant ses propres règles, il a légitimé le moche.

Balenciaga en est l’exemple le plus radical. Demna, son directeur artistique, a imposé ses silhouettes « disgracieuses » : vestes difformes, pantalons trop longs, baskets écrasées, volumes incohérents.

Certaines campagnes print sont shootées à l’iPhone (par Demna lui-même), sans retouche, avec une lumière crue rappelant les photos de fin de soirée.

Collection Hiver 2024

L’objectif : désacraliser le luxe, casser l’esthétique “glossy” et jouer sur un réalisme brutal.

Gucci, sous Alessandro Michele puis Sabato De Sarno, a préféré injecter une dose d’humour absurde dans sa communication et des collections : vidéos volontairement bancales, filtres vieillots, compositions « à la limite du kitsch » pour casser l’image sacrée de la maison.

D’autres secteurs du luxe s’approprient ces codes. RIMOWA l’a montré en 2023 avec « A Lifetime of Memories », une campagne où la valise, loin d’être un objet immaculé, assume ses rayures et ses bosses.

L’anti-design n’est pas un « permis à tout faire »

On pourrait aussi y rattacher la nouvelle obsession pour les parfums aux fragrances plus qu’étranges : des notes de sang, de sueur, de diesel ou d’autres accords inattendus.

L’anti-design fonctionne dès qu’il parait sincère. Au contraire, quand il devient trop calculé, il perd toute sa force.

Des exemples récents illustrent ce retournement. Plusieurs marques de fast fashion ayant tenté d’imiter les codes “anti-design” de Balenciaga ont été accusées de copier le moche sans comprendre le message.

À l’inverse, des campagnes bricolées mais réellement spontanées (comme celles du compte TikTok de Duolingo ou de Ryanair) continuent de performer, précisément parce qu’elles ne donnent pas l’impression d’obéir à une formule.

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La Gen Z n’applaudit pas le moche pour le moche, mais ce qu’il révèle : un refus du lissé, du calculé, du sur-mesure algorithmique.

Stephen Bayley, critique du design et auteur d’Ugly: The Aesthetics of Everything, estime qu’un monde entièrement beau serait d’une insondable monotonie. Aux marques de décider ce qu’elles sont prêtes à montrer.

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