Il faut toujours une exception pour confirmer une règle. L’arrivée de Shein en France est loin d’être discrète. En choisissant d’ouvrir au sixième étage du BHV son tout premier magasin physique sur un espace de plus de 1000 m2, le géant chinois de la fast fashion savait qu’il allait faire les gros titres des journaux et soulever une polémique nationale.
De nombreuses autres enseignes asiatiques ont préféré suivre une stratégie beaucoup moins tapageuse pour entrer dans l’hexagone. Leur discrétion ne signifie toutefois pas un manque d’ambition. Bien au contraire…
Le géant mondial de l’immobilier commercial Newmark l’a découvert en publiant une étude à ce sujet. « Sur un échantillon de près de 600 marques asiatiques identifiées, 132 ont ou ont eu un magasin en France, dont 83% ont encore des boutiques en propre », détaille Antoine Salmon, le co-directeur du département Commerces chez Newmark France. Ce chiffre peut paraître modeste mais il est en hausse constante, prouvant ainsi que l’influence de l’Asie sur le marché français du retail ne cesse de progresser.
Nos rues commerçantes et nos centre-commerciaux sont traditionnellement dominés par des enseignes hexagonales ou originaires de pays occidentaux. Ce constant s’explique par une proximité à la fois géographique et culturelle, et par le poids de certains pays dans des secteurs comme la mode (Italie, Espagne), la décoration et le discount (Scandinavie, Pays-Bas) ou encore la restauration rapide (États-Unis).
Les Japonais ont ouvert la voie dès la fin des années 90
Une des toutes premières grandes enseignes asiatiques à s’être installée en France est Muji en 1998. Le groupe japonais compte aujourd’hui six points de vente dans notre pays, à Paris, Lyon et en Ile-de-France. Son compatriote et rival, Uniqlo, a, lui ouvert, son premier magasin sur notre marché en 2007 dans le quartier de La Défense à Puteaux.
Les distributeurs nippons ont été les premiers à débarquer chez nous. Muji et Uniqlo ont, plus récemment, été suivis par Onitsuka Tiger qui a ouvert un flagship sur les Champs-Elysées après le succès de sa boutique dans la rue des Halles.
Les enseignes d’origine asiatique représentent 17% du marché, mais elles progressent
Le Covid a freiné ce mouvement qui est reparti de plus belle depuis la fin de la pandémie. « S’ils représentent une part minoritaire des arrivées d’enseignes étrangères en France – soit une part de 17 % entre 2023 et 2025 – les nouveaux entrants asiatiques sont désormais plus nombreux que les Nord-Américains”, détaille Antoine Salmon.
Les marques chinoises, qui sont véritablement apparues dans notre pays à partir du milieu des années 2010, ont fortement accru leurs investissements depuis le début de cette décennie. Sur près de 50 marques chinoises recensées aujourd’hui, près de 80% ont fait leur apparition en France il y a moins de dix ans. La griffe de mode haut de gamme originaire de Shanghai, Inicle, s’est notamment fait remarquer en achetant un hôtel particulier sur l’avenue George V pour ouvrir un flagship.
Les enseignes de mode asiatique ne sont pas les seules à s’implanter chez nous. La chaîne chinoise d’accessoires et de gadgets Miniso, dont le franchisé exclusif en France est l’ancien journaliste Ariel Wizman, compte déjà 26 boutiques dans notre pays. Son flagship sur les Champs-Elysées, est son plus gros point de vente en Europe. Son rival chinois Pop Mart a, lui, ouvert six magasins à Paris et en proche banlieue depuis son arrivée dans l’hexagone en 2023.
Cotti Coffee, qui a déjà inauguré plus de… 10.000 coffee shops depuis sa création en 2022, devrait aussi bientôt arriver sur notre territoire, croit savoir New Newmark, suivant ainsi le chemin tracé par la marque taiwanaise de salon de thé Gong Cha.
D’autres pays étendent progressivement leur influence, comme le Vietnam et la Corée du Sud. Malgré quelques ouvertures récentes à Paris (Unsaid, Jovadi, Vaishali S, etc.), l’Inde se distingue en revanche par une présence très modeste, qui tranche avec le poids économique de ce pays dans le monde.
43% des points de vente asiatiques concernent la restauration
Le secteur de la restauration représente une part importante des marques asiatiques ayant un point de vente en France (43 %). Ces dernières années, ce secteur a notamment bénéficié de l’engouement pour de nouveaux types de produits (bubble tea taïwanais, fondue chinoise, corndog et poulet frit coréens…). La restauration devance ainsi le secteur de la mode (19 %), caractérisé par une très grande variété de concepts.
Les marques asiatiques de beauté rencontrent également un succès croissant dans nos frontières. De plus en plus présentes dans les grands magasins comme Beauty of Joseon aux Galeries Lafayette et les enseignes spécialisées (Yepoda chez Sephora.), les marques coréennes de K-Beauty sont aussi distribuées au sein de concept-stores dédiés, comme Moida ou Joo Beauty, qui ont respectivement ouvert à Paris et dans Westfield Part-Dieu à Lyon.
L’expansion des marques asiatiques ne fait que commencer
L’expansion des marques asiatiques va se poursuivre dans un avenir proche. Cette dynamique reposera d’abord sur le développement d’acteurs déjà présents en France. Gong Cha vise, par exemple, une centaine d’ouvertures d’ici cinq ans, tandis que Miniso accélère son maillage en région et qu’Uniqlo prévoit de nouvelles implantations. Parallèlement à cela, le vivier de nouveaux entrants potentiels reste important.
« Plusieurs marques importantes accélèrent leur expansion internationale, avec plusieurs exemples récents et significatifs aux Etats-Unis et au Royaume-Uni », indique Antoine Salmon. C’est le cas du géant chinois du sportswear Anta, d’Urban Revivo, parfois présenté comme le « Zara asiatique », ou encore de Bosideng. Connue pour ses doudounes, la marque ne compte qu’un seul flagship en Europe, à Londres, mais elle a récemment organisé son premier défilé à Paris lors de la Fashion Week.
« L’influence des marques asiatiques sur le marché français ne cesse de croître et s’annonce durable, conclut le co-directeur du département Commerces chez Newmark France. Illustrant l’internationalisation accélérée du commerce, ces nouvelles arrivées enrichissent l’offre commerciale en apportant des concepts diversifiés, innovants et bien plus sophistiqués que l’image traditionnellement associée aux marques asiatiques. À l’instar des nombreuses arrivées de marques occidentales avant elles, elles contribuent ainsi à la transformation rapide du paysage de l’immobilier commercial en France. » Le “Made in China” sera de plus en plus “Sold in France”.