Face à la tempête budgétaire : ESS France réactive la force de son collectif
L'organisation lance une campagne nationale d’adhésion face aux coupes budgétaires et à la fragilisation du secteur. Objectif : renforcer l’unité du monde associatif et redonner du poids à un modèle économique fondé sur la coopération et l’engagement collectif.
La campagne d’adhésion lancée par ESS France le 27 mai 2025 s’inscrit dans un climat de grande tension pour le monde associatif, coopératif et mutualiste. Dès l’automne 2024, les annonces du gouvernement sur la loi de finances ont provoqué l’inquiétude des réseaux : coupes dans les crédits de soutien aux structures locales, recentrage des politiques publiques sur des opérateurs « performants » au sens strictement économique, dégradation des moyens d’accompagnement des porteurs de projets sociaux.
La situation est d’autant plus critique que les projections pour 2026 sont encore plus pessimistes. Dans une tribune publiée en mars dernier, Benoît Hamon alertait sur le risque de suppression de plusieurs centaines de milliers d’emplois dans le secteur, évoquant « un décrochage brutal entre les engagements écologiques et sociaux affichés par l’État et la réalité des moyens alloués à ceux qui les incarnent au quotidien ».
Un appel à l’adhésion collective face au repli individualisé
La campagne se veut avant tout un signal fédérateur. Du 27 mai au 16 juin, ESS France déploie une série de publications sponsorisées sur LinkedIn, accompagnée de relais territoriaux via les CRESS (Chambres régionales de l’ESS). Le slogan — « À force de tout supprimer, on perd ce qui compte vraiment » — assume une forme de gravité. Il s’agit moins de recruter que de réveiller.
En effet, cette campagne ne vise pas une simple croissance en nombre d’adhérents, mais cherche avant tout à renforcer la cohérence et la structuration collective du secteur dans un moment de fragilité. Le cœur du message est clair : adhérer à un réseau de l’ESS n’est pas une formalité, c’est un acte politique. C’est faire le choix de s’adosser à une structure de représentation, de se doter d’un cadre pour se faire entendre, et de contribuer à une vision de l’économie fondée sur la coopération, la finalité sociale et la gouvernance démocratique.
Une tradition de prises de parole assumées
Depuis plusieurs années, ESS France n’hésite pas à prendre position publiquement pour défendre une autre conception du développement économique. En 2022, l’organisation avait largement relayé la campagne « L’ESS, une réponse aux crises », à l’issue de la pandémie, pour rappeler le rôle stabilisateur des structures solidaires dans les territoires. En 2023, elle s’était opposée à la réforme des fonds européens, dénonçant la complexification des procédures qui écartait de facto les petits acteurs associatifs des dispositifs.
Plus récemment, en 2024, ESS France s’était illustrée en publiant une note stratégique critique sur les « entreprises à mission » et le « purpose washing », pointant les récupérations sémantiques opérées par certaines grandes entreprises sans réelle transformation de leur modèle. La prise de parole insistait alors sur la différence entre « parler d’impact » et « en produire réellement », appelant à ne pas confondre communication et engagement structurel.
Ces interventions, quoique moins visibles dans les médias grand public, ont renforcé la crédibilité politique d’ESS France auprès des acteurs de terrain et de certaines collectivités. Mais elles peinent encore à résonner à grande échelle, d’où la nécessité de renforcer aujourd’hui l’assise fédérative du mouvement.
Un enjeu d’image et de positionnement dans l’espace public
C’est sans doute ici que se joue l’essentiel. Car si l’ESS progresse lentement dans les imaginaires citoyens, elle souffre toujours d’un déficit de représentation dans l’espace médiatique, économique et politique. Elle est souvent perçue comme une économie de la réparation, du « petit », du complémentaire — loin des récits dominants portés par la tech, la croissance, la performance financière ou les start-ups.
Cette campagne d’adhésion est donc aussi un acte de communication offensive. En investissant LinkedIn, réseau stratégique par excellence pour les professionnels, ESS France tente un repositionnement : celui d’un secteur mature, structuré, ambitieux, capable d’influencer les normes de gestion, d’innover sur les modèles organisationnels, et d’assumer un leadership éthique dans la transition économique.
Il s’agit aussi de mieux visibiliser ce que l’ESS a déjà réussi : son rôle dans la gestion des circuits courts, dans l’insertion professionnelle, dans la transition écologique locale, ou encore dans la réappropriation citoyenne des services publics via les SCIC (sociétés coopératives d’intérêt collectif). Des exemples concrets, mais souvent sous-référencés dans les narratifs médiatiques.
Vers une nouvelle culture de l’adhésion dans l’ESS ?
Cette campagne pourrait marquer un tournant dans la manière dont les structures du secteur perçoivent l’adhésion. Longtemps vue comme un acte administratif ou symbolique, l’adhésion est ici pensée comme un outil stratégique de long terme : pour faire masse, pour coordonner les revendications, pour rendre visibles les effets systémiques de l’ESS et pour peser collectivement dans les arbitrages. Mais cela implique aussi de renouveler les modalités d’animation des réseaux : une CRESS ne peut plus être un simple point d’information. Elle doit devenir un lieu de veille, d’influence, de mutualisation active.
Cette campagne d’adhésion n’est surement pas une initiative isolée, mais une étape dans un processus plus large de réaffirmation identitaire. Dans un contexte de montée des inégalités, de remise en question des financements publics et de saturation des récits entrepreneuriaux classiques, l’ESS dispose d’une carte à jouer. À condition de se présenter comme une réponse structurée, collective et crédible. Reste à savoir si les structures, parfois isolées, auront les moyens — et la volonté — de répondre à cet appel. Car comme le résume Benoît Hamon : « Il ne suffit plus de proclamer que l’ESS est une solution. Il faut en faire une force. Et cela passe d’abord par notre capacité à nous fédérer ».