13 juin 2025

Temps de lecture : 6 min

VivaTech 2025, les médias changent de forme, de tempo… et d’économie

Coorganisé par le groupe Les Echos et Publicis, le salon explore les grandes mutations du secteur médiatique : IA générative, formats audio, économie des créateurs et récits immersifs redéfinissent les usages comme les modèles.

L’intelligence artificielle a dominé les débats de VivaTech 2025, y compris dans la création médiatique. Le coup d’envoi a été marqué par l’annonce d’un partenariat historique entre la startup française Mistral AI et l’américain Nvidia, salué par le président Emmanuel Macron, présent au moment de l’annonce officielle, comme un « game changer » pour la souveraineté européenne. Cette alliance, qui prévoit le lancement d’une plateforme de calcul dotée de 18 000 processeurs Nvidia, illustre l’essor des capacités locales en IA – une avancée qui bénéficiera aussi aux créateurs de contenus grâce à des modèles de plus en plus performants.

Au-delà de l’infrastructure, VivaTech a mis en scène l’IA comme outil de création. Lors de l’AI Creative Show (11 juin), des leaders culturels ont exploré comment l’IA révolutionne l’expression artistique. « Pour qu’il y ait des films intéressants avec l’IA, il faut un humain derrière » rappelle Elisha Karmitz, DG du groupe mk2, soulignant que ces nouvelles technologies restent avant tout au service d’une vision créative. Aux côtés de mk2, Runway (IA vidéo), TF1 ou Nvidia ont ainsi présenté des courts-métrages génératifs et débattu des frontières inédites de la création audiovisuelle. L’enthousiasme est tangible, mais nuancé : la valeur ajoutée de l’IA se mesure à l’aune des histoires qu’elle permet de raconter, non à la performance technologique en soi… à condition également de la maîtriser éthiquement et artistiquement.

Formats innovants : l’offensive du mobile et de l’audio

Si l’IA bouleverse les coulisses de la production, la forme des contenus évolue elle aussi à VivaTech 2025, avec une attention particulière aux usages mobiles et audio. Un exemple frappant est MAX – pour Media Audio Experience – du groupe CMA Media. Présentée en avant-première au salon, cette IA convertit automatiquement des articles de presse écrite en chroniques radio personnalisées. « 55 % des Français écoutent un contenu audio par jour » constate CMA Media, d’où l’ambition de MAX de « conquérir un nouveau public », notamment les jeunes, explique Jean-Christophe Tortora, directeur général de CMA Media.

Développée avec Google, la startup française Mistral AI, BCG X et le laboratoire Kyutai, l’application synthétise des articles en langage parlé naturel, avec des voix quasi humaines et des jingles sonores. La Provence, titre du groupe, sera le premier à déployer cette innovation dès septembre, pour ses abonnés. « 100 % des contenus seront produits par nos journalistes », tient à rassurer J.-C. Tortora, qui voit dans MAX un moyen de reconnecter d’anciens lecteurs via un format radio digital, sans rien céder à l’éthique journalistique. L’engouement pour l’audio se confirme ainsi comme une tendance lourde, les médias misant sur les podcasts, la voix et l’IA vocale pour diversifier leur offre.

Parallèlement, le média mobile inspire de nouveaux rendez-vous éditoriaux. Les Echos, coorganisateur du salon, illustre bien cette mutation avec « Le 18-20 », lancé en janvier dernier. Il s’agit d’une édition numérique quotidienne à 18h sur application, offrant une sélection personnalisée de 15 articles essentiels à faire défiler pour une expérience de lecture simplifié. L’initiative s’inscrit dans une stratégie d’innovation permanente de la presse économique pour capter l’attention en mobilité. À VivaTech, où l’on cherchait justement comment mieux engager les audiences numériques, ce type de produit éditorial a fait écho aux réflexions générales sur la « snackification » de l’info et la personnalisation des contenus.

Économie des créateurs : les médias misent sur les influenceurs

Autre fait marquant du salon : la confirmation que l’économie des créateurs de contenu est devenue un pilier stratégique pour les groupes médias et publicitaires. Quelques jours avant VivaTech, Publicis a frappé fort en annonçant le 21 mai 2025 le rachat de Captiv8, l’une des plus grandes plateformes technologiques d’influence marketing au monde. Avec 15 millions de créateurs référencés (couvrant 95 % des influenceurs à plus de 5 000 abonnés) et 2,5 milliards de posts traités par an, Captiv8 apporte à Publicis une taille critique inédite. « Cette plateforme sera un guichet unique pour les campagnes d’influence de nos clients, capable d’unifier, planifier et optimiser des stratégies créateurs brand safe avec une mesure transparente » souligne Arthur Sadoun, Président-Directeur Général de Publicis Groupe.

Après avoir déjà investi 500 M$ l’an dernier dans Influential (autre acteur majeur), Publicis connecte maintenant ces deux réseaux d’influence à son bras armé de la data (Epsilon) afin de bâtir « la plateforme d’influence la plus puissante au monde ». L’objectif étant de superposer à l’échelle des réseaux sociaux une couche de pilotage global des campagnes d’influence, allant du choix des créateurs à la conversion commerciale mesurable. Sur la scène de VivaTech, cette porosité entre médias et créateur de contenu sera incarnée « à sa manière » par la keynote ce samedi de Samuel Étienne. Le journaliste vedette, passé du plateau télévisé à la plateforme Twitch – avec plus d’un million d’abonnés en streaming –, présentera en public une édition spéciale de son show “MVP – Ma Vie Pro” ce 14 juin, alternant interviews, découvertes de métiers tech et interactions ludiques.

Nouvelles expériences narratives et immersives

La transformation des médias passe enfin par l’émergence de formats narratifs innovants portés par des startups créatives… bien présentes dans les allées de VivaTech 2025. Parmi les projets qui ont retenu l’attention, Trusting Pixels propose une réponse directe à l’un des enjeux les plus sensibles de l’écosystème numérique : la prolifération des contenus truqués. Cette jeune pousse venue du Canada développe une technologie capable de détecter automatiquement les manipulations visuelles — qu’il s’agisse de retouches, de montages ou de deepfakes. Une solution pensée pour les rédactions, les agences, les plateformes, mais aussi les institutions publiques confrontées à l’urgence d’une vérification fiable à l’ère de la désinformation algorithmique. En remportant l’AI Challenge de VivaTech, la startup a confirmé que la fiabilité des contenus devient, elle aussi, un territoire d’innovation.

Plus ludique mais tout aussi révélatrice, l’installation “My Scratch Card” sur le stand de FDJ United — le laboratoire innovation du groupe de jeux français — illustre une autre facette de cette dynamique : la création de contenus ultra-personnalisés à partir d’outils génératifs. Avec l’aide de Leonardo.Ai, les visiteurs pouvaient créer leur propre ticket à gratter à partir d’un selfie et d’un univers visuel généré par IA. Le résultat, imprimé sur place, marie storytelling individuel, esthétique gamifiée et activation physique. Derrière cette expérience un peu pop, c’est bien une nouvelle logique éditoriale qui se dessine : celle où le public devient co-auteur du message, et où la machine s’adapte à la sensibilité de chacun pour faire émerger un contenu unique.

Sur un tout autre registre, mais avec un même souci d’interactivité scénarisée, AWS proposait une démonstration immersive autour de la Formule 1. Le principe : dessiner soi-même un circuit, le tester dans un simulateur, puis visualiser les performances via des outils d’analyse temps réel (Bedrock, Nova Canvas, SageMaker). Le tout dans un environnement où l’IA génère des commentaires personnalisés et raconte l’histoire de la course comme si elle était taillée sur mesure. Derrière le vernis spectaculaire, cette démonstration illustre un changement de paradigme : raconter ce que l’utilisateur vit, en temps réel, avec des contenus qui s’adaptent et se réinventent à mesure que l’expérience progresse.

Régulation : vers une “majorité numérique” à 15 ans

Les mutations technologiques constatées à VivaTech se doublent d’une évolution du cadre réglementaire, omniprésente dans les discussions du salon. En particulier, la question de la protection des jeunes publics en ligne a été remise sur le devant de la scène par Emmanuel Macron. Le président de la République a profité de VivaTech 2025 pour réaffirmer sa volonté d’interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans sans accord parental. « On doit interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans (…) on ne peut plus attendre », avait martelé Macron la veille sur France 2, en promettant d’agir « dans les mois qui viennent » pour instaurer cette « majorité numérique ». Un article complet sur cette annonce et ses implications pour les plateformes sociales et les acteurs de l’influence a été publié hier sur INfluencia, consultable juste ici.

En conclusion, VivaTech 2025 a confirmé que la transformation du secteur médiatique s’accélère sous l’effet croisé de l’innovation technologique et des nouveaux usages. Des IA génératives aux podcasts automatisés, des influenceurs intégrés aux rédactions aux expériences immersives en réalité mixte, les frontières traditionnelles explosent. Le salon parisien en a fourni une démonstration éclatante, tout en rappelant via la voix des décideurs publics que cette révolution doit rester centrée sur l’humain. Pour les professionnels des médias, du marketing et de l’innovation, cette édition 2025 sonne déjà comme un appel à embrasser ces changements structurels en alliant audace créative, rigueur déontologique et veille stratégique continue. Les vagues technologiques sont là : aux médias de les manœuvrer sans perdre de vue le rivage de la confiance du public.

Allez plus loin avec Influencia

the good newsletter

LES FORMATIONS INFLUENCIA

les abonnements Influencia