« Le luxe réaffirme son pouvoir d’inspiration », Véronique Lépinay (ISG Luxury Management)
Le luxe évolue et se réinvente. Vingt-cinq figures influentes interrogées par Gabrielle de Montmorin transmettent leur vision sur les mutations de cette industrie dans « les Horizons du luxe*, un livre coordonné par Veronique Lépinay, directrice de communication de l’ISG Luxury Management.
INfluencia : D’où vient l’idée de ce livre ?
Véronique Lépinay : La mission de l’ISG Luxury Management, programme dédié aux métiers du luxe de l’école d’enseignement supérieur ISG**, est de former des étudiants et des jeunes talents, tout en servant l’industrie du luxe. L’idée de ce livre est de parler aux jeunes générations de maisons qui les passionnent, tout en les introduisant de manière simple et concrète. Le luxe a pour enjeu principal de transmettre ses savoir-faire et de partager une certaine idée de la beauté et de l’inspiration. Nous avons trouvé intéressant de rencontrer des grandes figures et professionnels du luxe, venant d’univers variés, car à l’école nous parlons à nos étudiants de tous les secteurs du luxe : biens personnels comme l’horlogerie, la joaillerie, la parfumerie, la mode, mais aussi l’hôtellerie, l’automobile, le design, l’immobilier. Nous avons voulu recueillir la vision de ces 25 spécialistes et leur perception du luxe, tant pour aujourd’hui que pour demain et avons consigné ces échanges dans un ouvrage. Aujourd’hui, la communication est rapide et permanente, les informations numériques sont gravées dans le marbre, mais elles passent à la vitesse de la lumière. Le livre reste pour nous un objet de réflexion et de pause.
Tous ces professionnels ont cette même envie de pérennité, de faire vivre leur héritage tout en définissant de nouveaux narratifs
IN. : Quelle définition ces 25 professionnels vous ont-ils donné du luxe ?
V.L. : En fait, aucun n’a vraiment donné de définition. Ce sont plutôt des visions personnelles à long terme qu’ils évoquent avec beaucoup d’humilité et impriment dans l’histoire de leur maison. Tous ces professionnels sont des passeurs de projets, et ils en parlent avec sincérité. Tous ont cette même envie de pérennité, de faire vivre leur héritage tout en définissant de nouveaux narratifs. Deux exemples : Hélène Poulit-Duquesne, la présidente-directrice générale de Boucheron, puise dans les racines de la marque pour la projeter dans l’avenir. La maison Vacheron Constantin, qui fête ses 270 ans, maintient un lien avec son passé en termes stylistiques tout en s’inscrivant dans la modernité à travers les dimensions, les formes et la technique.
Cinq défis attendent le luxe
IN. : Quels sont selon eux les grands défis qui attendent le luxe ?
V.L. : J’en ai listé cinq principaux :
– La transmission des savoir-faire. C’est peut-être le challenge principal, le fil rouge pour toutes ces maisons, qui doivent trouver de nouveaux codes tout en respectant l’ADN de leur maison.
– Le recrutement des talents, et notamment des jeunes. Bénédicte Epinay, la directrice déléguée du Comité Colbert le dit bien : « l’un des grands défis du luxe est le recrutement des jeunes talents et d’une nouvelle génération d’artisans ».
– La créativité, qui infuse dans tout : dans la réalisation des produits -la beauté de l’objet est par définition l’essence même du luxe- dans la façon de construire son business, de revoir ses process, dans le développement durable, dans les nouvelles technologies.
– Le développement durable qui est fondamental.
– La capacité à utiliser les nouvelles technologies.
Les maisons de luxe transforment ce défi de la circularité et de la durabilité en véritable opportunité
IN. : Comment les maisons que vous avez interrogées intègrent-elles le développement durable ?
V.L : C’est vrai que le luxe est par définition durable. Mais aujourd’hui on confond durable et durabilité. Le luxe est durable dans le temps, puisqu’on ne jette pas un objet de luxe, on le répare, on le garde, on le transmet, on le revend. D’autant plus qu’aujourd’hui, on assiste à un véritable phénomène de changement des usages. Les consommateurs sont beaucoup plus sensibles à l’idée d’acheter du vintage ou de la seconde main. C’est devenu très tendance. Les maisons de luxe transforment ce défi de la circularité et de la durabilité en véritable opportunité. Elles s’organisent par exemple pour la seconde main certifiée, c’est ce que fait Vacheron Constantin qui certifie ses montres d’occasion.
En revanche le développement durable en amont de la production est un sujet beaucoup plus complexe. Il y a des industries, comme la mode, qui sont très polluantes, il faut bien le reconnaître. Une transformation profonde est nécessaire qui nécessite de gros investissements et une vraie volonté du top management. Les maisons de luxe doivent transformer leurs business models pour intégrer des pratiques durables. Il y a dans le livre de très beaux exemples, comme le programme de Moët et Chandon en faveur de la biodiversité ou l’initiative de Guerlain en faveur des abeilles, initiée il y a déjà quinze ans…
Boucheron (qui appartient au groupe Kering) a fait un travail incroyable sur le sourcing de ses matériaux, l’éthique, la reforestation des terrains sur lesquels on extrait l’or destiné aux pièces de joaillerie.
Le groupe LVMH met en place des initiatives transformantes à tous les niveaux dans tous les secteurs : la mode, les parfums, la beauté, la joaillerie, l’horlogerie, etc..
Dans la joaillerie, Rouvenat, une maison qui date du 19ème siècle et avait disparu, a été relancée sur tout le principe de l’économie circulaire : certification et réutilisation de pierres, utilisation d’or recyclé, mais aussi le packaging recyclé…
Il reste un sujet très complexe, la directrice Développement Environnement du groupe LVMH, Hélène Valade en parle très bien, c’est celui du packaging, qui est certes très polluant mais un objet de luxe sans un packaging luxueux perd toute sa symbolique, il faut donc se poser la question de l’usage, voire même de la fonction du packaging.
Cependant, le développement durable est rarement une préoccupation exprimée par les clients, en tout cas ce n’est pas une motivation première pour accéder à une maison de luxe comme le précise Jean-Marc Mansvelt, CEO de Berluti. C’est le même phénomène à l’hôtel de Crillon où les standards du groupe Rosewood sont très élevés en termes de durabilité mais les clients ne choisissent pas leur lieu de villégiature sur ces critères.
Les nouvelles technologies et l’IA sont intégrées avec parcimonie dans le luxe
IN. : Comment le luxe utilise-t-il les nouvelles technologies et plus particulièrement l’IA ?
V.L : Les nouvelles technologies et l’IA sont intégrées avec parcimonie dans le luxe. Il ne faut pas oublier que la raison d’être du luxe est de proposer des objets ou services d’une qualité irréprochable, d’une grande créativité et souvent impliquant un travail artisanal parfait. Alaïa par exemple n’utilise pas du tout les nouvelles technologies en termes de couture et de travail des tissus, pour l’instant tout reste très artisanal et manuel. Chez Bugatti, le président Christophe Piochon explique qu’il veille à ce qu’une Bugatti, « puisse participer à un concours d’élégance dans soixante ans » et que ce qui vieillit le plus vite dans une voiture ce sont les écrans. C’est pourquoi le tableau de bord de la Tourbillon est analogique. En revanche le développement du véhicule emploie largement l’IA. Ce sont deux exemples intéressants qui montrent que l’on va parfois se servir de l’IA ou des nouvelles technologies pour compléter le travail manuel mais que l’on est bien là dans du travail artisanal d’exception et dans de l’ultra luxe. L’IA prend de plus en plus d’importance dans l’événementiel dédié au luxe mais surtout dans la phase moodboard ou inspiration, ce sont ensuite les concepteurs et les coordinateurs qui vont donner vie aux projets, pas l’IA, comme le souligne Jean-Philippe Braud, CEO et associé de l’agence Profirst.
Nous avançons dans une voie respectueuse des savoir-faire, de l’environnement et de l’impact sur les territoires
IN. : En conclusion à quoi ressemblera le luxe demain ?
V.L. : Dans la conclusion de l’ouvrage, Hélène Valade explique que « nous avançons dans une voie respectueuse des savoir-faire, de l’environnement et de l’impact sur lesterritoires». Des valeurs qui sont au cœur de ce qu’elle appelle : « le luxe nouveau ». J’aime beaucoup cette expression qui veut bien dire toute la dimension de renouvellement et de réinvention de ce luxe, qui depuis l’Antiquité a toujours fait partie de nos vies et réaffirme tout son pouvoir d’inspiration. C’est un secteur qui aujourd’hui concerne tout le monde et qui porte aussi tous les défis du monde actuel.
*éditions FYP
**L’ISG (Institut Supérieur de Gestion est membre du groupe IONIS Education Group.
En savoir plus
25 professionnels partagent leur vision
Entretiens réalisés par Gabrielle de Montmorin avec de grands professionnels du secteur du luxe :
Vincent Billiard, directeur général de l’Hôtel de Crillon, A Rosewood Hotel,
Richard Mille, fondateur de la maison Richard Mille,
Christian Selmoni, directeur du style et du patrimoine de Vacheron Constantin,
Judikaël Hirel, chef du service Horlogerie du Figaro,
Pascale Miguet, directrice générale de Publicis Media Luxe,
Constance Guisset, designer et fondatrice de Constance Guisset Studio,
Jean-Philippe Braud, CEO et associé de Profirst,
Myriam Serrano, directrice générale de Alaïa,
Jean-Marc Mansvelt, directeur général de Berluti,
Éric Charles-Donatien, designer plumassier,
Anne-Sophie Pic, cheffe multi-étoilée,
Maggie Henriquez, directrice générale de Baccarat,
Domitille Jollois, présidente de Debauve & Gallais,
Patricia Criton, directrice de la communication institutionnelle de Moët & Chandon,
Ann-Caroline Prazan, directrice Art, Culture et Patrimoine de Guerlain,
Christophe Piochon, président de Bugatti,
Hélène Poulit-Duquesne, présidente-directrice générale de Boucheron,
Claire Choisne, directrice des créations Boucheron,
Marie Berthelon, directrice générale de Rouvenat,
Patrice Wagner, président-directeur général du groupe Le Bon Marché,
Charles-Marie Jottras, président du groupe Daniel Féau,
François Curiel, président de Christie’s Europe,
Pascal Deyrolle, directeur général du Venice Simplon-Orient-Express,
Hélène Valade, directrice Développement Environnement du groupe LVMH.
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