8 février 2022

Temps de lecture : 4 min

« Une organisation trop rationnelle ne sait pas faire face à l’incertitude », Blaise Agresti (Mountain Path)

En amont des Sommets qui auront lieu à Annecy du 28 au 30 mars *, dont INfluencia est partenaire, Blaise Agresti, ancien commandant du Peloton de Gendarmerie de Haute Montagne de Chamonix et fondateur de Mountain Path, nous partage sa vision du leadership dans cet entretien très haut perché.

Blaise Agresti
Sophie Guignard : Vous faites littéralement sortir des dirigeants de leur zone de confort puisque vous les emmenez gravir des sommets enneigés. Qu’est ce qui émerge en montagne qui n’émerge pas forcément dans le cadre quotidien de l’entreprise ?

B.A. : La montagne nous rend fragile. En ce sens, elle nous met à nu. Elle nous oblige à nous confronter à des questions essentielles et nous impose de renouer avec l’observation. Si nous n’observons pas la nature, le ciel, la neige, le vent, si nous ne sommes pas vigilants, nous allons nous mettre en danger. La montagne nous invite aussi à repenser notre rapport au temps, à revenir aux cycles de la nature, alors que nous sommes constamment dans un temps technologique et productiviste. Elle nous permet notamment de renouer avec l’émerveillement qui est un moteur puissant de l’existence. En montagne, on accède à des émotions inédites, très fortes, qui nourrissent et font grandir.

Sophie Guignard : Et puis il y a l’expérience de la cordée…

B.A. : La cordée est au cœur de la pratique de l’alpinisme. On ne grimpe pas seul. On s’encorde, on s’assure mutuellement les uns les autres. Pratiquer l’alpinisme et s’encorder à autrui nous fait éprouver combien nous dépendons des autres, combien nous en avons besoin de ce lien précieux.

Sophie Guignard : Vous êtes un grand défenseur de “l’utilité de l’inutile”, chère aux grands alpinistes. En quoi la poursuite d’objectifs inutiles peut-elle être intéressante à titre individuel mais aussi collectif ?
  1. : Escalader une montagne peut paraître inutile en effet. Cela suppose de prendre des risques pour accomplir quelque chose qui, d’un point de vue pragmatique, économique ou visible, ne sert à rien. Pourtant, c’est un exercice puissant et indispensable d’introspection, d’exploration de soi, qui filtre nos essentiels et les met en ordre. Toucher à l’essentiel par la mise en abyme de soi me semble un bénéfice existentiel.
Sophie Guignard : L’inutilité semble pourtant être devenue l’ennemi numéro 1 de nos sociétés en général et des entreprises en particulier. Quel est votre regard sur cela ?

B.A. : A force de chercher à tout optimiser, à supprimer les temps morts de nos vies en entreprise, nous ne savons plus réagir face à l’incertitude. Une organisation qui a trop poussé au paroxysme la rationalisation et la généralisation des processus n’est à mon sens pas bien préparée aux défis d’aujourd’hui pour une raison simple : une affectation rigide des tâches et des missions délimite des territoires et des frontières, ce qui diminue la souplesse, l’agilité et la redondance utile quand on entre en incertitude.

 

“A force de chercher à tout optimiser, à supprimer les temps morts existant dans nos vies, nous perdons en souplesse et en anticipation qui sont les qualités clefs face à l’incertitude.”

Sophie Guignard : Vous travaillez avec de nombreux dirigeants, vous les voyez interagir avec leurs équipes. Qu’ont en commun, selon vous, ceux qui sortent du lot?

B.A. : Je dirais qu’ils ont beaucoup d’énergie et des qualités d’écoute. L’énergie est absolument clé, elle est la ressource indispensable et l’ingrédient un peu magique derrière tout projet de transformation. On peut être exemplaire, avoir une parole bien policée… Mais si on n’a pas d’énergie, le feu sacré, il ne se passe rien. C’est elle qui fera la différence pour gravir la montagne complexe

Sophie Guignard : Comment un dirigeant peut-il créer l’adhésion de moyen voire long terme à un projet?

B.A. : La culture d’entreprise me semble fondamentale, elle offre ce cadre propice à l’action commune. Pourtant, j’ai l’impression qu’elle est aujourd’hui assez peu travaillée et banalisée. Je crois qu’on surestime l’impact du salaire sur la motivation et l’adhésion des collaborateurs, même si c’est une donnée fondamentale. Nous avons instauré insidieusement une culture de la récompense considérée comme un graal, nous pensons que c’est la clef majeure qui motive les individus. Il faut déconstruire ce dogme et cela va être difficile. Il emporte l’idée du toujours plus de croissance dans un monde aux ressources finies. Mais pour cela, il vaudrait faire émerger d’autres valeurs, essayer autre chose. Une entreprise qui est capable de créer une culture forte et des relations sincères et authentiques avec ses employés aura à mon sens une vraie chance de les retenir.

 

“ On ne descendait pas dans une crevasse en sauvetage uniquement parce que nous étions portés par le devoir de secourir des gens : on y allait parce qu’on faisait partie d’une équipe ”.

Sophie Guignard : La culture de l’entreprise et la qualité des relations entre les équipes est-elle selon vous plus motivante que la mission de l’entreprise ?

B.A. : Je crois que oui. Lorsque je commandais le peloton de gendarmerie de haute montagne de Chamonix, qu’on partait secourir les gens en montagne, ce qui nous unissait et nous motivait avant tout, bizarrement, ce n’était pas tant la mission que la dynamique d’équipe. On ne bravait pas les tempêtes, on ne descendait pas en crevasses uniquement parce que nous étions portés par le devoir de secourir des gens: on y allait parce qu’on était ensemble, qu’on voulait faire partie de cet élan, de cette dynamique fraternelle.

Sophie Guignard : C’est donc selon vous d’abord le fait d’être lié qui crée la motivation des équipes ?

B.A. : J’ai découvert il y a quelque temps le terme grec de Philotimo, qui est très difficile à définir. Pour les Grecs, cela signifie en quelque sorte l’honneur de faire ce qui est bien, ou juste. Cela illustre aussi le lien, la redevabilité qui nous lie les uns envers les autres, l’honneur del’amitié. En cela, le Philotimo s’oppose au Philonikia qui symbolise au contraire l’amour de la victoire et l’honneur qui accompagne l’atteinte d’un objectif compétitif. Notre société valorise trop l’esprit du Philonikia, oubliant le pouvoir puissant et de long terme du Philotimo. Un bon dirigeant est celui qui, à mon sens, comprend et nourrit l’esprit du Philotimo.

Sophie Guignard : Le métier de dirigeant est extrêmement usant, voire lourd. Comment peut-on selon vous préserver cette énergie, faire en sorte de rester inspiré et motivé ?

B.A. : Je vois deux idées :

1) il faut impérativement se garder des moments pour se régénérer. En se déconnectant, en changeant de décor. La montagne pour cela est fabuleuse, mais là je reconnais que je ne suis pas objectif…

2) Il faut savoir bien s’entourer de personnes qui nous font du bien et nous inspirent. Je crois beaucoup à l’apprentissage par les pairs, aux profils atypiques et complémentaires et qui composent l’équipe de direction. Une armée de clones unisexes est une tragédie…

Pour s’inscrire, c’est ici

À lire aussi sur le même thème

Les Newsletters du groupe INfluencia : La quotidienne influencia — minted — the good. Recevez une dose d'innovations Pub, Media, Marketing, AdTech... et de GOOD

Bonne idée ! Je m'inscris !

Allez plus loin avec Influencia

the good newsletter

LES FORMATIONS INFLUENCIA

les abonnements Influencia