31 mai 2023

Temps de lecture : 10 min

« Un séminaire d’entreprise, comme celui qui a lieu dans Wunderbike, j’adore… » Thomas Barthuel

A lire absolument, Wunderbike, premier roman de Thomas Barthuel, une satire sociale de notre époque qui pique, une fable moderne pleine de fantaisie, des personnages uniques bien campés, une écriture réjouissante qui vous embarque sur les traces du héros, un Julien désarmant et combatif… Celui qui a travaillé au sein de Google, Waze, Uber, et Phénix, part aujourd’hui vivre en famille à Amsterdam pour un nouveau job, un nouveau départ et ses bicyclettes à gogo, forcément…

INfluencia: votre parcours c’est la tech, chez Uber, Google, Waze, puis Phénix… Saviez-vous que vous vous lanceriez dans l’écriture d’un roman depuis toujours. Récemment?
Thomas Barthuel : J’ai grandi en banlieue parisienne dans une maison remplie de livres d’art. Vers 9-10 ans, je suis parti en classe écriture avec ma classe de CM2. Si l’œuvre collective que nous avions commise – « L’île aux termites » – est désormais tragiquement introuvable, le souvenir de cette expérience est longtemps resté avec moi. Le bonheur d’inventer des histoires, la jubilation de jouer avec les mots, ça date de cette expérience qu’on pourrait qualifier de fondatrice. J’ai toujours voulu écrire mon livre. Plus tard j’ai fait une école de commerce et travaillé dans des entreprises comme Google, Waze ou Uber. Plus récemment, j’étais membre de l’équipe de direction de Phénix, une start-up française qui lutte contre le gaspillage alimentaire. Et puis en 2021, ma femme et moi attendions notre troisième enfant, Suzanne, que nous avons perdu à un stade très avancé de la grossesse. Après ça, je crois qu’il était temps de s’y mettre. C’est là que j’ai commencé Wunderbike.  
Ce n’est pas facile, même aujourd’hui, de concilier impact et business: on est jugés sur les mêmes critères financiers, et pourtant on s’impose des pratiques plus vertueuses.
IN. : vous travailliez au sein de Phénix, une entreprise green, écrivez-vous en quatrième de couverture, Vous avez quitté ce job?
Th.B.: oui, j’ai occupé le poste de Directeur des Opérations de Phenix, une société qui lutte contre le gaspillage alimentaire, pendant les trois dernières années. Une expérience d’une grande richesse, j’ai énormément appris et rencontré des personnalités formidables, très engagées. Ce n’est pas facile, même aujourd’hui, de concilier impact et business: on est jugés sur les mêmes critères financiers, et pourtant on s’impose des pratiques plus vertueuses. J’en suis parti fin 2022, à la naissance de ma dernière fille dont j’ai eu envie de profiter pleinement. En ce moment j’effectue une mission pour un ancien employeur tout en préparant un déménagement à Amsterdam en famille et en vivant la sortie du livre. C’est sport ! 
IN. : c’est à cause de ces satanés vélos Wunderbike que vous partez vivre à Amsterdam?   
TH.B. : peut-être. Il faut croire qu’il y a un thème récurrent. Pourtant, j’ai eu beaucoup de mal, petit, à apprendre à en faire ! Blague à part, Amsterdam est réputée pour sa qualité de vie et à chaque fois que j’y suis allé j’en suis revenu enchanté. Pour moi et ma femme, c’est une ville internationale, cosmopolite, dynamique, et en même temps encore à taille humaine. On fait tout à vélo, ou à pied. C’est un bon compromis. 
IN. : un nouveau job à l’horizon?
TH.B. : en effet, un nouveau job ! Dans un domaine lié à la création, pour une société qui permet aux créateurs d’exprimer tout leur potentiel. Finalement, très en ligne avec cette dernière phase de ma vie qu’est l’écriture, très créative. C’est une suite logique.  
En fait, je vois plutôt l’écriture comme une seconde jambe, un contrepoint. Elle peut devenir la jambe d’appui par moments
IN. : pensez-vous lâcher tout un jour pour devenir écrivain?
TH.B. : pas pour l’instant ! J’aime beaucoup ma vie professionnelle, très riche et ouverte. Elle me permet de rencontrer du monde et d’apprendre de nouvelles choses. L’écriture est plus introspective. Les deux se nourrissent. En fait, je vois plutôt l’écriture comme une seconde jambe, un contrepoint. Elle peut devenir la jambe d’appui par moments, ou au contraire se mettre un peu plus en retrait. Mais elle sera toujours là. 
IN. : Vous commencez très fort en tout cas, avec cette fable moderne haute en couleur, urbaine et terriblement d’actualité. Wunderbike, cela représente combien de temps de votre vie?
Th.B. : entre les débuts d’idées et la sortie du roman environ 3 ans. Avec 1 an à se dire que j’ai de plus en plus envie d’écrire sur ce sujet, 6-8 mois d’écriture intense, et 1 an et demi à chercher un éditeur, à retravailler le manuscrit avec elle, et à préparer la sortie.   
Un séminaire d’entreprise, comme celui qui a lieu dans Wunderbike, au fond, c’est toujours très amusant, avec un peu de second degré.
IN. Bon, le héros c’est vous, pas très Tom Cruise dans La Firme, plutôt Personnaz dans Quai d’Orsay ou Malaussène dans le Bonheur des ogres… Comment êtes-vous pour de bon dans la vie?
Th.B. : il n’est en effet pas impossible que Julien, le héros – certains diraient l’anti-héros – partage certains traits de caractère avec moi. Encore que je le trouve presque trop candide, notamment au début du roman. Je trouve aussi qu’il est très imprudent de partager au lecteur le contenu de ses pensées, sans filtre ! Quant à moi, je n’ai jamais été très corporate, comme on dit, et j‘ai toujours eu une certaine méfiance vis-à-vis des dynamiques de groupe. Mais au fond je les adore, pour les disséquer, les comprendre et en général, en rire. Un séminaire d’entreprise, comme celui qui a lieu dans Wunderbike, au fond, c’est toujours très amusant, avec un peu de second degré.
il y a une « inquiétante étrangeté » freudienne, à se relire. J’écris assez spontanément et je suis toujours surpris par le résultat.
IN.: comment parvient-on à avoir un style aussi réjouissant, bouillonnant dès son premier livre?
Th.B. : ça c’est vous qui le dites, et c’est sympa. Si tant est que ce soit vrai alors je dirais que ce qui m’a particulièrement aidé, c’est de rapidement faire lire le texte à des proches que j’avais sélectionné pour leur franchise. Leurs retours ont été précieux et ont considérablement amélioré le texte. Ma femme par exemple, m’a conseillé de réécrire tout le début du roman, environ un tiers, au présent de narration pour en accélérer le rythme. Ensuite, il y a l’éditeur. Dans mon cas, j’ai vécu le travail éditorial comme une maïeutique. Quelques conversations avec mon éditrice, Jeanne, ont eu un effet structurant sur le texte, notamment en affinant son intention et en gommant certains défauts trop visibles de Julien. Après pour le reste, il y a une « inquiétante étrangeté » freudienne, à se relire. J’écris assez spontanément et je suis toujours surpris par le résultat. Parfois en bien, ahah.
IN. : c’est un roman de société que vous avez écrit, en tout cas qui parle de notre réalité. Il n’y en a pas tant que ça, ou alors plus chez les Anglo-saxons et pas chez les jeunes auteurs, comment expliquez-vous qu’en France il y ait une absence de la sorte?
Th.B. : oui, au sujet de Wunderbike, j’ai pu lire le qualificatif de « satire sociale ». Je ne suis pas expert mais j’ai en effet l’impression que les anglo-saxons sont plus prompts à produire des livres (mais aussi des séries ou films) à propos de la réalité proche, du style de vie contemporain. C’est ironique parce que ce sont les Français qui ont inventé le roman social au 19e siècle notamment avec Balzac, Hugo ou Zola. Peut-être qu’aujourd’hui, on préfère – reste à savoir qui j’englobe dans ce « on » – encore des sujets plus élitistes, moins accessibles. En écrivant Wunderbike, j’avais d’ailleurs peur qu’il soit trop contemporain, que son objet ne soit pas assez « littéraire ». C’est drôle. Heureusement, il existe des collections comme La Grenade chez Lattès (mon éditeur) ou des auteurs, pour ne citer que deux très connus qui me viennent à l’esprit, Michel Houellebecq ou Nicolas Mathieu, qui n’hésitent pas à prendre la société contemporaine comme sujet d’exploration. Ce sont d’ailleurs les livres que je lis, à titre personnel.
IN. : quels sont les livres quevous aimez?
Th.B. : j’ai du mal à choisir, mais je peux quand même essayer. Romain Gary arrive très haut dans la liste en tout cas. J’aime la multiplicité des vies qu’il a pu avoir (aviateur, résistant, romancier, diplomate, réalisateur…). Une vie polychrome, ça m’attire vraiment. Et j’ai adoré La Vie Devant Soi, écrit sous le pseudo d’Émile Ajar. Le jeu sur la langue, le point de vue d’un enfant, …Mon fils s’appelle d’ailleurs Émile. Sinon, je n’ai jamais pu oublier la mélancolie d’Emma Bovary ou la grandeur et la décadence de Solal, d’Albert Cohen. Dans les plus récents: Despentes, Houellebecq, Carrère…Pendant que je réécrivais certains passages de Wunderbike, je lisais Connemara de Nicolas Mathieu. Un livre génial.
dans Wunderbike, je parle d’une « guerre de gangs ». On se souvient des amas de trottinettes dans la rue. 2019, c’est le moment où tout se passe. Et puis, collectivement, c’est avant la bascule dans la pandémie.
IN. : vous contextualisez les faits de Wunderbike en 2019, un truc a dû m’échapper…

TH.B.: cherchez-mieux ! Souvenez-vous, en 2019, il y avait pas moins d’une douzaine de sociétés, la plupart étrangères, de trottinettes électriques qui ont déferlé sur Paris…dans Wunderbike, je parle d’une « guerre de gangs ». On se souvient des amas de trottinettes dans la rue. 2019, c’est le moment où tout se passe. Et puis, collectivement, c’est avant la bascule dans la pandémie. J’avais envie que mon roman soit ancré dans « le monde d’avant (comme on avait coutume de l’appeler pendant le confinement). Car, quand j’écrivais, je ne savais pas à quoi ressemblerait l’après. Bon, en fin de compte, il n’est pas si différent !

Pour la maire de Paris, je trouvais intéressant d’inverser les rôles. De transformer le coupable ultime de notre époque, un vieux politicien mâle blanc, en un concentré de minorités (transgenre femme, lesbienne, avec un patronyme d’origine africaine, …)

IN. : comment sont nés ces personnages incroyables, la mairesse de Paris, notamment, Bruno, vous, le héros, le traître Furet….?

Th.B. : ils partent tous de quelque chose que j’ai observé. Un personnage réel, un trait de caractère, qui me donne envie d’aller explorer. Ensuite je joue avec les personnages pendant plusieurs pages et je les observe évoluer. Pour la plupart je n’avais pas une idée précise au début d’où ils finiraient, mais je savais qu’ils feraient partie de l’histoire. C’est très drôle, d’ailleurs, de les regarder évoluer au fur et à mesure de l’histoire, parfois malgré soi. Pour la maire de Paris, je trouvais intéressant d’inverser les rôles. De transformer le coupable ultime de notre époque, un vieux politicien mâle blanc, en un concentré de minorités (transgenre femme, lesbienne, avec un patronyme d’origine africaine, …), et de voir ce que ça donnerait.

IN. : vous avez 35 ans, pensez-vous que la vieille garde, pourrait écrire comme vous le faites, avec toute cette fraicheur et originalité, sans nous plomber (cf, Michel Houellebeck)

Th.B. : je ne pense pas que ce soit une question d’âge. Il me semble que ce qui participe à rendre Wunderbike digeste, c’est l’autodérision, l’humour, et le mouvement des personnages. Les personnages ont leurs contradictions, ils ne donnent pas de leçons. 

j’aimerais beaucoup une adaptation à l’écran de Wunderbike. Clin d’œil appuyé à Netflix, ahah.

IN. : à la fois très visuel, très parlé, et donc très travaillé, ce roman. Vous aimeriez ou écrivez-vous déjà des séries? Ou êtes-vous un pur littéraire, et on verra pour la suite?
Th.B. : on me fait souvent cette réflexion. Et en effet, quand j’écrivais Wunderbike, je le voyais bien en série. J’avais envie de construire des chapitres courts, avec des « cliffhanger » et des sous-intrigues (par exemple celle de Society/Michel Furet). Les chapitres consacrés aux personnages me faisaient penser aux séries où, au milieu d’un épisode, il y a un zoom sur l’un des personnages, parfois sous forme de « flashback ». Comme par exemple dans la Casa de Papel, pour citer un exemple récent. Si vous me parlez de la suite, j’aimerais beaucoup une adaptation à l’écran de Wunderbike. Clin d’œil appuyé à Netflix, ahah. En revanche, ce que j’aime avant tout, ce sont les livres, la religion des mots. Et j’ai déjà beaucoup à faire ! Après, pourquoi pas…
Je suis plus inquiet de la fragmentation sociale et de l’individualisme que du réchauffement climatique. Sans résoudre le premier, on ne résout pas le second.
IN. : que dites-vous à vos enfants sur la vie qui nous/les attend? Comment réagissent-ils? Et vous, comment croyez-vous qu’on va s’en sortir?
Th.B. : je ne me risque pas à faire des prédictions, ce n’est pas mon domaine. Comme tout le monde, j’ai des jours avec et des jours sans. Aujourd’hui, avec les événements qui se produisent dans le monde et le matraquage informationnel, les réseaux sociaux, c’est facile d’être pessimiste, voire anxieux. Mais j’ai du mal à m’y résoudre. D’abord parce que le pire n’est jamais sûr. La vie est dangereuse, elle l’a toujours été, elle l’a même été plus, ça ne sert pas à grand chose de débattre de nos illusions perdues. L’inconfort est normal. Le pire, c’est l’apathie. Si on se concentre, qu’on travaille ensemble, qu’on s’autorise à penser en grand, le futur peut être formidable. Je suis plus inquiet de la fragmentation sociale et de l’individualisme que du réchauffement climatique. Sans résoudre le premier, on ne résout pas le second.
Dans le livre, je cite Neruda: « Si rien ne nous sauve de la mort, qu’au moins l’amour nous sauve de la vie. ». J’aime bien cette phrase, c’est déjà ce que j’essaie d’apprendre à mes enfants. Que l’amour, c’est une vie réussie. Je crois que ça remet tout le reste à sa place. Et en disant ça, j’ai l’impression d’être à la messe ! On n’y échappe définitivement pas !
IN. : et en fait si la fiction était plus vivable que la réalité?
Th.B. : je préfère l’inconfort du réel qu’un bonheur fictif. Après, si vous préférez l’inverse, rendez-vous dans le métaverse !
j’ai voulu germaniser le Wonder, peut-être en référence à Uber, où j’ai travaillé un temps. Et là le jeu de mot avec le mot allemand Wunderbar est naturellement venu.
IN. : pourquoi ce titre, Wunderbike?
Th.B. : le vélo m’a rapidement amené vers la roue, et plus précisément une grande roue, la Wonder Wheel de Coney Island (j’ai vécu un an à New York). J’aimais bien l’imaginaire que cela convoquait, celui du parc d’attractions, où tout n’est pas vraiment réel. Cela m’autorise le côté presque dystopique, un peu fou de certaines scènes, toujours dans le plausible, mais à la limite de l’invraisemblable. Ensuite j’ai voulu germaniser le Wonder, peut-être en référence à Uber, où j’ai travaillé un temps. Et là le jeu de mots avec le mot allemand Wunderbar est naturellement venu. C’est dur de disséquer une intuition, mais je crois que ça s’est passé comme ça.
IN.: un sujet pour un nouveau livre?
Th.B. : j’en ai quelques-uns en stock, mais rien de défini. Si Wunderbike a une dimension évidente d’autofiction, j’aimerais bien que le prochain soit une fiction complète. Mais nous verrons…

En résumé

Révolutionner la mobilité à Paris sur fond de guerre de gangs…

Quand on lui offre l’opportunité de prendre la tête de la filiale française de Wunderbike, une start-up californienne à l’ambition environnementale affichée, Julien pense pouvoir enfin concilier travail et convictions.
Sa mission : révolutionner la mobilité à Paris, grâce à des vélos électriques performants et à une équipe surmotivée. Mais après des débuts enthousiasmants, Julien déchante rapidement. Livreurs à vélo en quête de survie, conflits avec la mairie, vandalisme, actions de militants écologiques… il n’est pas si simple d’évoluer dans la jungle parisienne. Du quartier de La Chapelle à Paris, à San Francisco en passant par Bobigny, Julien se débat pour poursuivre son combat, mais se retrouve happé dans un engrenage infernal.
Bientôt, l’embrasement n’est plus qu’à une étincelle.

 

 

 

 

350 pages, éditions La Grenade (Lattès), en vente depuis le 10 mai.

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