12 décembre 2021

Temps de lecture : 4 min

Stéphane Martin, ARPP : « Nous nageons dans un océan de contraintes »

L’autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) vient de publier son premier guide de bonnes pratiques d’audiodescription des publicités télévisées à l’occasion de la Journée mondiale des personnes handicapées organisée par les Nations Unies. Son directeur général, Stéphane Martin, nous explique l’histoire de l’ancien Bureau de vérification de la publicité (BVP) et les défis auxquels son organisme doit faire face avec l’explosion des campagnes digitales et les lois toujours plus nombreuses qui entravent la liberté des annonceurs et de leurs agences.

INfluencia : Quelles sont les origines de l’ARPP ?

Stéphane Martin : Sous l’influence des Etats-Unis, les professionnels de la publicité ont commencé à se regrouper au sein de structures communes visant à défendre l’intérêt de l’interprofession. En France, la Chambre syndicale de la publicité qui a été fondée en 1905 et la Corporation des techniciens de la publicité créée en 1920 ont fusionné au sein de la Fédération française de la publicité en 1935. Face à la méfiance du public face aux publicités qui se cachaient dans des rédactionnels publiés dans la presse, les publicitaires ont compris qu’ils ne devaient pas mentir à leurs clients s’ils voulaient durer. Leur volonté de moralisations’est traduite par la création le 29 août 1935 de l’Office de contrôle des annonces (OCA). Le 20 août 1953, l’OCA a cédé sa place au BVP (Bureau de vérification de la publicité). Dans ses nouveaux statuts dévoilés en novembre 1970, le BVP s’est donné pour mission « de mener une action en faveur d’une publicité loyale, véridique et saine dans l’intérêt des professionnels de la publicité, des consommateurs et du public ». Au fil du temps, nous avons défini une liste de 30 règles déontologiques que nos 700 adhérents s’engagent à respecter. En 1992, le CSA a délègué le contrôle a priori de la publicité au BVP tout en conservant le contrôle a posteriori. Les années 2000 ont, elles, été marquées par la création de nouvelles instances comme le Conseil de l’éthique publicitaire (CEP) qui est une sorte de think-tank dont le rôle est d’anticiper les questions éthiques de la publicité et les évolutions déontologiques. En 2008, le Conseil paritaire de la publicité (CPP) a été mis en place. Cette instance de concertation représentant les différentes tendances de la société comme les associations de consommateurs et environnementales rend des avis préalables à l’élaboration et à la modification des règles déontologiques. C’est aussi en 2008 que le Jury de déontologie publicitaire (JDP) a vu le jour. Cette instance de sanction composée de personnalités indépendantes est chargé de se prononcer sur les plaintes du public à l’encontre des publicités qui ne seraient pas conformes aux règles déontologiques. Cette restructuration s’est conclue en 2008 par le changement de nom du BVP qui est devenu l’autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP).

IN : continuez-vous aujourd’hui encore à vérifier les contenus de toutes les publicités ?

S.M. : concernant les publicités télévisées, c’est toujours le cas. La majorité des 24 salariés de l’ARPP, dont le budget annuel qui atteint 4 millions d’euros est entièrement financé par ses adhérents, sont des juristes. Ils visionnent par groupe de deux ou trois 25.000 publicités par an et ils exigent des modifications sur 10% des productions qu’ils consultent.

IN : qu’en est-il des autres médias ?

S.M. : les comités visionnent 25.000 autres publicités par an. Il peut s’agir de campagnes dans la presse, à la radio, sur internet et même de scénarios que les marques peuvent envoyer à des influenceurs. Hors TV, nos experts demandent aux agences de modifier environ 70% des publicités qu’on leur présente. Ce taux peut paraître élevé mais il est normal car lorsqu’un de nos adhérents nous demande de visionner une production, c’est souvent qu’il a des doutes concernant son contenu. 

IN : votre Jury de déontologie publicitaire reçoit-il, lui aussi, de nombreuses plaintes ?

S.M. : leur nombre devrait atteindre 750 cette année. Ce chiffre se situe dans la moyenne mais de plus en plus de plaintes sont recevables de nos jours.

IN : les créatifs dans les agences se plaignent d’être de plus en plus bridés dans leur travail. Êtes-vous plus sévère que dans le passé ?

S.M. : les lectures ont bougé au fil des années. Les attentes de la société ne sont plus les mêmes et nous devons nous adapter à ces évolutions. Dès 1975, nous avons défini une règle pour que la femme ne soit plus traitée comme un objet. Nous avons aussi évolué lorsque le porno chic est apparu à la fin des années 90 et au début des années 2000. Les publicités automobiles ne doivent plus représenter la vitesse depuis 1988. Les spots ne peuvent plus montrer de consommateurs manger devant leur téléviseur et une séquence au petit-déjeuner doit toujours montrer sur une table des céréales, des fruits et un laitage afin de promouvoir les repas équilibrés. Nos règles sont réactualisées pour tenir compte du regard de la société civile qui sont les récepteurs des messages. Les créatifs savent que ce sont eux qui doivent adopter les règles qui sont mises en place mais ces règles sont dictées par des attentes.

IN : pourquoi imposer de telles règles ? Le législateur n’est-il pas supposé faire ce travail ?

S.M. : les premières lois sur la publicité sont assez récentes puisqu’elles remontent aux années 70. Il était donc important de mettre en place un système d’autorégulation pour éviter les abus. La tendance depuis s’est inversée car il ne se passe pas une année sans qu’une nouvelle loi n’impose de nouvelles restrictions contre la publicité. Les mentions légales, rectificatives et informatives se sont notamment multipliées. Tous ces textes partent d’un sentiment légitime de vouloir bien informer les consommateurs mais la plupart d’entre eux sont trop longs, verbeux et mal adaptés aux formats sur lesquels ils doivent être diffusés. Nous nageons dans un océan de contraintes et le rôle de l’ARPP est de tenter de simplifier ces règlements qui s’empilent comme des mille-feuilles. Les publicités automobiles doivent parfois contenir jusqu’à 30 mentions différentes pour respecter la loi. Il va falloir un moment ou à un autre s’asseoir tous autour d’une table pour faire des arbitrages. L’écoute sociale, c’est bien mais les messages diffusés sur les réseaux sociaux ne sont pas forcément représentatifs de toute la population. Il faut trouver un bon équilibre.

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