25 septembre 2024

Temps de lecture : 8 min

Remède à la solitude in the city : les dîners entre inconnus de Maxime Barbier

La solitude dans les grandes villes est un sujet majeur que les associations tentent de résoudre à leur niveau. Des initiatives privées existent pour combattre ce mal du siècle. Timeleft en est une qu'INfluencia a voulu explorer de plus près. Un carton depuis le début de cette année que Maxime Barbier, 39 ans son créateur, décrypte pour nous.
solitude

Maxime Barbier est le créateur de Minute Buzz qu’il revend à TF1 en 2017, et dont il assure la direction pendant trois ans. Timeleft sa nouvelle aventure professionnelle prendra plusieurs virages jusqu’à trouver la formule magique en début d’année. Un concept né pour combattre la solitude dans les grandes villes. Car « la solitude tue. Et c’est un phénomène intergénérationnel en croissance constante dans nos villes » expliquait récemment un article dans Usbek & Rica, intitulé La ville lutte-t-elle efficacement contre la solitude ?

En effet, d’après une étude publiée en septembre dernier par le Royal College of General Practitioners (le principal organisme professionnel anglais des médecins généralistes), les personnes isolées ont 50% de chances en plus de mourir prématurément par rapport aux personnes ayant une vie sociale active. Comparant la solitude à une épidémie, les auteurs de l’étude ont appelé à ce qu’elle soit attaquée ouvertement en termes de santé publique, comme l’obésité ou la cigarette. Publiée quasiment au même moment par la Fondation de France et le Crédoc (Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de Vie), une étude française estime quant à elle à 2 millions le nombre de jeunes âgés de 15 à 30 ans vivant en situation d’isolement social ou de vulnérabilité. Comme l’explique également cet article, si les personnes âgées sont souvent les plus touchées par le phénomène, les jeunes, les migrants ou les personnes en situation de handicap en sont également souvent victimes. Dans une formule certes un peu facile mais parlante, Eric Liu, CEO of Citizen University indique « nous sommes tous migrants dans les étapes de transition de notre vie », c’est-à-dire lorsque nous quittons ou entrons dans un nouveau cercle social. Hadrien Riffaut, chercheur-associé au CERLIS et co-auteur de l’Etude Solitudes 2022 indique pour sa part que « si le portrait-robot de la personne isolée reste celui d’une femme plutôt âgée, peu diplômée et ne disposant que de faibles revenus, l’âge n’est plus un marqueur déterminant« .

« On voit par exemple de plus en plus de jeunes en situation objective d’isolement, même s’ils n’osent pas s’autodéclarer ainsi. De même, on a souvent tendance à penser la ruralité comme lieu de l’enclavement alors que la solitude s’exprime davantage dans les grandes villes, où il y a plus d’anonymat et moins de liens de proximité. Enfin conclut-il, « Il y a aussi un changement de regard à opérer pour faire comprendre que la solitude n’est pas un problème personnel mais un phénomène sociétal qui peut concerner tout le monde, à tous les âges de la vie. En ayant un nouveau rapport décomplexé à la solitude et en l’intégrant comme une étape possible de notre parcours, il sera plus facile d’en parler et de se faire aider. » Place maintenant à l’interview de Maxime Barbier qui a fait de la solitude son combat… convivial.

INfluencia : l’application Timlefet comme toute bonne idée, est née d’un besoin, ou d’un constat évident que l’on ne prend pas finalement le temps d’interroger… La solitude.

Maxime Barbier : effectivement Timeleft est un concept qui combat la solitude dans les grandes villes en proposant de manière simple aux gens de se rencontrer dans des restaurants tous les mercredis à travers le monde.

IN. : normalement c’est une chose que l’on a coutume de faire… Le 21ème siècle a oublié la convivialité ?

M.B. : ce n’est pas une vue de l’esprit, la solitude est de plus en plus prenante et les gens sont de plus en plus seuls. Nous avons perdu la  capacité de nous connecter aux autres… D’ailleurs, mon père lui aussi victime d’une certaine solitude liéée à un accident vasculaire me disait lorsque j’évoquais ce projet, « c’est marrant que de nos jours, qu’on ait besoin d’une application pour aller dîner avec des gens au restaurant »…

IN. : un accident qui vous a sans doute inspiré…

M.B. : mon père souffrait de solitude après un accident au cerveau survenu il y a trois ans. Depuis que l’appli est en place, il fait appel à Timleft toutes les deux semaines et il y a trouvé des amis. Donc oui comme vous le disiez plus haut, c’est simple, fondamental, c’est juste mettre des gens autour d’une table pour qu’ils partagent un repas… Et par exemple sachez que cette semaine, ce mercredi, il y a eu 15000 inconnus qui ont dîné ensemble dans 1200 restaurants à travers le monde, dans 275 villes et 61 pays. La solitude que traversent les gens est impressionnante. C’est comme une chape de plomb qui vous enlève toute énergie et semble sans issue.

IN. : pensez-vous que la covid a mis en lumière cette réalité ?

M.B. : sans doute, quand je me suis mis à voyager en 2020, je me suis rendu compte que dans toutes les grandes villes, c’était compliqué de se faire des amis, des relations. La seule chose qu’on avait à notre disposition, c’était les applis de rencontres, or ces applis ne sont pas satisfaisantes… Entre les malentendus, les dangers des dates, l’insécurité, la manière dont les gens se parlent, se ghostent, il ne se passe pas de très jolies choses au final…

IN. : et puis vous avez tenté plusieurs idées avant de parvenir à celle-ci…

M.B. : oui, au démarrage de Timeleft, j’ai souhaité connecter  des gens qui avaient les mêmes rêves en commun… Romantique, non ? Finalement, nous nous sommes rendu compte que c’était une idée sympa, mais que les gens n’avaient pas envie de rêver ensemble (rires)… Ensuite on s’est dit, on va connecter les inconnus afin qu’ils fassent quelque chose en commun… C’était une app où l’on choisissait quelqu’un dans la ville et quelque chose à faire dans la ville. Après un an on s’est aperçu qu’il y avait un problème, un homme et une femme, l’insécurité, la peur… Donc il y a deux ans, on a carrément pivoté. Nous nous sommes dit, essayons de faire des groupes… Un groupe c’est plus rassurant. Quoi de plus naturel que de « manger » ensemble en discutant ? Bing, nous y étions. Et c’est parti comme cela. Connecter des groupes d’inconnus dans des restaurants, avec 0 infos. Une totale surprise. Timeleft vous envoie l’adresse de restaurant, l’heure, et il y a cinq inconnus qui attendent pour dîner avec vous…  J’ai fait le premier dîner le 3 mai l’année dernière. J’étais tout stressé, je me suis dit mince, parce que je ne savais pas qui allait venir. En fait, c’était une vraie expérience et on a passé un super moment.

IN. : vous démarrez votre expérience à Paris, puis vous vous demandez si d’autres villes sont susceptibles d’êtres ouvertes au concept…

M.B. : oui Paris, la ville ou personne ne se parle, nous nous sommes dit qu’il y avait beaucoup de solitude à Paris… Maintenant nous sommes présents dans 275 villes. De fait, nous avons ouvert quasiment une ville chaque jour, dans 60 pays et 15 langues depuis un an.

IN. : l’avez-vous pensé par âge ?

M.B. : non, surtout pas. Ceux qui participent ont de 20 à 80 ans. Mais nous avons constaté que ce sont à 70% de femmes qui sont à l’initiative de ces rencontres.

Ce sont les femmes qui ont plus tendance à organiser et oser ces dîners, puis elles entraînent les hommes peut-être plus introvertis…

Il y en a qui se retrouvent tous les mercredis. Il y a une étude scientifique anthropologique qui a déterminé la capacité maximum du nombre d’amis qu’une personne peut avoir. En fait, nous avons tous des cercles dont la plus proches se composent de 5 personnes. Le cercle suivant est de 15 amis . Puis 50 connaissances que l’on peut inviter à un barbecue, et enfin celui de 150 personnes que l’on invite à un mariage. Ces chiffres pour expliquer qu’il y a des personnes que l’on priorise, et beaucoup qui sortent du spectre des gens connus ou fréquentés, surtout dans les grandes villes. Autre enseignement, ce sont les femmes qui ont plus tendance à organiser et à oser ces diners, puis elles entrainent les hommes peut-être plus introvertis…

IN. : comment fonctionne Timeleft ?

M.B. : les trois premières années, c’était un peu la traversée du désert avec ces différentes tentatives évoquées plus haut, et puis soudain, au début de 2024 nous sommes passés au sein de l’entreprise de deux à 70 personnes. De deux villes, à 225. De 200 adeptes à 15 000 chaque mercredi.

IN. : comment expliquez-vous cette embellie ?

M.B. : en fait, j’ai compris que les restaurants étaient devenues des machines à livrer à domicile. Et dans ces lieux où naguère on allait tous manger un morceau, et bien c’est fini. Cela doit faire une dizaine d’années que le resto est une boîte vide. C’est triste en fait de se dire que les gens en un clic se font livrer chez eux et mangent devant une série. À mon sens, ces services de livraison de nourriture participent aussi quelque part à la solitude, c’est pourquoi nous avons choisi un jour fétiche, le mercredi. Un jour sanctuarisé, au milieu de la semaine. Comme à l’époque où les gens se croisaient au marché du mardi, ou à l’église le dimanche. Un jour de rituel. Une façon de conserver le lien social…

IN. : avez-vous testé Timeleft dans des villes moyennes ?

M.B. : en fait dans les grandes villes, tous nos utilisateurs réagissent positivement. Barcelone, Lisbonne, Londres, Berlin, Madrid.… Les États-Unis sont notre plus gros marché. Nous allons poursuivre en Asie, en Australie, en Nouvelle-Zélande. A Bangkok, nous pensions devoir changer le produit pour l’adapter, mais en fait pas du tout, notre concept n’a rien de français, il est universel, en fait. Les gens se sentent seuls, vraiment, et le phénomène de la ville, lié à celui de la technologie en sont les principales causes. Si la livraison à domicile est la grande coupable, il y a aussi le phénomène de migration. Il y a encore 100 ans, quasiment tous les enfants vivaient à moins de 50 km des parents. Maintenant, les enfants déménagent dans les villes. Moi j’habite à Paris mais avant j’habitais à Lisbonne. Mes parents sont à Paris ma sœur est à Londres. On voyait très peu mes parents.

La table est une excuse pour créer la connexion

Parmi les empêcheurs de se voir autour d’un bon dîner il y a aussi le télétravail. Les réseaux sociaux créent des dépressions, le covid à renforcé un peu le phénomène de solitude, mais les applis de rencontres aussi, tout comme le nombre de divorces, la facilité avec laquelle on split… Bref, dans une grande ville on est entouré de gens mais on est seul.

IN. : quid des plus petites villes ?

M.B. : nous sommes à Nice, Grenoble, Saint-Étienne, Montpellier Toulouse, ou dans de plus petites villes, et on constate que le concept marche moins. Les gens continuent à maintenir des rituels qui disparaissent dans les métropoles.

IN. : quel est le prix de ces dîners ?

M.B. : Entre 14 et 15 euros (prix du dîner non inclus), soit via un ticket, soit via un abonnement de 20 euros (dîner non inclus), vous pouvez participer toutes les semaines si vous voulez, en réservant votre place. Si vous vous décidez le mercredi matin, vous avez une place garantie, vous recevez une adresse de restaurant, un numéro de table, et à 20 heures, c’est parti pour l’aventure. Nous avons négocié avec les restaurants. Donc les gens partagent leur addition ou ils se débrouillent entre eux (rires). Et après ils se réunissent dans un bar, que l’on appelle le Last Drink. A Paris, par exemple, tous les mercredis, 1000 personnes vont dîner ensemble, répartis sur 80 restaurants rive droite, rive gauche, à Boulogne et à Issy-les-Moulineaux par exemple, ils vont aller boire un verre tous ensemble, après.

IN. : cela change des réseaux sociaux et virtuels…

M.B. : la solitude touche tout le monde et on mixe les gens, les âges, les situations, Le fait de mélanger, de ne pas savoir si l’un cherche l’amour, un autre, une amitié, ou simplement une discussion, une soirée drôle… En fait c’est beaucoup plus léger qu’un date, et bien plus frais et convivial comme type de rencontre.

IN. : enfin, quels sont vos critères pour choisir les restaurants participants ?

M.B. : on s’assure simplement d’avoir des bons restaurants chaque semaine… des restaurants accessibles sympathiques, la gastronomie n’est pas le sujet.  L’idée c’est de faire passer de bons moments aux gens. La table est une excuse pour créer la connexion.

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