Quand l’info tourne à l’Ouest : Trump surpasse Emmanuel Macron dans les médias français
Jamais un chef d'état étranger n’avait autant dominé l’agenda médiatique français... au détriment de notre propre président. Un révélateur du tropisme international – et spectaculaire – de nos récits politiques.
Depuis les débuts de la Ve République, rares sont les personnalités étrangères qui ont réussi à s’imposer durablement dans l’agenda médiatique hexagonal. Si les chefs d’État américains ont toujours bénéficié d’une couverture importante – de la fascination pour Kennedy à l’hostilité envers Bush ou Trump lui-même lors de son premier mandat –, jamais un président non français n’avait, sur une période de cinq mois, éclipsé le chef de l’État en exercice dans la presse nationale. C’est désormais chose faite.
D’après une étude de la plateforme de veille Tagaday publiée le 3 juin, Donald Trump a été mentionné dans plus d’un demi-million de contenus entre le 1er janvier et le 31 mai 2025, soit une citation toutes les 25 secondes. C’est presque deux fois plus qu’Emmanuel Macron sur la même période, dont la visibilité a chuté de 22 % par rapport à 2024. Un basculement historique, reflet d’un système médiatique de plus en plus tourné vers la personnalisation, la conflictualité… et le spectaculaire.
Une omniprésence à haute valeur symbolique
La surexposition de Trump dans la presse française ne tient pas seulement à sa personnalité clivante ou à ses postures provocatrices. Elle s’inscrit dans un contexte où l’actualité internationale, et notamment géopolitique, sature les canaux d’information. Guerre en Ukraine, tensions au Proche-Orient, relance de la guerre commerciale : dans chacun de ces dossiers, l’ancien président américain (et à nouveau candidat) s’impose comme une figure centrale, parfois même incontournable.
Il est ainsi cité dans près de la moitié des contenus portant sur la guerre en Ukraine, dans 30 % des articles concernant le Proche-Orient et même dans 57 % des sujets liés aux Houthis. Son nom devient un prisme d’analyse, un élément de polarisation, et plus largement un outil narratif puissant. Les rédactions l’utilisent comme point d’accroche, incarnation d’un monde en recomposition où les équilibres traditionnels vacillent.
Une fascination révélatrice d’un désenchantement politique ?
L’autre enseignement de l’étude concerne la structure même du classement médiatique : sur les dix personnalités les plus citées, neuf sont des hommes et une très large majorité sont issues du monde politique. Cela témoigne d’une double tendance : un traitement genré et une focalisation croissante sur le politique, souvent au détriment des autres sphères de la société. Dans ce paysage, Trump cristallise à lui seul plusieurs tensions : celle d’une démocratie américaine fracturée, celle d’un imaginaire médiatique français en quête de figures fortes, mais aussi celle d’une Europe qui regarde ailleurs pour mieux parler de ses propres incertitudes.
Que Donald Trump devienne la personnalité la plus médiatisée en France ne relève pas simplement d’un accident statistique : c’est le symptôme d’une transformation plus profonde du champ médiatique, qui valorise de plus en plus les récits politiques importés, les figures clivantes et les dynamiques de conflit. Ce phénomène interroge : comment couvrir la politique à l’ère du spectacle globalisé ? À quel moment l’actualité internationale devient-elle un miroir des angoisses locales ? Et comment rééquilibrer la représentation dans un espace médiatique dominé par la surenchère ?
Alors que les campagnes présidentielles américaine et européenne se profilent, il est fort à parier que le cas Trump ne sera pas isolé. Plus que jamais, la manière dont les médias traitent la politique – nationale comme étrangère – dessine les contours de notre imaginaire démocratique. Une question brûlante : qui capte la parole publique, et pourquoi ?