11 juillet 2025

Temps de lecture : 4 min

Quand l’IA s’invite au berceau… et bouleverse les premiers gestes parentaux

De l’allaitement aux nuits agitées, plus de la moitié des jeunes parents ont déjà consulté une IA comme ChatGPT pour obtenir des conseils. Gain de temps, réassurance, mais aussi dépendance : cette nouvelle parentalité assistée soulève autant d’espoirs que d’inquiétudes chez les professionnels du secteur.

La génération actuelle de mamans et papas dispose d’un allié inattendu dans la nurserie : l’intelligence artificielle. Des chatbots comme ChatGPT sont devenus les confidents nocturnes de nombreux jeunes parents en quête de conseils instantanés sur l’allaitement, le sommeil de bébé ou la gestion des coliques. Le phénomène est tel que plus de la moitié des parents de nourrissons ont déjà sollicité ChatGPT pour des astuces éducatives ou pratiques. Même Sam Altman, le PDG d’OpenAI (à l’origine de ChatGPT), a avoué son recours massif à l’IA pour l’aider avec son nouveau-né : « Je ne sais pas comment j’aurais fait sans », reconnaissait-il le 18 juin dernier, lors de l’enregistrement d’un podcast interne d’OpenAI.

L’IA, un nouveau membre du “village” parental

L’engouement des jeunes parents pour les assistants virtuels s’explique aisément. Un chatbot disponible 24 h/24 pour répondre aux angoisses de 3 h du matin, voilà de quoi rassurer plus d’un père ou d’une mère. Pourquoi bébé pleure-t-il ? Faut-il s’inquiéter de ce petit bouton ? Autrefois, on compulsait les forums ou on appelait sa mère à l’aube. Désormais, une IA générative peut en quelques secondes éclairer le comportement d’un nourrisson ou suggérer des conseils pour la routine du dodo, le tout avec un ton rassurant et sans jugement. D’après la psychologue Sophie Pierce, de plus en plus de nouveaux parents utilisent ainsi les chatbots pour « mieux comprendre les comportements de leur bébé, soutenir les routines de sommeil et d’allaitement, ou encore déchiffrer les comptes-rendus du pédiatre ». L’IA s’intègre ainsi petit à petit au réseau de soutien parental, avec l’avantage de ne jamais dormir.

Il n’y a pas de honte à demander un coup de pouce technologique sur des questions bénignes du quotidien. Déléguer certaines interrogations à la machine peut même sembler un réflexe salvateur : l’IA répond vite, avec bienveillance, et n’a pas ce petit air de reproche qu’on redoute parfois chez les proches. Pour une mère ou un père épuisé, obtenir en quelques clics la liste des aliments adaptés à un bébé allergique, ou des idées de jeux pour occuper un bambin turbulent, peut constituer une aide précieuse et déculpabilisante. L’IA ne juge pas les questions « bêtes » et permet aux parents d’apprendre sur le tas en toute décomplexion.

Du chatbot spécialisé au babyphone intelligent

Ce boom de l’IA familiale n’a pas échappé aux entrepreneurs de la baby tech. Une flopée de nouveaux services ciblent directement les parents. Par exemple, la psychologue star Becky Kennedy – alias “Dr Becky” – a lancé un chatbot intégré à son application Good Inside, entraîné sur ses propres conseils, pour fournir des réponses personnalisées aux questions éducatives. Des start-up proposent aussi des doulas virtuelles disponibles 24 h/24 pour accompagner la grossesse et le post-partum (l’application Soula, par exemple). Même les objets de puériculture deviennent intelligents : il existe des babyphones et berceaux connectés à l’IA, et même une poussette autonome digne d’une Tesla du landau. Ces gadgets futuristes relèvent encore du luxe, mais leur existence témoigne de l’essor d’un marché où l’IA s’immisce dans chaque recoin du quotidien des parents.

Infobésité des conseils : quand trop d’IA tue l’instinct ?

Face à la prolifération de ces coachs virtuels, une question émerge : peut-on trop en demander à l’IA ? Les pédiatres et pédopsychologues rappellent que la surabondance d’informations peut devenir néfaste. Une étude publiée en 2023 dans la revue International Journal of Behavioral Development par des chercheurs de l’Université de Calgary a montré que les jeunes parents qui consultent excessivement des sources numériques, notamment les IA, ont tendance à se sentir moins compétents dans leur rôle, ce qui peut accroître leur anxiété parentale… un cercle vicieux bien connu à l’ère de Google, que l’IA pourrait encore amplifier.

Et quand la confusion règne, certains en viennent à accorder plus de foi aux réponses d’un chatbot qu’à leur propre médecin : une étude parue en 2024 dans le Journal of Pediatric Psychology a révélé que de nombreux parents font désormais davantage confiance à “Dr. ChatGPT” qu’à leur pédiatre. Les chercheurs rappellent que ChatGPT n’est pas un manuel de puériculture certifié : ses conseils peuvent être génériques voire erronés. Aussi savant soit-il, un chatbot ignore tout des particularités de chaque enfant. Il ne remplacera ni le diagnostic d’un médecin, ni le flair qu’un parent développe en vivant au quotidien avec son bébé. La psychologue Robyn Koslowitz a ainsi observé que « parfois un chatbot finit par prendre les décisions à la place des parents. Mais la seule façon d’apprendre à être parent, c’est de faire confiance à son propre jugement ».

Trouver l’équilibre entre IA et instinct

La solution réside dans un usage équilibré et réfléchi de ces nouveaux outils. L’IA doit rester un coup de pouce ponctuel, pas un oracle infaillible. On peut s’en servir pour obtenir des idées ou un point de départ, mais sans jamais abdiquer son bon sens ni sa responsabilité finale. Rien ne remplace par ailleurs la solidarité humaine. Amanda Hess, journaliste au New York Times, rappelle que si l’on se repose trop sur la technologie, on passe à côté des liens tissés en demandant de l’aide à ses amis, voisins ou proches – ces relations réelles qui soutiendront nos enfants tout au long de leur vie. Autrement dit, il faut tout un village pour élever un enfant, pas seulement un chatbot.

Enfin, gardons à l’esprit que ces outils ne sont pas encore régulés. Chaque application fixe ses propres règles de sécurité et de confidentialité, et les données familiales partagées peuvent être exposées ou réutilisées sans assez de garde-fous. Cette question de l’équilibre ne fait sans doute que commencer à se poser, car les bébés de 2025 grandiront avec l’IA dans leur environnement. L’IA sera-t-elle demain un référent éducatif à part entière ? Faudra-t-il encadrer ses usages comme on régule les algorithmes sur les réseaux ? Et que restera-t-il du lien humain si l’instinct parental se code ? Pour schématiser quelque peu, la question sera donc de savoir si les enfants apprendront à apprivoiser l’IA… ou si c’est elle qui finira par les élever.

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