De l’addiction à l’éducation : la gamification pour désintoxiquer aux paris en ligne
Transformer les mécaniques des paris sportifs en outil d’éducation financière : c’est l’ambition de la campagne bésilienne « Detox Bet ». Un modèle qui pourrait faire école en France, où jeunes et précaires tombent de plus en plus dans les pièges du jeu et du trading compulsif.
Lancée par Genial Investimentos et la Bourse brésilienne B3 avec l’agence Tech&Soul, la campagne « Detox Bet » détourne les codes addictifs des paris en ligne pour favoriser l’apprentissage des marchés financiers. Le principe : remplacer les mises d’argent par des prédictions sur les variations boursières entre deux entreprises cotées. Chaque semaine, 13 « duels » sont proposés sur la plateforme gratuite Ação Premiada. Les utilisateurs accumulent des points, et les meilleurs pronostiqueurs remportent des gains — sans jamais engager un centime.
Mais l’objectif va bien au-delà du jeu : il s’agit de sensibiliser à l’investissement responsable, à travers des vidéos pédagogiques et des contenus vulgarisés sur le fonctionnement des marchés. L’ensemble repose sur un équilibre subtil entre ludification, apprentissage et déconstruction des réflexes addictifs du pari sportif. Une démarche validée scientifiquement.
L’appui des neurosciences contre l’addiction
Pour asseoir la légitimité du dispositif, les concepteurs se sont entourés de l’Institut Brésilien de Neuromarketing et de Neuroéconomie (IBN). Ce dernier a mesuré les réactions émotionnelles d’un panel d’utilisateurs confrontés d’une part à des plateformes de paris classiques, d’autre part à Ação Premiada. Résultat : l’alternative éducative génère des émotions positives comme la satisfaction et l’enthousiasme, tout en réduisant la frustration et l’anxiété propres aux jeux d’argent. Ce repositionnement émotionnel est crucial : il permet de conserver l’attention captée par le mécanisme du jeu sans en reproduire les effets délétères. L’adrénaline devient moteur de concentration, et non de dépendance.
En France, le contexte fait écho de manière troublante à cette initiative. Selon l’Autorité Nationale des Jeux (ANJ), les mises sur les paris sportifs en ligne ont atteint neuf milliards d’euros en 2023, en hausse de +6 % par rapport à l’année précédente. Et parmi les joueurs les plus actifs, on retrouve massivement des jeunes : 69 % des joueurs de paris sportifs ont entre 18 et 35 ans. En parallèle, une étude de l’AMF menée en 2022 révèle que 49 % des 18-24 ans ont déjà investi en bourse ou envisagent de le faire, souvent via des applications de trading aux interfaces ludiques et sans accompagnement pédagogique.
Pour Marc Mossé, membre du collège de l’AMF, « la frontière entre jeu d’argent et investissement est de plus en plus poreuse pour les jeunes générations, attirées par la promesse de gains rapides sans réelle conscience des risques » (source : Le Monde, mars 2024). Le phénomène prend racine dans un climat économique anxiogène, où la recherche d’un “coup de pouce” financier immédiat se substitue à la construction d’un rapport sain à l’argent. Entre paris sportifs, cryptomonnaies et plateformes de trading gamifiées, le cocktail est explosif — et sous-estimé.
Un modèle éducatif à adapter ?
C’est là que l’exemple brésilien devient précieux. En offrant une alternative gratuite, éducative, et calibrée pour séduire les jeunes, Detox Bet propose une piste à la fois préventive et inclusive. Rien n’empêche d’imaginer en France une plateforme similaire, pilotée par les acteurs publics (AMF, Banque de France) en lien avec les acteurs de l’éducation ou les fintechs responsables. D’autant que les campagnes de sensibilisation actuelles peinent à convaincre : selon une enquête de Harris Interactive pour l’ANJ en 2023, seuls 38 % des 18-24 ans identifient le pari sportif comme un jeu d’argent potentiellement dangereux. En inversant les codes, en utilisant les leviers de la dopamine et de la gratification immédiate pour transmettre des savoirs, Detox Bet redonne du pouvoir d’agir à un public vulnérable.
Ce n’est pas un hasard si Detox Bet a été distinguée dans plusieurs festivals créatifs pour son originalité stratégique : elle capte un problème systémique et propose une réponse créative à forte valeur sociale. En France, la gamification a souvent été utilisée pour capter l’attention commerciale. Il est temps qu’elle serve aussi l’intérêt public. La question n’est plus de savoir si les jeunes sont attirés par les mécanismes de jeu — ils le sont. Elle est de savoir comment transformer cette attraction en élan d’apprentissage plutôt qu’en spirale de dépendance. Et si, pour faire reculer les addictions, il fallait commencer par mieux jouer ?