24 mai 2022

Temps de lecture : 5 min

Médias : Le public à la parole

Dans un monde plus horizontal, les médias ne peuvent plus se réfugier dans une tour d’ivoire d’ailleurs attaquée de toutes parts. Face à une défiance croissante, ils doivent continuer à parler au public, mais surtout prendre davantage en compte la voix des Français et s’ouvrir à leurs préoccupations. Si l’exercice n’est pas naturel pour tous, la plupart des médias ont compris qu’il en va de leur crédibilité et surtout de leur avenir. Cet article est tiré de la revue INfluencia, numéro 39, intitulée Pouvoir contre pouvoirs et influences.

« Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. » Dans le flux d’un échange qui durait déjà depuis plus d’une heure, la réponse d’Emmanuel Macron à deux soignantes est passée presque inaperçue pour les participants du Face aux lecteurs organisé début 2022 par Le Parisien avec le président de la République. Mais à peine l’interview publiée sur le site du quotidien, les politiques et éditorialistes se sont emparés de la phrase avec des critiques portant moins sur la stratégie que sur la forme, éludant le contexte dans lequel elle avait été prononcée. Et pourtant… « Face aux questions que les lecteurs posent aux invités, les discours des politiques, chefs d’entreprises, sportifs ou artistes sont moins policés que ce qu’ils diraient à des journalistes. Ils sont dans une sorte de discussion d’égal à égal, avec une franchise qui amène de l’authenticité à l’échange », témoigne Pierre Chausse, directeur délégué des rédactions au Parisien. L’intérêt du public tranche aussi avec la hiérarchie journalistique. Dans le Live présidentiel de TF1 et 20 Minutes, les internautes ont ainsi interrogé Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot sur le film Don’t Look Up : déni cosmique qui cartonne sur Netflix

Si le dialogue avec les auditeurs est une marque de fabrique de la radio avec les emblématiques Le téléphone sonne (France Inter), Les auditeurs ont la parole (RTL), les nocturnes de libre antenne, etc., le numérique a marqué un tournant dans la proximité de tous les médias avec leur public. Les commentaires des internautes sont une mine d’informations pour alerter les rédactions sur des sujets, corriger les erreurs, identifier des experts ou des témoins : « Il y a forcément un spécialiste du sujet dans nos 25 millions de lecteurs mensuels ! Lors des élections américaines, les Français repérés dans tous les États du pays ont été une vraie force pour suivre la campagne. Les papiers qui buzzent ou sont les plus partagés montrent à quel point les lecteurs se sentent concernés », détaille Bertrand Gié, directeur délégué du pôle News du Figaro.

Un lien en crise

Par habitude ou par confort, beaucoup de rédactions restent pourtant sur une logique d’offre voire dans un entre-soi, qui leur a été reproché au moment des Gilets Jaunes. « Au-delà des aspects économiques et de la transition technologique, les médias sont confrontés à une crise du lien aux publics, qui leur trouvent moins d’intérêt car ils se sentent moins représentés », observe Nathalie Pignard-Cheynel, professeur à l’Université de Neuchâtel et directrice de l’Académie du journalisme et des médias (AJM), qui a mené un projet de recherche autour des liens entre médias locaux, journalistes et publics. Les catastrophes et les grands rendez-vous citoyens font office de catalyseurs d’innovation : « Des moyens importants sont consacrés pour recréer du lien, car les attentes sont énormes. Les dispositifs testés sont parfois pérennisés et marquent une évolution à plus long terme », ajoute-t-elle.

L’élection présidentielle en est l’illustration. Le Monde était allé « voir comment vont les Français » et leur avait donné la parole dans une série de cent reportages Fragments de France qui racontait leurs doutes, leurs rêves et leurs peurs, et part chaque semaine « à la rencontre de la France ordinaire » avec La France buissonnière. En ce début d’année, on ne compte plus les rendez-vous politiques qui mettent les candidats face aux citoyens. Certains se déplacent ou recueillent les témoignages en région comme Le Grand Face-à-face XXL (France Inter et Marianne), La France dans les yeux (BFM TV) ou Ma voix compte (France info). D’autres intègrent le public dans leur dispositif avec un panel de Français en visio dans Élysée 2022 (France 2) ou six abstentionnistes en plateau dans Mission convaincre (LCI). Valérie Pécresse avait jugé l’exercice plus rude qu’un débat avec un adversaire politique : « C’est émotionnellement dur, car vous n’y croyez plus », avait avoué la candidate en fin d’émission.

Le dialogue en circuit court

Chez ceux qui n’ont pas décroché du débat public, l’envie de participer est au beau fixe ! La technologie ouvre les horizons : « La place du lecteur, centrale au Parisien, s’entretient sur le numérique et les réseaux sociaux. Un outil de direct interactif permettra bientôt de poser les questions en direct sur notre site, par exemple pour échanger avec le chef du service politique. À chaque échéance électorale, nous relançons notre Laboratoire des propositions pour faire remonter des idées », précise Pierre Chausse. Fin août 2021, France Bleu a lancé avec Make.org et France 3 Régions la plateforme Ma France 2022 : quelles priorités pour notre pays demain ? « En tant que porte-parole des territoires, nous voulions formaliser à l’échelle nationale ce dialogue en circuit court que nous pratiquons au quotidien en région. Beaucoup de solutions qui remontent sur la plateforme ont été testées localement et seraient réplicables », explique Erik Kervellec, directeur de l’information du réseau local de Radio France.

Mi-février 2022, plus de 920000 participants avaient formulé quelque 33500 propositions et généré près de six millions de votes. Au fil des mois, l’antenne nationale et les 44 locales de la station se sont nourries des résultats, mais ces propositions ont surtout été réunies dans un « agenda citoyen » remis aux candidats. C’est sur les dix thèmes qui intéressent le plus les Français – et pas sur leurs programmes – que France Bleu les interrogera jusqu’à la fin du processus électoral. « Tous les médias revendiquent la voix des Français. La consultation citoyenne est un dispositif massif qui nous permet d’être plus convaincants. Avant, les politiques nous considéraient comme des gens sympathiques. Là, ils nous écoutent et France Bleu est devenue légitime dans le débat politique national », poursuit-il.

Le public en direct ?

La rubrique Le 20H vous répond de TF1 reçoit environ 200 questions par jour, dont les principales sont relayées en plateau par la journaliste Garance Pardigon. À côté des messages écrits et vocaux, les téléspectateurs peuvent désormais poser leurs questions en vidéo. « La technologie mise en place par la start-up VoxM permet de faire entrer le public physiquement sur l’antenne sans les renvoyer sur les réseaux sociaux, mais tous les téléspectateurs ne sont pas prêts ou à l’aise pour prendre ce petit instant warholien à la télé », souligne Yani Khezzar, responsable Innovation pour l’info de TF1. Maîtrise de l’antenne oblige, les vidéos diffusées sont préenregistrées. Il reconnaît qu’il serait « préférable d’avoir la personne en direct », mais le risque de dérapage est important : « Entre le moment où la rédaction voit la vidéo sur la plateforme, la sélectionne et l’envoie en plateau, il peut se passer seulement quelques minutes. C’est presque du direct… On regarde comment proposer cette interactivité sur d’autres contenus d’information. »

Le déferlement de propos violents ou haineux, et des fake news sur Internet et les réseaux sociaux, n’épargne pas les médias. Compte tenu des audiences, la modération des commentaires n’est pas une mince affaire ! Le Figaro reçoit un commentaire toutes les deux secondes, qu’il modère dans la demi-heure, 24 heures sur 24. « 20% des commentaires sont rejetés et non publiés. C’est beaucoup, mais bien moins que d’autres médias », note Bertrand Gié. Fin 2021, le quotidien a décidé de réserver l’écriture des commentaires (mais pas leur lecture) à ses 250000 abonnés numériques, comme une sorte de privilège, mais sans lien direct avec la présidentielle, assure le directeur du pôle News : « Au fil des ans, le débat et l’expression des opinions ont trouvé leur place ailleurs que sur nos pages. Il devient moins indispensable d’ouvrir à tous des commentaires, dont la modération mobilise beaucoup de temps et d’argent, et qui nous exposent potentiellement à des problèmes importants en tant qu’éditeur. » Dans un paysage élargi, où tous les pourvoyeurs de contenus n’ont ni les mêmes contraintes ni la même mission, la proximité des médias avec les audiences sera clé pour renouer le lien et la confiance. Un avenir à coconstruire car, si les médias proposent, c’est toujours le public qui dispose…

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