25 juin 2023

Temps de lecture : 3 min

Mathias Doepfner (Axel Springer): « les plateformes auront un intérêt, presque égoïste, à aider les éditeurs, les entreprises de médias et les créateurs de contenu ».

Aux côtés de RTL, Axel Springer fait partie des rares groupes médias européens à investir le Cannes Lions, alors que leurs homologues américains - du WSJ au New York Post, en passant par CNN ou le NYT - en ont fait une étape incontournable pour leurs équipes commerciales. Cette année, le propriétaire de Bild, Politico, Morning Brew ou Insider s'était installé au cœur de l'hôtel Majestic pour assurer la promotion de ses différents titres dans sa "Freedom Haus". Mais c'est sur la scène du Palais que le groupe a le plus marqué les esprits, avec l'intervention de son PDG, Mathias Doepfner qui a présenté une vision très franche et tranchée sur l'avenir des médias.
Comme toute la Croisette cette année, le patron d’Axel Springer (relire l’édito d’isabelle Musnik) avoue que l’ensemble de son entreprise est « obsédée par l’IA » . À commencer par lui. « Nous faisons en sorte que les grands modèles de langage et d’IA générative deviennent partie intégrante de nos offres. Ils vont être intégrés à nos produits, dans chaque site web et partout où nos lecteurs peuvent interagir. Nous les appellerons bots, assistants, majordome… peu importe. Ces outils vont aider les utilisateurs à passer plus de temps sur nos sites et vont créer des opportunités de monétisation intéressantes pour nous, » explique-t-il.
« les postes de relecteurs et de traducteurs, les tâches d’édition des contenus ou de mise en page vont disparaître dans les médias »
200 suppressions de postes chez Bild
Mais l’enthousiasme a ses limites, car l’implémentation de l’IA va conduire Axel Springer à supprimer des emplois. Mathias Doepfner ne s’en cache pas et l’assume totalement, alors que la veille de son intervention, 200 suppressions de postes étaient annoncées chez Bild. Et ce n’est qu’un début. « Certains disent qu’un tiers des emplois disparaîtra, qu’un autre tiers va être créé et que les métiers restants changeront radicalement. C’est tout à fait vrai« , assure-t-il sur scène, avant de citer quelques-uns des emplois qui sont amenés à disparaître dans les médias : les postes de relecteurs et de traducteurs, les tâches d’édition des contenus ou de mise en page…
à l’ère de l’IA, il y aura une prime aux commentaires, aux débats d’idées et à l’analyse, tandis que le style personnel des journalistes sera valorisé.
Mais, promis, juré, chez Axel Springer, ces économies et ces « gains d’efficacité » permettront d’investir « dans ce qui nous distingue vraiment, à savoir la qualité éditoriale« , soit, concrètement, l’enquête et les reportages. « Le journalisme d’investigation va connaître un âge d’or, » affirme ainsi Mathias Doepfner, en ajoutant qu’à l’ère de l’IA, « il y aura une prime aux commentaires, aux débats d’idées et à l’analyse, tandis que le style personnel des journalistes sera valorisé ».

« Le fait d’agréger des informations et de reprendre les contenus d’agences de presse ou d’autres médias pour les réécrire est un modèle totalement dépassé ».

« Nous n’avons pas besoin de bureaux au sens physique du terme. Ce dont nous avons besoin, c’est de reporters dans les rues. Nous avons besoin d’un plus grand nombre de journalistes d’investigation, d’un plus grand nombre d’experts qui font des reportages sur des sujets précis, d’un plus grand nombre de bons auteurs… » ajoute-t-il, en précisant que « la suppression d’un tiers des éditions locales de Bild s’accompagne d’un doublement du nombre de journalistes d’investigation en région. Le fait d’agréger des informations et de reprendre les contenus d’agences de presse ou d’autres médias pour les réécrire est un modèle totalement dépassé.
Mais quid du modèle économique pour les médias dans ce nouvel environnement ? « Pour une fois, il est très probable que les plateformes aient un intérêt, presque égoïste, à aider les éditeurs, les entreprises de médias et les créateurs de contenu. Pourquoi ? Parce qu’elles ont besoin de ce que nous produisons. Elles savent que si elles ne le font pas, elles risquent d’avoir des ennuis avec les politiciens qui y verront une menace pour la démocratie et pour l’économie en général.« 

Si la propriété intellectuelle, les données et le contenu créés par les individus – films, musique, littérature ou journalisme – ne sont pas protégés et que tout le monde peut les prendre et les utiliser, alors il n’y a pas de modèle viable.

A écouter Mathias Doepfner, « le droit d’auteur tel que nous le connaissons a déjà disparu. Dans ce monde [de l’IA], l’idée et la définition du droit d’auteur ne s’appliquent tout simplement pas. Nous devons donc repenser ce concept. Si la propriété intellectuelle, les données et le contenu créés par les individus – films, musique, littérature ou journalisme – ne sont pas protégés et que tout le monde peut les prendre et les utiliser, alors il n’y a pas de modèle viable. Pourquoi quelqu’un investirait-il dans la créativité ? Personne ! » Et d’ajouter : « cela va détériorer la quantité et la qualité du contenu très rapidement : ce n’est ni dans l’intérêt des plateformes, ni dans l’intérêt de la société ou des entreprises. C’est pourquoi je pense que nous devons trouver une solution. »
L’analogie avec le monde de la musique face au piratage et au streaming est évidente.
C’est d’ailleurs pour cela que le PDG d’Axel Springer appelle de ses vœux un modèle de rémunération inspiré de celui de la musique, avec une redistribution des revenus entre les différents ayants droit. « S’il y a une transparence sur ce qu’ils utilisent [pour entraîner leurs modèles], il y aura des méthodologies pour quantifier et redistribuer les droits, en fonction de la propriété intellectuelle utilisée, comme dans le monde de la musique. Si l’industrie musicale n’avait pas mis ce système en place dans les années 60, aujourd’hui il n’y aurait plus de maison de disques« , conclut-il.

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