29 mars 2024

Temps de lecture : 9 min

Marion Darrieutort (THE ARCANE) : « Je crois beaucoup au fait qu’on peut avoir plusieurs vies et que chaque vie prépare celle d’après »

Impossible d’imaginer la très chic et sérieuse Marion Darrieutort, un flingue à la ceinture en train d’arrêter des dealers? Et pourtant… La CEO du Cabinet THE ARCANE, Présidente du Think Tank Entreprise et Progrès, auteure du « Le temps des LEADERS POP »   répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’hôtel Swann* – Proust oblige bien sûr

INfluencia : Votre coup de coeur?

 

Marion Darrieutort : il est pour la campagne gouvernementale « Toutes et tous Egaux » à l’occasion du 8 mars, pour encourager les femmes à créer leur entreprise. Pourquoi ce coup de cœur ? Parce que c’est la première fois que le sujet de l’entrepreneuriat féminin s’invite dans la Journée des droits des femmes. Historiquement, elle était largement consacrée aux violences faites aux femmes, ce qui est une absolue nécessité. Mais en tant qu’entrepreneure je trouve que c’est une bonne chose de parler d’entrepreneuriat féminin à cette occasion. On sait aujourd’hui que l’émancipation économique des femmes est une façon de diminuer les violences qui leur sont faites. Et l’entrepreneuriat féminin est une façon d’atteindre cette plus grande émancipation. C’est tout le combat du programme BOLD de Veuve Clicquot depuis plus de 50 ans, pour lequel je m’engage fortement.

 

 J’essaie d’apprendre à être flemmarde. Je suis en apprentissage

IN.: Votre coup de colère ?

M.D. : C’est un coup de colère que j’aimerais transformer en coup de cœur. Peut-être est-ce d’ailleurs dû au fait que je suis une « boomeuse », mais cela m’énerve.  Il est contre cette « génération flemme » dont tout le monde parle. Mais attention, je tiens à préciser qu’il ne faut pas stigmatiser la génération Z, cela concerne tout le monde. Au total, selon une étude de la Fondation Jean Jaurès 45 % des Français disent être pris d’une épidémie de flemme.

On le voit dans la vie privée comme professionnelle, on a beaucoup parlé de « l’appel du canapé » : nous sortons moins de chez nous, nous sommes sous la couette à regarder Netflix et jouer à la console, nous fréquentons moins les boîtes de nuit, le cinéma, les salles de sport et même le bénévolat est en baisse. On assiste donc à une espèce d’apathie, de fatigue permanente, de fragilisation psychologique et mentale depuis le covid, d’angoisse, de peur de la mort, d’instabilité émotionnelle. On ne veut plus faire d’enfants. Je lisais les études sur le sexe, même là c’est la débandade… Les marques s’emparent du phénomène.  Regardez le nouveau slogan de Uber Eats :  ‘Embrace the Art of Doing Less’. Au travail, c’est la même chose : perte d’enthousiasme, de motivation, grande démission…

Comme je suis très hyperactive, je vois bien que parfois je suis un peu à contre-courant. Mes copains me disent souvent de me calmer et j’essaie d’apprendre à être flemmarde. Je suis en apprentissage (rires). Mais lorsqu’on est entrepreneure, on n’a pas le droit à la flemme, c’est plutôt ‘no pain, no gain’. Et plus profondément, une société ne peut pas être flemmarde.  J’ai plutôt envie d’un call to action, de passer de la flemme à la flamme. Je n’ai pas envie que ce soit une fatalité. On peut utiliser le meilleur de la flemme, à savoir l’ennui fertile, la créativité et l’inspiration, les réflexions sur le sens de la vie, mais il ne faut pas prendre le négatif : l’apathie, la paresse et le ramollissement. Tout cela conduit au repli sur soi et à la peur de l’autre.

 

Je rêve un jour de m’installer en Inde et de m’occuper des gens

IN.: La personne qui vous le plus marquée dans votre vie?

M.D. : J’ai une fascination pour les personnes qui sont dans le don de soi. Nous menons des vies où il est parfois compliqué d’agir de cette façon, mais je pense qu’il faut regarder et s’inspirer de personnalités modèles pour, de temps en temps, mettre un peu d’humanité dans notre société. Les deux personnes qui m’ont beaucoup marquée sont Mère Teresa et Amma, une femme qui est une figure spirituelle et est connue pour faire des câlins -elle en a fait 40 millions dans le monde- Elles sont toutes les deux originaire d’Inde, un pays qui m’attire énormément – j’y vais quasiment tous les ans-, elles ont fondé des ONG et ont fait des miracles. Et je trouve très intéressant de comprendre ce qui les a poussées, au-delà même de la religion, à donner sans compter et sans attendre des résultats immédiats.

Mon rêve est de rencontrer Amma. J’ai voulu aller la voir, quand elle est venue à Paris. Mais il y avait deux jours de queue, les gens se relayaient la nuit, donc je n’ai jamais réussi à l’approcher. Mais mon prochain voyage en Inde sera pour aller la voir dans le lieu où elle opère et également pour me rendre à Calcutta, là où Mère Teresa a son association, pour à mon tour aider pendant quelques semaines.

Je rêve un jour de m’installer en Inde et de m’occuper des gens. Je sais que ça a l’air étonnant quand on me voit en fille de com, avec mon sac Chanel ou mes tailleurs chic, mais ce que j’aime dans ce pays, c’est le dépouillement matériel et le recentrage sur le réel. Je ne dis pas que la communication n’est pas réelle mais nous vivons dans des sociétés où il y a beaucoup d’apparat, beaucoup de jugements. Ce n ‘est pas grave. C’est comme ça.  Mais je pense que ma fin de vie sera plutôt de ce côté-là.  Et finalement c’est aussi une forme de communication.

Je voulais être commissaire de police dans les stups, avec un flingue, sur le terrain quoi

 

IN.: votre rêve d’enfant ?

M.D. :  c’était plus qu’un rêve, je voulais vraiment devenir être commissaire de police. Mon père était magistrat, donc j’étais attirée par le côté Etat, loi, intérêt général. La vie a fait que j’ai choisi une autre voie. Je pense que mes parents ne m’ont pas trop encouragée dans cette voie, parce qu’en plus je ne voulais pas être comme dans « le bureau des légendes » où on est derrière un ordinateur. Je voulais être commissaire de police dans les stups, avec un flingue, sur le terrain quoi… Franchement, je les admire ces gens.  C’est un métier avec peu de moyens, où il y a peu de femmes et les je trouve très courageuses. Je suis absolument fascinée par les films d’Olivier Marchal qui est un ancien flic,  par les émissions sur France Inter avec « Affaires sensibles » de Fabrice Drouelle. Je me prends même à regarder sur BFM, «  police justice » le samedi à 11h. J’ai un petit regret quand même de ne pas avoir suivi ma première passion, mais ce n’est pas grave, ça reste  un centre d’intérêt.

Je me suis dit que je ne traverserais pas cette vie sans apprendre à me connaître

IN.: Votre plus grande réussite (en dehors de la famille et du boulot)?

M.D. : Je ne ferai pas une réponse factuelle. En dehors de mes enfants et des entreprises que j’ai lancées, là où je suis contente de réussir, c’est dans la connaissance de moi-même. Nous vivons dans un monde où il y a des hauts et des bas, des difficultés, des échecs et qui nous oblige parfois à faire un peu d’introspection. Et justement, moi qui aime l’Inde, je crois beaucoup au fait qu’on peut avoir plusieurs vies et que chaque vie prépare celle d’après. Et je me suis dit que je ne traverserais pas cette vie sans apprendre à me connaître.  Il y a plein de façons de le faire et d’essayer de rester fidèle à qui je suis dans un monde où on peut être tiraillé, et encore plus dans celui de la com. Je suis fière de ne jamais lâcher ce chemin parce qu’il faut du courage et du temps aussi pour travailler sur soi, pour regarder en face ses échecs, en restant fidèle à moi-même et en me connaissant chaque jour un peu mieux. Cela passe par les voyages en Inde, qui est un lieu assez propice à la connaissance de soi, par les techniques de yoga, de méditation, la psychothérapie qui peut être une réponse à un moment donné. L’hypnose est également une méthode extrêmement intéressante pour apprendre à aller visiter son inconscient pour revenir dans son conscient. Je crois aussi beaucoup à la magie des rencontres qui arrivent à un moment donné dans notre vie dans une forme de synchronicité, notamment avec des gens plus âgés qui sont dans la transmission et qui ont eux-mêmes fait des erreurs et qui, à un moment donné, vont m’entourer.

J’ai essayé de copier des modèles et je me suis perdue là-dedans parce qu’en fait ça n’était pas moi.

IN.: Votre plus grand échec?

M.D.: Ce sont mes échecs comme leader. C’est ce que je raconte dans mon livre  « le temps des leaders pop » (ndlr shortlisté au Prix du Livre INfluencia 2023). Mon éditeur m’a forcé à les raconter dans l’introduction. Parce qu’en fait tous les leaders que je rencontrais ne parlaient jamais de leurs échecs, parce qu’ils étaient justement en position de leadership et qu’en France on n’a pas le droit à l’échec ! Le leadership c’est très difficile, il n‘y a pas de mode d’emploi, quand j’ai fusionné Elan et Edelman j’ai essayé de copier des modèles, de regarder des bouquins de management et je me suis perdue là-dedans parce qu’en fait ça n’était pas moi. J’avais forcément copié des modèles de leadership traditionnels Top Down avec des codes assez masculins, c’était les seuls que j’avais.

Je suis très contente d’avoir accepté que l’éditeur me fasse violence pour raconter mes échecs. Au départ je disais : « mais je ne peux pas en parler, je fais un bouquin sur le leadership. Je vais passer pour une idiote ».  Et en fait, j’ai eu plein de retours de gens qui me remerciaient et me racontaient leurs difficultés. Et comme mon métier est d’accompagner les dirigeants, j’ai envie de passer ce message, dire que le leadership ce n’est pas une science exacte, qu’on a le droit d’avoir des doutes. Et que ce qui compte c’est le chemin, et pas toujours le résultat et que c’est aussi parce qu’on est dans une posture plus humble et plus authentique qu’on devient un bon leader.

Ce sont toutes les deux des femmes fortes, qui s’assument et prennent la main sur leur destin.

 INf. : Natalie Dessay ou Aya Nakamura ?

M.D.: Ma première réaction serait Aya Nakamura  forcément car j’aime le rap et la culture pop. Eh bien en fait, non, c’est Natalie Dessay (ndlr : une des cantatrices françaises les plus connues au monde et maintenant également actrice). J’ai adoré cette question car cela m’a permis de la réécouter, ce que je n’avais pas fait depuis longtemps. C’est magnifique, j’ai été très touchée.  Et en plus, je la trouve assez pop car elle a fait des pas de côté. L’opéra est un milieu assez normé avec des référentiels et des attributs, et elle a pas mal shifté certains codes. Elle a fait une pause dans sa carrière, ce qui était courageux, s’est mise à faire du théâtre, à chanter des choses plus modernes, du Michel Legrand, du Nougaro. Elle est sortie de ce qu’on attend d’une cantatrice.

Dans les deux cas, j’ai beaucoup de respect pour elles. Ce sont toutes les deux des femmes fortes, puissantes, qui s’assument et prennent la main sur leur destin.

 

IN. : Quel malentendu à votre sujet ?

M.D. : c’est un malentendu très anecdotique qui me fait toujours beaucoup rire. Souvent quand on me demande où je suis née, je réponds : « en Guadeloupe ». On me rétorque aussitôt : « ah voilà  d’où viennent tes cheveux bouclés, tes gros traits un peu négroides. Je le savais, tu dois être quarteronne ». En fait, pas du tout. Je suis née en Guadeloupe par hasard, parce que mon père y faisait sa coopération et qu’il avait embarqué ma mère. Mais ils sont tous les deux de sang blanc.  Mais je suis assez fière d’être née en Guadeloupe parce que j’aime leur esprit de la fête, leur musique, leur culture. Je me sens un peu une fille des îles.

 

Être en tête à tête sur une ile déserte avec E. Musk c’est une chance. Si je ne survis pas, ce serait peut-être une belle mort

IN. : quel patron étranger (vivant ou mort) emmèneriez-vous sur une île déserte ?

M.D. : j’embarquerais un patron américain inventeur, c’est à dire un Elon Musk, un Bill Gates ou un Steve Jobs parce que, comme ils sont ultra intelligents, je pense que je ne m’ennuierais jamais. Plutôt Elon Musk parce qu’il a l’air « dingo » et que sa folie créatrice est étonnante et peut-être qu’il aurait une petite fusée miniature ou un code secret, une solution d’IA qui permettrait de nous sortir de là. Et puis il me raconterait l’espace, les business models, l’entrepreneuriat, ses coups de folie, de génie. Être en tête à tête sur une ile déserte avec Elon Musk c’est une chance, Au pire si je ne survis pas, ce serait peut-être une belle mort (rires)

 

* l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’« À la recherche du temps perdu »

 

 

 

 

En savoir plus

L’actualité de Marion Darrieutort

 

 

Créée il y a 3 ans, The Arcane, société spécialisée dans le « conseil en gouvernance et  en influence » emploie aujourd’hui 26 salariés et rentre dans une deuxième étape de consolidation et maintenant accélération. Elle a fait une levée de fonds  en juin 2023 de  3 millions d’euros auprès du fonds Re-Sources Capital

– A cette occasion en février, Marion Darrieutort  a créé une « management company » pour permettre l’entrée au capital de futurs associés. Ainsi, Camille Chaffanjon (directrice et secrétaire générale) et Antoine Lévèque (directeur), sont les premiers à entrer au capital : « je veux montrer que je ne souhaite pas diriger cette société toute seule mais que  je souhaite créer un modèle de senior partnership ».

 

– Vient de présenter, pour la deuxième année son carnet de « Prospective sociétale »

 

– Marion Darrieutort fait beaucoup de conférences, de master classes, notamment auprès des plus jeunes sur le leadership

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