3 juin 2020

Temps de lecture : 7 min

La littérature va-t-elle attraper le Covid-19 ?

La littérature va-t-elle rester confinée encore longtemps? Sera-t-elle vaccinée contre la méchante bestiole ? Ou bien se fera-t-elle un plaisir de l'accueillir au sein de ses phrases? Pascal Grégoire, Marie-Ève Lacasse, Véronique Sels livrent à Influencia leurs réflexions quant aux conséquences que le Covid-19 aura sur la fiction et leur vie.

La littérature va-t-elle rester confinée encore longtemps? Sera-t-elle vaccinée contre la méchante bestiole ? Ou bien se fera-t-elle un plaisir de l’accueillir au sein de ses phrases ?  Pascal Grégoire, Marie-Ève Lacasse, Véronique Sels livrent à Influencia leurs réflexions quant aux conséquences que le Covid-19 aura sur la fiction et leur vie.

PASCAL GRÉGOIRE: Il a quitté la pub tout juste avant le confinement, mais il n’a pas attendu de quitter La Chose, agence qu’il a co-fondé avec Éric Tong Cuong pour s’atteler à son premier roman. Pascal Grégoire auteur de Goldman Sucks et de Monsieur Le Maire aux éditions du Cherche-Midi explique sa version des faits.

La littérature s’est toujours inspirée des crises et de la réalité, les romans de Zola, Balzac, Steinbeck, John Dos Passos et de tant d’autres nous ont fait comprendre la misère, les dettes, l’argent, la colère…. Que raconterait Houellebecq si l’homme occidental n’était pas aussi névrosé? Que serait Guerre et Paix de Tolstoï sans les guerres napoléoniennes ou L’art de perdre d’Alice Zeniter sans l’histoire de l’Algérie? Nous n’aurions pas eu droit à La fin de l’homme rouge de Svetlana Alexievitch prix Nobel 2015, livre si important sur la chute de l’URSS . Céline n’aurait jamais écrit Voyage au bout de la nuit….

Le Coronavirus donnera au monde un nouvel Hugo

Depuis longtemps le roman nous raconte nos vies à travers des événements que la fiction même n’aurait jamais pu imaginer. Le covid 19 est une tragédie, et si je ne me risquerai pas à écrire sur le monde d’après, en revanche je peux affirmer qu’il donnera au monde un nouvel Hugo. Alors que le roman se définissait par une histoire compliquée dénuée de vraisemblance selon le dictionnaire Larousse -cela m’a tout l’air d’un roman- la littérature nous apporte des récits sur tous les aspects de la vie où les héros seront les gens. Une littérature qui parle de nous, de nos peurs, de nos espoirs, qui nous aide à savoir où nous sommes, où nous allons. Alors oui, le coronavirus, est bien sûr une donnée à prendre en compte, c’est une secousse qui influencera les romans à venir.

Mots qui font irruption dans nos vies

Le vocabulaire s’est enrichi de mots qui font irruption dans nos vies, signe que cette crise sanitaire sera aussi un sujet littéraire en soi. Confinement, déconfinement, écouvillons – quel drôle de mot- masque ffp2 ou distanciation sociale et derrière sa cohorte de mots menaçants à commencer par le mot effondrement dont le covid ne serait que le commencement. Nos vies bousculées, nos vies interrogées, la faillite annoncée du capitalisme, le réchauffement climatique, la crise de la démocratie, l’accroissement des inégalités, vont nourrir les auteurs et nous donner des oeuvres qui resteront dans l’histoire. De savoir qu’en ce moment de futurs génies, de futurs nouveaux écrivains sont en train d’écrire le récit de nos nouvelles vies, me donne véritablement des frissons. La littérature permet à tous de comprendre notre monde, mais à la différence des chaines télés comme Bfm Tv où d’obscurs experts tentent de nous inquiéter, elle nous informe pour nous aider à surmonter les crises, à les mettre ne perspective et nous donner les moyens de lutter. La littérature et les livres sont une grande source de paix intérieure, dans laquelle nous pouvons nous réfugier.

J’ai envie d’écrire sur les radicalités

Mon prochain roman, commencé avant la crise , racontera l’histoire d’une activiste climatique, d’un syndicaliste en colère et un agriculteur qui veut réparer ses fautes. Le confinement m’a renforcé dans l’envie d’écrire sur les radicalités, un récit sur ceux qui se battent pour résoudre les problèmes en les prenant par la racine. Je pense que l’ histoire que je raconterai se situera avant le confinement. J’ai toujours tenté de mêler la fiction et la réalité. Mon premier roman Goldman Sucks racontait les dessous de la crise financière de 2008 et le second Monsieur le maire met en scène la France rurale déconnectée et en souffrance. J’aime que les héros soient des gens réels, nous n’avons plus envie de nous projeter mais de nous identifier, de partager nos vies et nos expériences. J’aime bien les Monsieur Smith- héros des films de Franck Capra- personnage naif et idéaliste. J’ai eu beaucoup de problèmes à faire avancer mon histoire tant j’étais comme tout le monde sidéré. Je ne comprenais ps pourquoi mais je me suis rendu compte que je n’étais pas seul en lisant le tract Gallimard d’Arthur Dreyfus dont le titre est « l’impossibilité d’écrire ». ( On en arrive au pied du mur: à ne pouvoir écrire ni sur autre chose- ni sur ça, incapable de peindre la tempête au coeur de la tempête).

J’aime les Madame Smith et les Monsieur Smith

Je m’inspirerai de cette épreuve que nous avons tous traversés pour imaginer en anticipation des crises qui vont inévitablement continuer de nous assiéger. Nous sommes en péril, et cela ne pas l’air d’ un roman, ce qui rend notre travail compliqué. Mais bientôt je vais me remettre à travailler, raconter ma nouvelle histoire, avec des personnages attachants qui tentent de sauver nos vies, des Madame Smith et des Monsieur Smith, qui seront des héros que nous pourrions croiser, masqués, au bar du coin, quand à nouveau il sera ouvert.

MARIE-ÈVE LACASSE :  une jeune femme qui a souvent travaillé pour la pub, notamment en rédaction. Aujourd’hui, elle se plonge sans peur dans la littérature, « pour de vrai », son premier roman  « Peggy dans les phares » racontait l’histoire d’amour entre Peggy Roche et Françoise Sagan, son deuxième,  « Autobiographie de l’étranger »vient de paraître. Tous deux aux Éditions Flammarion. 

Je ne sais pas si la pandémie apparaîtra dans un futur roman, pour l’instant ce n’est pas le cas. Je ne laisse pas l’actualité entrer si directement dans mes livres ou mes pièces. Mais quelque chose s’est produit pendant ce confinement, un changement qui était déjà à l’oeuvre et qui s’est confirmé pendant ces semaines de réclusion : nos modes de vie, mon mode de vie ne va pas. J’ai pris la vaste mesure de cela. Ce n’est pas propre aux écrivains. C’est bien plus universel que cela. Tout à coup, la ville m’est apparue comme un lieu à fuir, et je suis partie. Je suis partie à la campagne et tout s’est transformé. Je ne suis pas arrivée à la campagne pour « consommer » la campagne le temps d’un week-end mais pour m’y installer plusieurs mois. Je garde l’espoir secret d’y rester bien plus longtemps. En tout cas cette perspective, enfin, m’apparaît comme désirable, ce qui était inenvisageable avant. Quand je dis que c’est un long processus, c’est que cela a commencé par des lectures, théoriques notamment, et puis petit à petit, ces lectures ont fini par prendre racine et j’ai fini par partir.

Je me débrouille pour manger et gagner le minimum

J’ai toujours été très urbaine. La vie culturelle se mêle aussi à la vie consumériste, et c’est un équilibre délicat à trouver : la ville ce n’est pas que les bars et les restaurants, c’est aussi les théâtres et les musées, des salles de concert et des universités où la pensée se déploie — c’est une évidence. Mais le prix à payer (au sens propre et figuré) est devenu beaucoup trop lourd. Je ne supporte plus le contrat de dépendance économique archi-violent qu’impose la ville à ses habitants. C’est un rapt : contre le privilège de vivre en ville, il faudrait consommer.

Je me demande bien où j’étais partie, toutes ces années.

La campagne offre des lieux de rencontres non-marchands. On peut accéder aux fruits de la terre en les faisant pousser nous-mêmes ou en faisant du troc. Il y a une anarchie douce des campagnes, un système de la débrouille qui échappe au système bancaire et qui n’est même pas toujours militant ; c’est même proto-militant ! Je me débrouille pour manger et gagner le minimum. Le reste du temps, je regarde les saisons changer à ma fenêtre sans vitre. Je me demande bien où j’étais partie, toutes ces années.

VÉRONIQUE SELS : grande prétresse de la création au sein de TBWA où elle travaillait aux côtés d’Eric-Verbruggen, Véronique Sels a ensuite migré chez Publicis où elle a réalisé de magnifiques campagnes pour le Samu Social, Axa and so on… La talentueuse écrit depuis toujours, mais c’est seuelement en 2011 qu’elle se décide à publier. Auteur de « La tentation du pont », « Bienvenue en Norlande » (Génèse Éditions), puis de «Voyage de noces avec ma mère», et «La ballerine aux gros seins»elle prépare actuellement un ouvrage documentaire.

Les écrivains n’ont jamais attendu que le monde s’arrête de tourner, brûle ou s’effondre pour l’écrire. En revanche, les conditions humaines extraordinaires ont toujours engendré de grands textes. La littérature est un admirable outil de résilience. On a écrit partout et dans toutes les situations. Même à Auschwitz, on écrivait. Est-ce que le Covid 19 laissera une trace dans la littérature ? Engendrera-t-il de grands livres ?

Des Neuf semaines et demie de confinement et des L’amour au temps du Covid 19 ?

De nouveaux héros médecins, infirmières, ambulanciers ? De nouvelles Anne Frank ? Des Neuf semaines et demie de confinement et des L’amour au temps du Covid 19 ? Sans aucun doute. On y retrouvera dans l’intimité ceux à qui on n’a pu dire au revoir autrement qu’au prisme d’une tablette, l’épopée insensée des personnels soignants, les violences conjugales, les dettes, les faillites, les mensonges politiques, l’aide alimentaire, le désastre, la pauvreté tombant dans l’extrême pauvreté… On y rencontrera aussi des enfermements heureux, propices à repenser sa propre vie et le monde.

C’est la contamination du Covid 19 à la littérature tout entière

Mais en dehors des écrits sur la pandémie proprement dite, ce qui me paraît à la fois évident et plus subtil, plus pernicieux, c’est la contamination du Covid 19 à la littérature tout entière, son invasion discrète dans notre façon de vivre et de penser, donc d’écrire. Nous serons tous d’une façon ou d’une autre influencés. Comme notre propre sang, le moindre texte, la moindre ligne contiendra des traces du virus, aussi infimes soient-elles, et dont les nouveaux verbatim – gestes barrière, distanciation sociale – mais aussi le sens modifié de mots déjà existants – confinement ne voudra plus dire la même chose, comme tsunami avant lui – ne seront qu’un aspect.

Quand les postillons se transforment en cartouches de révolver

La littérature sera forcément contaminée par cette nouvelle réalité qui se boit et se mange, qui se lave trente fois les mains par jour et s’embrasse de loin, par cette nouvelle réalité qui transforme les postillons en cartouches de révolver et les quintes de toux en attaques à gorge armée, par cette réalité qui déguise trois milliards et demi d’humains en cambrioleurs et crie HAUT LES MAINS ! dès que deux humains se touchent.

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