18 avril 2022

Temps de lecture : 4 min

«Les avions ou les bombes sont volontairement sonores pour provoquer un traumatisme cérébral», Boris Cirulnyk

La résilience est devenu un terme à la mode, galvaudé, que chacun emploie à sa guise en ne se souciant pas ou prou de son sens originel. A l’heure où la covid est encore dans toutes les mémoires, (le premier confinement date de mars 2020), ou la guerre déclenchée en Ukraine par Vladimir Poutine fait rage depuis plus de 50 jours et, où le second tour des élections approche, opposant Marine Le Pen et Emmanuel Macron, Boris Cirulnyk vient de publier Le laboureur et les mangeurs de vent chez Odile Jacob.

Celui qui ausculte, ouvrage après ouvrage la notion de résilience, vient également de lancer sa Masterclass. Une série de douze leçons intitulée « comment se reconstruire après un événement traumatique ». Celui, qui né en 1937, échappe à la mort à l’âge de sept ans, et voit par la même ses parents disparaître dans les camps, est devenu neuropsychiatre et psychanalyste. Sa vie entière, comme il l’explique lui-même, il la consacre à l’étude du « traumatisme » et à la résilience, le moyen par lequel il est possible de surmonter un traumatisme et de vivre au plus près de la paix intérieure. Interview de de l’auteur aux soixante ouvrages et aux 2,5 millions de livres vendus de par le monde.

INfluencia : le terme de résilience est devenu galvaudé, chacun l’utilise sans pour autant connaître son origine ou son sens. Aujourd’hui, il est plus que jamais d’actualité. Expliquez-nous.

Boris Cirulnyk : la résilience est d’abord un phénomène bien connu en physique, il concerne la résistance d’un matériau au chocs. Par extension, elle est une force morale, celle qui permet de résister et d’évoluer au contact d’un traumatisme. La capacité de quelqu’un qui ne se décourage pas, ne se laisse pas abattre. C’est la capacité d’adaptation d’une personne, à vivre suite à un traumatisme. Un phénomène qui s’applique aussi au monde végétal, animal, et au notre.

INfluencia : comment, définissez-vous le traumatisme ?

B.C. : un traumatisme recouvre des multitudes de formes. Un tremblement de terre, la précarité sociale, un tsunami, un abandon, un décès… Le plus spectaculaire des traumatismes, le plus évident peut-être bien moins grave qu’un traumatisme plus pernicieux, quotidien. Ainsi j’estime qu’un individu sur deux vit avec un traumatisme et la question est de savoir s’il va être en mesure d’évoluer, de vivre avec une certaine paix intérieure.

INfluencia : toute votre œuvre tourne autour de cette notion. Votre dernier ouvrage revient sur la question de la soumission à un dictateur et de la liberté de ne pas s’y soumettre…

B.C. : quand un peuple est en difficulté, il cherche un sauveur. Et ce sauveur peut lui raconter n’importe quoi, le peuple va suivre et perdre son aptitude à juger, notre époque valorise les discours délirants. On part d’un postulat stupide qui ne repose sur rien et on construit un raisonnement cohérent, coupé de la réalité. Mais n’est pas une fatalité ? L’école, les artistes, le cinéma, les romanciers, les fabricants d’essais, tous ceux qui posent des questions et invitent à visiter un autre monde mental que celui du chef, du tyran » peuvent aider.

IN. : vous-même dites avoir exploré dès que vous en avez eu la possibilité votre traumatisme…

B.C. : à 7 ans, j’ai été condamné à mort pour un crime que j’ignorais. Ce n’était pas une fantaisie d’enfant qui joue à imaginer le monde, c’était une bien réelle condamnation. Pourquoi certains deviennent-ils des « mangeurs de vent », qui se conforment au discours ambiant, aux pensées réflexes, parfois jusqu’à l’aveuglement, au meurtre, au génocide ? Pourquoi d’autres parviennent-ils à s’en affranchir et à penser par eux-mêmes ? Certains ont tellement besoin d’appartenir à un groupe, comme ils ont appartenu à leur mère, qu’ils recherchent, voire chérissent, le confort de l’embrigadement. Ils acceptent mensonges et manipulations, plongeant dans le malheur des sociétés entières. La servitude volontaire engourdit la pensée. « Quand on hurle avec les loups, on finit par se sentir loup. » Penser par soi-même, c’est souvent s’isoler. Seuls ceux qui ont acquis assez de confiance en soi osent tenter l’aventure de l’autonomie…

IN. : pendant la covid vous aviez été interrogé sur la capacité de vivre confiné… et expliquez pourquoi certains « s’en sortent » et « d’autres moins ».

B.C. : ceux qui ont grandi dans une famille stable et sécurisante, qui ont un bon réseau amical, ceux qui ont appris à communiquer, lire, écrire, se remettre à la guitare, inventer des rituels, se débrouiller grâce à ces facteurs de protection acquis au cours de leur développement antérieur. À l’opposé, ceux qui ont acquis des facteurs de vulnérabilité, isolement sensoriel, carences affectives, maladies, précarité sociale… peuvent avoir plus de mal et risquent même de sortir du confinement avec un trauma. Ils ont davantage besoin d’aide. Se protéger repose sur trois axes, l’action, l’affection et la réflexion. Tous trois des tranquillisants.

IN. : diriez-vous que nous traversons une crise de même ampleur que celle que vous avez connue enfant ?

B.C. : je ne pensais pas revoir la guerre en Europe.

IN. : quand Laure Adler vous interrogeait sur France Inter dans L’heure bleue le 30 mars dernier, sur notre impuissance face à la guerre en Ukraine, vous répondiez, « Je ne voulais pas faire la comparaison et pourtant, je vais être obligé de le faire ».

B.C. : Poutine est en train de mettre en place le même processus que celui du nazisme des années 1930 : galvaniser les enfants en leur apprenant un seul récit. Les Jeunesses hitlériennes s’emparaient des enfants et leur désignaient l’ennemi. J’ai une amie un peu plus âgée que moi, qui a passé son enfance dans les Jeunesses hitlériennes. L’embrigadement qu’elle a vécu est le même que celui des Russes. On commence par désigner le voisin comme bouc émissaire. Là, c’est l’Ukrainien. Avant, c’était le Géorgien, le Tchétchène… En Ukraine, le dictateur utilise une méthode pour prendre le pouvoir : terroriser. Les avions ou les bombes sont volontairement sonores pour provoquer un traumatisme cérébral. Quand le bruit est très fort, le cerveau s’éteint. C’est un traumatisme presque physique, volontaire, qui fait partie des techniques de guerre. Face à ce système d’expansion, les Occidentaux font exactement comme les politiciens face à Hitler avant-guerre. Ils étaient revenus en disant : «Ça va aller, on l’a séduit. Il ne fera pas la guerre ». On connait la suite. Si on continue à se taire face à Poutine, on va lui laisser le champ libre.

 

 

 

En résumé

Focus sur la résilience

Les principales influences de Boris Cirulnyk ont été les travaux publiés par John Bowlby et sa théorie de l’attachement dans les années 60-70. L’attachement à une mère, à un socle sécurisant, celui qui permet de continuer d’avoir une meilleure idée de soi. Des bébés singes privés de leur mère, ont démontré que l’absence d’amour ou de contacts dès les premières heures de la vie empêchent un développement harmonieux de la personnalité et conduit un repli sur soi et des comportements anti-sociaux. C’est ce que démontrent aussi les travaux de René Spitz en 1940, puis de Harry Harlow en 1960, sur la perte de la mère.

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