Le monde a changé, la télé a suivi : quelles sont les grandes tendances TV en 2025 ?
Formats recyclés, fictions comme refuges, JT en crise de crédibilité : la dernière étude mondiale de Médiamétrie décortique l’évolution des usages télé dans 95 pays. Entre héritage assumé et envie d’ailleurs, le petit écran poursuit sa mue… sans renier ce qu’il a toujours su faire de mieux.
Non, la télévision n’est pas morte. Elle résiste. Mieux : elle évolue. En 2024, les téléspectateurs des 95 pays étudiés ont passé en moyenne 2h19 par jour devant la télé linéaire. Les jeunes adultes, eux, y consacrent 1h25, soit bien moins, certes, mais toujours plus que ce qu’on imagine dans les discours alarmistes. « La télévision reste puissante et résiliente, avec un rôle essentiel pour informer, divertir et rassembler », souligne Frédéric Vaulpré, Directeur de Glance.
Cette force d’inertie du média est à la fois culturelle et politique. Dans des périodes d’instabilité mondiale, la télévision reste ce lieu où l’on cherche du sens… ou du réconfort. Et le phénomène n’est pas anecdotique : près de 70 % du temps passé devant la télévision dans le monde l’est encore sur des programmes en direct, même en pleine explosion des plateformes. Alors que les formats évoluent, que les supports se multiplient, et que les nouvelles générations zappent (littéralement) d’un écran à l’autre, la télé linéaire reste ce point fixe, ce totem familier autour duquel les récits collectifs continuent de s’écrire.
Le règne de l’adaptation : recycler pour rassurer
L’autre tendance majeure, c’est l’omniprésence des adaptations. Pourquoi se risquer à l’originalité quand un bon concept peut traverser les frontières ? En Royaume-Uni, 80 % des programmes les plus vus sont des adaptations. Aux Pays-Bas, ce chiffre atteint 50 %. En France, près de 40 % des formats de prime time sont importés ou localisés. « L’adaptation de formats internationaux permet de bénéficier de recettes déjà éprouvées tout en s’adaptant aux cultures locales », explique Noémie Bottiau, Responsable Études et Insights chez Glance.
Le phénomène ne dit pas seulement quelque chose des industries. Il dit aussi quelque chose de nous. Dans un monde incertain, le spectateur aime reconnaître ses repères. Les producteurs l’ont bien compris : on redonne une nouvelle vie à un jeu, un dating show, une téléréalité, on y colle une patine locale, et on obtient un produit rassurant… mais toujours efficace.
La fiction, remède à la fatigue du réel
Plus que jamais, la fiction joue le rôle de soupape. Dans les tops des audiences mondiales, les séries locales – notamment policières, médicales ou dramatiques – tiennent tête aux formats globaux. En Espagne, 7 des 10 programmes les plus regardés sont des fictions. En France, 9 des 10 meilleures audiences de 2023 sont des séries ou téléfilms français. « La fiction est un refuge, elle permet de se projeter dans d’autres vies, d’autres univers, parfois plus rassurants que le monde réel », observe Frédéric Vaulpré. Et il ajoute : « En période de crises, le divertissement prend toute sa place ».
Cette quête d’évasion est globale : aux États-Unis, les comédies légères regagnent du terrain. En Corée, les séries romantiques et historiques explosent. En France, même les documentaires se fictionnalisent, avec des formats hybrides mêlant reconstitution et storytelling dramatique. On veut vibrer, rire, pleurer… mais surtout oublier la morosité ambiante.
Le journal télévisé en mutation (et en perte de vitesse)
Si la télé reste forte, le JT, lui, se cherche. Dans de nombreux pays européens, la part d’audience des journaux traditionnels est en baisse. Les jeunes s’en détournent, préférant des formats plus digestes, sur d’autres plateformes. Pour Noémie Bottiau, « les téléspectateurs veulent une information incarnée, proche de leurs préoccupations, mais aussi capable de décrypter les enjeux mondiaux ». Or, la défiance vis-à-vis des médias traditionnels ne cesse de croître, et les chaînes peinent à renouveler leur ton sans perdre leur crédibilité.
Mais attention : le déclin du JT ne signifie pas celui de l’info. En Amérique latine comme en Asie, les formats courts, participatifs et fact-checkés prennent le relais. L’information reste une fonction cardinale du média télé. Mais sa forme, elle, est condamnée à évoluer — ou à s’effacer.
Une télévision plus agile, plus locale, plus fluide
Enfin, la télévision devient un carrefour. Linéaire, plateformes, réseaux sociaux : tout coexiste. Et pour que ça fonctionne, la fluidité est reine. « Aujourd’hui, les contenus doivent circuler d’un écran à l’autre, être accessibles à tout moment, et s’adapter aux usages fragmentés des publics », insiste Frédéric Vaulpré. Les chaînes misent désormais sur des “ponts” entre supports, avec des formats pensés simultanément pour le prime time, le replay et les réseaux. Le live reste une valeur sûre (notamment pour le sport), mais le replay monte. Dans l’hexagone, il représente déjà près de 20 % de la consommation TV chez les 15-34 ans.
En bref, les signaux de transformation sont là, et les acteurs du secteur en sont conscients. Adapter les formats, décloisonner les supports, fluidifier les récits : c’est à ces conditions que la télé peut rester dans la course… et continuer à faire société.
France Télévisions : entre ambitions culturelles et contraintes budgétaires
Dans un paysage médiatique en recomposition, France Télévisions reste l’un des derniers bastions d’un service public à la fois populaire, exigeant et accessible. Mais cet équilibre est fragile. Le budget 2025 du groupe affiche un déficit de 41,2 millions d’euros, du jamais vu depuis près d’une décennie. En cause : une baisse des ressources publiques, accentuée par le remplacement de la redevance par une dotation budgétaire moins stable, et une érosion des recettes publicitaires, notamment après la parenthèse des JO de Paris 2024.
Face à ces contraintes, la stratégie est claire : mutualiser les forces de l’audiovisuel public pour mieux affronter la tempête. Stéphane Sitbon-Gomez, directeur des antennes et des programmes de France Télévisions, défend une approche collaborative : « Il faut que les médias publics travaillent davantage ensemble. On n’a pas les moyens de se marcher sur les pieds, de dupliquer les efforts, de dilapider l’argent public. Il faut coopérer pour bien faire notre boulot ». Au-delà du discours, cela se traduit par une volonté de décloisonner les antennes, de rationaliser les fonctions support, mais aussi de réfléchir à des formats plus souples, moins cloisonnés, mieux calibrés pour les usages numériques. France Télévisions a d’ailleurs intensifié ses coopérations avec Arte sur les documentaires, Radio France sur l’info, ou encore avec l’INA pour valoriser les archives.
Mais la mutation ne peut être purement organisationnelle. Elle doit aussi être éditoriale : France Télévisions veut continuer à proposer une fiction française de qualité, informer sans sensationnalisme, toucher les plus jeunes sans singer TikTok. Un numéro d’équilibriste rendu d’autant plus périlleux que la concurrence est globale et algorithmique.
Vers de nouveaux indicateurs de succès : le virage culturel des audiences
Or, pour que ces efforts structurels portent leurs fruits, encore faut-il repenser les critères mêmes de la performance audiovisuelle. Historiquement, l’audience – brute, quotidienne, chiffrée – faisait office de juge de paix. Un programme qui performait en prime time gagnait sa légitimité, son renouvellement… et sa place dans la grille. Mais ce paradigme ne suffit plus. Avec la démultiplication des canaux de diffusion, la consommation à la demande, le replay, le temps long d’engagement, ce qui compte désormais, c’est l’impact. Et celui-ci se mesure autrement.
Les plateformes comme Netflix, YouTube ou Prime Video ont habitué les décideurs à regarder plus loin : taux de complétion, récurrence de visionnage, engagement sur les réseaux sociaux, influence culturelle. Résultat : les chaînes traditionnelles s’y mettent aussi. À l’image de France Télévisions qui, avec l’appui de Médiamétrie, s’intéresse désormais à la “consommation tous écrans” et à l’empreinte numérique de ses contenus.
Dans ce nouveau modèle, un documentaire vu à 21h sur France 5 et relayé ensuite par des extraits viraux sur TikTok peut valoir plus qu’un téléfilm qui plafonne à 2 millions de téléspectateurs mais n’existe nulle part ailleurs. Le succès devient hybride. Cette mutation n’est pas qu’une affaire d’algorithmes. Elle est aussi politique. Pour Denis Gaucher, président de Kantar Media France, cette évolution était inévitable : « La concentration sera inéluctable dans les années à venir. Déjà, deux ou trois plateformes, c’est beaucoup ! » Une manière de rappeler que, dans ce nouveau paysage, le nombre ne fait plus foi : ce qui compte, c’est la pertinence et l’agilité. Les chaînes qui réussiront seront celles qui comprendront que l’audience est devenue un spectre, un signal composite, un faisceau d’indices à décrypter plus qu’une ligne de chiffres à commenter.