4 avril 2022

Temps de lecture : 5 min

« La stratégie de déni du groupe Nestlé est inexplicable », Florian Silnicki (La FrenchCom)

Perte de sens, victoire du déni, indifférence à l’égard d’autrui, le groupe Nestlé en pleine tempête Buitoni, agit comme un poulet sans tête. Jamais, depuis la crise Lactalis, une entreprise n’avait agi avec autant de désinvolture, et fui ses responsabilités de la sorte. L’illustration d’une société, d’un monde qui ne sait plus où sont ses priorités est stupéfiante. Florian Silnicki, expert en stratégies de communication de crise et cofondateur de LaFrenchCom dit sa perplexité à l’heure où les consommateurs, les individus, sont écartelés entre la confiance et la défiance qu’elles éprouvent à l’égard des entreprises. Et par extension du monde politique.

INfluencia : vous dites sans embage votre perplexité à l’égard du déni du groupe Nestlé dans cette crise majeure liée aux pizzas Fraich’Up Buitoni. Pourquoi et comment l’expliquez-vous?

Florian Silnicki : Nestlé enchaine les mêmes erreurs que Lactalis face à la crise du lait infantile contaminé. Manque de réactivité, de transparence, et de mobilisation, stratégie du déni quand le groupe annonce qu’il n’existe aucun lien avéré entre ses produits et les intoxications survenues », puis du doute « Nestlé a mené 75 prélèvements sur la ligne de fabrication concernée et dans toute l’usine, « tous sont négatifs ». … toutes les cases d’une gestion de crise ratée sont cochées par le géant suisse alors que les plaintes se multiplient.

IN. : l’affaire a été grandement médiatisée. Les dommages terribles…

F.S. : après la publication, par RMC, d’images et de témoignages choc d’anciens salariés de l’usine Buitoni de Caudry (Nord) où sont produites les pizzas de la gamme « Fraich’Up » et alors que les autorités sanitaires l’accusent d’être à l’origine de l’intoxication à la bactérie E.Coli de dizaines d’enfants et de la mort de deux d’entre eux, le Groupe Nestlé, l’une des plus grandes entreprises agroalimentaire du monde, n’est pas à la hauteur des exigences élémentaires de la communication de crise dont les six marques stratégiques mondiales Nestlé, Nescafé, Nestea, Maggi, Buitoni et Friskies représentent 70% des ventes du Groupe.

IN. : comment expliquer ce décalage entre la gravité de cette crise et l’attitude du groupe ?

F.S. : je ne me l’explique pas, je constate. 41 enfants présentent aujourd’hui des syndromes hémolytiques et urémiques, tandis que 34 autres cas nécessitent encore des investigations. Les victimes sont toutes des enfants âgés de 1 à 18 ans et deux d’entre eux ont trouvé la mort. Avec ce bilan humain dramatique qui s’aggrave, le géant Nestlé traverse la période la plus difficile de son histoire centenaire, or son attitude est tellement éloignée des standards de la gestion de crise, que l’annonce par le parquet de Paris de l’ouverture d’une enquête pour tromperie sur une marchandise, vente de produits alimentaires corrompus ou falsifiés et nuisibles pour la santé, mise en danger d’autrui, blessures et homicides involontaires, homicides involontaires ne surprend pas, Nestlé va pourtant devoir désormais « mettre en place » une communication sous contrainte judiciaire afin de maitriser le risque réputationnel.

Les lacunes observées dans la gestion de la crise de Buitoni sont stupéfiantes.

IN. : qu’aurait dû faire Nestlé?

F.S. : d’autres géants internationaux, dont le français Perrier et l’américain Johnson&Johnson (Tylenol) ont survécu à des dérapages par le passé grâce à une communication de crise adaptée. Une des règles de base quand survient un cas de contamination est de réagir rapidement, ce que n’a, étonnamment, pas fait Nestlé dans cette affaire. Les lacunes observées dans la gestion de la crise de Buitoni sont stupéfiantes. Le géant de l’alimentation Nestlé aurait évidemment dû mieux gérer la crise provoquée par la présence d’e-coli dans ses pizzas. Est-ce lié à une identification défaillante des risques ? Est-ce lié à un manque d’anticipation de la crise ? Est-ce lié à des exercices irréguliers de gestion de crise ? La conséquence en tout cas, est que ce sont les autorités de santé (DGS, Santé publique France et la DGCCRF) qui, compte tenu de l’attitude communicationnelle de l’industriel, ont été contraintes de sortir le lien entre la consommation des pizzas et l’état de santé des jeunes victimes.

IN. : les consommateurs sont chaque fois plus méfiants, et demandent à leurs marques des comptes, on a du mal à imaginer Nestlé indifférent aux conséquences terribles qui s’en suivent…

F.S. : l’entreprise a réagi en-deçà de ce qu’elle était tenue de faire jusqu’à maintenant. Comment les consommateurs le verront-ils ? Certains craindront le risque et décideront d’éviter les produits Nestlé. Mais le fait que jamais Christophe Cornu, PDG chez Nestlé France, ne soit apparu devant les médias, alors que des enfants ont perdu la vie et d’autres sont en danger, méritait d’être traitée au plus haut niveau. On est ici devant ce qui a semblé devenir une crise dans la crise. On a eu le sentiment que Nestlé a essayé de préserver le plus haut dirigeant le plus longtemps possible parce qu’après lui, il n’y a plus personne pour intervenir. Ne pas faire intervenir le PDG c’est laisser naitre dans l’opinion publique le sentiment que l’entreprise sous-estime la gravité de la crise ou que le pire est à venir. Michel-Edouard Leclerc et Guillaume Pepy dont les Français ont apprécié l’attitude pendant les crises, incarnent un modèle plus vertueux que celui de Nestlé.

IN. : quelle sera selon vous la suite de cette conduite irresponsable de la part d’un géant de l’industrie ?

F.S : en ne reconnaissant pas sa responsabilité dès le début, sans doute, pour ne pas s’exposer ainsi à des poursuites, -ce qui est à mon sens, une grave erreur stratégique car on peut gagner un procès devant les tribunaux et le perdre devant l’opinion publique, et inversement-, la crise est loin d’être terminée et pourrait bien s’amplifier dans les prochains jours. Ils vont maintenant devoir bien encadrer les victimes.

Chacun sait qu’il n’y a pas de consommation sans risque mais chacun a besoin d’être assuré que tout est mis en œuvre par les industriels

IN. :  l’usine rouvrira-t-elle ses portes ?

F.S. : l’usine de Nestlé rouvrira à n’en pas douter. Mais, compte de la communication de crise peu maitrisée, qui voudra de ses produits, et de tous les autres étiquetés Fraich’up ? Par ailleurs, quels seront les dommages de cette crise de la marque Nestlé aux yeux des consommateurs et des investisseurs ? Et même envers la majorité de ses produits qui n’ont rien à voir avec l’usine contaminée de Buitoni ? On sait, que c’est en étant ouverts et transparents pour corriger la situation de crise qu’un industriel permet à ses consommateurs de voir ses efforts et qu’il regagne la confiance envers sa marque. Chacun sait qu’il n’y a pas de consommation sans risque mais chacun a besoin d’être assuré que tout est mis en œuvre par l’industriel pour identifier et lutter contre la réalisation de ces risques.

D’autres entreprises du secteur, les concurrents de Nestlé, pourraient être affectées si les consommateurs décident de renoncer à toutes les pizzas surgelées.

IN. : comment réagiront les assurances ?

F.S. : pour les assurances, les coûts immédiats de cette crise peuvent représenter plusieurs dizaines de millions d’euros en gestion de la crise comme en réparations des préjudices causés. Mais cette estimation ne comprend que les frais du rappel et de la destruction des pizzas à risque, ainsi que la fermeture temporaire et le nettoyage complet de l’usine sans compter l’accompagnement des victimes et de leurs familles. Enfin, la crise sera coûteuse pour les assurances du géant et pour sa valeur boursière qui risque d’être brutalement amputée compte tenu des erreurs de communication insusceptibles de rassurer ses publics et les familles qui attendent légitimement des réponses précises. Il existe aussi un risque de crise par amalgame. Sans compter mais c’est un autre sujet, que d’autres entreprises du secteur, les concurrents de Nestlé, pourraient être affectées si les consommateurs décident de renoncer à toutes les pizzas surgelées.

IN. : sommes-nous à un tournant de la pensée industrielle, de la déshumanisation d’entreprises devenues des « poulets sans tête », des monstres qui vivent dans le plus pur déni ?

F.S. : les élections, auxquelles, 87% des citoyens disent ne pas encore avoir pensé, où dont ils disent avoir encore des hésitations, font penser très fort à cette crise de confiance, à cette perte de sens, de croyance dans l’ensemble des sujets. Nous vivons une époque mutante qui a peur de ce qui l’attend, et qui n’a plus rien de tangible. Donc aucune réaction n’est « évidente », « ne va de soi ». C’est une crise philosophique, existentielle. Nestlé en est la démonstration dans l’univers industriel.

 

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