18 juin 2023

Temps de lecture : 5 min

« La profusion de noms anglais induite par l’internationalisation provoque un effet de dilution auprès de certaines cibles », Nina Derai (Nomen)

A 29 ans, Nina Derai devient la présidente de la société Nomen créée par Marcel Botton en 1981. Chérie FM, Wanadoo, Vivendi, Vinci, Safran, Vélib, Arcelor, ManoMano, au total plus de 2000 noms sont issus du cabinet. Nina Derai, analyse pour INfluencia l'effet de la globalisation sur la création de noms de marques.
INfluencia: Nomen fait partie de la vie des marques depuis 40 ans. C’est l’une, pour ne pas dire la seule à s’être fait un nom ! N’est-ce pas un sacré challenge à 30 ans nommée présidente ?

Nina Derai: c’est vrai que c’est un sacré défi ! Marcel a été un pionnier du métier et a rendu Nomen incontournable sur le marché. La confiance qu’il m’accorde et le soutien témoigné par les équipes ces derniers mois me touchent sincèrement et décuplent ma volonté de faire grandir encore cette belle agence.

IN. : que recouvre aujourd’hui Nomen ? Quelles activités nouvelles ?

N.D. : en 2023, Nomen compte trois bureaux (Paris, Milan, Düsseldorf). Nous intégrons l’ensemble des expertises nécessaires à la création de noms de marques performants : stratégie, création, validations juridiques, linguistiques, digitales et protection.

L’agence souhaite réaffirmer son statut d’ambassadeur européen du naming. Concrètement, cela passe par un développement dans des pays comme le Royaume-Uni, la Belgique. Nous avons déjà de solides bases grâce à des correspondants locaux mais nous voulons aller plus loin. Côté digital, nous continuerons de développer des outils exclusifs pour proposer à nos clients des noms entièrement adaptés à leur époque. Aussi, nous avons récemment obtenu une première certification Ecovadis et nous souhaitons accélérer encore la transformation environnementale et sociétale du groupe.

IN. : Marcel Botton sera toujours présent. Cela signifie-t-il que son nom (justement) est important pour assurer la pérennité d’une marque ?

N.D. : oui, Marcel Botton est un grand nom de la communication, un nom indissociable de la marque Nomen qu’il a créée. Sa présence, son expérience, son savoir-faire, son esprit pionnier sont précieux et c’est une chance pour l’agence que de continuer de bénéficier de ses conseils.

IN. : l’époque a bien changé. Nomen c’est Vinci, Vivendi, Safran, ManoMano, Enedis, Areva, Pôle emploi, Arcelor… Quelles tendances décryptez-vous concernant les noms de marques aujourd’hui ?

N.D.  : les noms de marque d’aujourd’hui sont en effet différents de ceux créés il y a 40 ans, où les patronymes, les locutions descriptives, les sigles et les systèmes alphanumériques étaient très courants, et les noms de fantaisie, plus rares. A époque complexe, promesse simple. Je crois que c’est moins une tendance qu’un mouvement de fond, mais nous observons une volonté de traduire avec toujours plus d’immédiateté l’esprit de la marque. Ce qui est assez paradoxal, d’ailleurs, avec l’encombrement croissant des registres juridiques, aussi bien en France que dans le monde. 

IN. : comment cela fait évoluer votre tâche ? Comment la recherche de noms évolue-t-elle? 

N.D. : pour nous, cette complexité juridique, à laquelle s’ajoute la nécessaire visibilité sur internet (disponibilité du nom de domaine, potentiel de référencement…) est passionnante et stimulante. Mais le sens de notre travail réside aussi et surtout dans l’accompagnement au choix d’un nom, dans la recherche d’un socle partagé entre les différents décideurs.

Il est tout à fait possible de concilier simplicité et immédiateté de l’évocation dans un nom inventé, Velib en est un bon exemple

IN. : en observant la quantité de noms créés pour des produits, marques, enseignes, on a l’impression qu’il n’existe plus assez de mots et qu’il faut les inventer en ajoutant des sons, des consonnes, en doublant des sons… Qu’en est-il réellement ?

N.D. : il est toujours possible d’adopter et d’installer comme marque un mot existant.Quand nous avons créé Refectory (ex-DejBox), nous avons fait le choix de l’évidence pour désigner ce foodmarket à destination des entreprises. Dans un tout autre secteur, au moment de la création de la Renault Captur, c’est la volonté d’interpeler les publics avec un nom incisif qui a guidé la création. A mon sens, la quête d’un nom existant n’est pourtant pas une fin en soi. Il est tout à fait possible de concilier simplicité et immédiateté de l’évocation dans un nom inventé, un mot valise… Velib’ en est un bon exemple.

Il y a 25 ans, Marcel Botton concevait déjà avec Roland Moreno un programme informatique capable de générer des noms et basé comme les IA génératives sur l’analyse d’un corpus.

IN. : vous utilisez l’IA générative pour travailler à la recherche de noms. Est-ce le graal?  

L’IA est un formidable outil, mais comme il en existe d’autres. Il y a 25 ans, Marcel Botton concevait déjà avec Roland Moreno un programme informatique capable de générer des noms et basé comme les IA génératives sur l’analyse d’un corpus. Nous considérons que ces technologies sont de bonnes alliées au quotidien mais elles ne remplaceront, à mon avis, jamais la sensibilité, l’intuition, la capacité que l’on a nous, humains en chair en os, à faire le pas de côté créatif. Et finalement, à singulariser, à créer une émotion vraie, juste.

IN. : retenir tous ces nouveaux noms, c’est compliqué. Un Slip Français, Un Carrefour, Un Intermarché, un Comptoir des cotonniers est plus parlant qu’un Nhood, un Swipe Back ou un MNSTR… et puis il y a tout ce langage né avec les réseaux qui pollue pas mal les identités…

N.D. : je crois qu’un bon nom est vecteur de sens, qu’il soit direct ou accessible en seconde lecture. Vous prenez l’exemple de MNSTR. Je trouve que c’est un nom intéressant. Cette suite de consonnes d’abord obscure prend tout son sens au moment où la marque s’exprime, avec l’ensemble des éléments visuels et rédactionnels qui la composent.

Parmi les marques que vous citez, je remarque que Swipe Back est le rapprochement de deux mots existants… mais de deux mots anglais ! Alors qu’Intermarché est une création inspirée de termes français. C’est très intéressant car aujourd’hui, la volonté d’internationalisation incite les entreprises à adopter des noms anglais. Leur profusion provoque un effet de dilution auprès de certaines cibles.

notre époque de globalisation,  ne conduit pas forcément à l’appauvrissement du français.

IN. : on a beaucoup évoqué à une époque l’importance de la conservation du français, dans la pub et généralement dans le marketing, on parlait alors de l’appauvrissement de la langue française. Pensez-vous que nous y sommes dans cette époque de globalisation ?

N.D. : bien sûr, depuis plusieurs décennies, nous sommes entrés dans une époque de globalisation, mais cela ne conduit pas forcément à l’appauvrissement du français. Les langues évoluent et communiquent entre elles : la moitié de la langue anglaise provenant elle-même du français. Le groupe Nomen œuvre au quotidien pour valoriser les langues européennes, allant parfois avec des marques comme Vivendi réhabiliter le latin dans notre quotidien !

dans un monde en constante mutation, créer un nom de marque pérenne est bien sûr notre objectif.

IN. : sentez-vous aussi cet air de révolution, cette vitesse que tous les acteurs connaissent, affrontent ou subissent pour certains? Comment aujourd’hui créer ou trouver un nom pérenne, et est-ce l’objectif?

N.D. : oui, dans un monde en constante mutation, créer un nom de marque pérenne est bien sûr notre objectif. Un bon nom est capable d’accompagner les évolutions d’une entreprise, ses diversifications d’activités comme son extension géographique. C’est un point de repère, un signe de reconnaissance à la fois durable et ouvert sur l’avenir.

la marque est le seul signe de propriété intellectuelle qui ne soit pas limité dans le temps.

IN. : enfin combien de temps une marque est censée conserver son nom d’origine… A-t-elle une vie plus courte aujourd’hui?

N.D. : pas nécessairement. D’ailleurs, la marque est le seul signe de propriété intellectuelle à ne pas être limité dans le temps. C’ est un actif de l’entreprise et les changements de noms sont toujours mûrement réfléchis. On observe parfois au sein des organisations une tentation de changer de nom suite à un nouveau projet d’entreprise ou une réorganisation. Nous accompagnons nos clients à bien mesurer les opportunités mais aussi les conséquences d’une telle orientation. Pour nous, la durée contribue à la notoriété et à l’attractivité d’une marque.

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