16 octobre 2023

Temps de lecture : 6 min

La Colline devient une marque « engagée » pour la peau.

Dix ans que Ghislain Pfersdorff dirige la jeune marque suisse La Colline, depuis le site de sa filiale de distribution en Europe implanté à Paris. Un challenge que cet ancien directeur marketing passé notamment chez Dior et Baccarat, relève en décidant de donner une raison d’être, en faisant de cette griffe de luxe, une entreprise « engagée pour la peau ». 10 ans d’un travail acharné qui lui vont comme un gant. Car, ne cherchait-il pas lui aussi à donner un sens à sa vie ? Interview à tiroirs d’un homme aux vies multiples.

INfluencia : vous dirigez La Colline depuis dix ans. Quelle est votre mission?

Ghislain Pfersdorff: La marque est jeune : elle est née en Suisse il y a 25 ans dans la ville de Sion, capitale du canton de Valais. Une marque dont le chiffre d’affaires au détail est encore inférieur à 50 millions d’euros. Lorsque sa direction m’est confiée il y a dix ans l’intention première est d’en assurer la pérennité. Un enjeu de taille dans la mesure où une croissance accélérée ne peux pas être la seule solution avec des concurrents comme La Prairie, Clé de Peau , La Mer, et moins connus peut-être, Valmont et CellCosmet. Ce sont des marques déjà établies dans leurs identités. Nous avons alors perçu que sa pérennité proviendrait de notre choix d’en faire la première marque à raison d’être sociale de la cosmétique de luxe.

IN. : vous dites que La Colline c’est tout petit. En clair?

Gh.Pf. : Oui, nous sommes loin des centaines de millions de chiffres d’affaires et nous ne sommes pas nombreux, c’est vrai, mais nous sommes une équipe soudée par notre raison d’être sociale. C’est elle qui nous permet de motiver nos équipes et nos partenaires : ils nous rejoignent parce qu’ils y trouvent un sens qu’ils partagent avec fierté. Notre mission à tous reste l’innovation cosmétique, l’éducation et l’engagement de nos partenaires en Asie, en Europe et depuis cette année grâce au succès de notre prospection en Inde et aux Etats-Unis.

IN. : cela s’avère être un casse-tête, la surenchère de promesses est de mise, et ce n’est pas votre choix…

Gh.Pf. : effectivement plutôt que de créer uniquement de nouveaux produits comme le font nos concurrents, et d’entrer dans cette surenchère de promesses que nous connaissons tous, nous suivons la piste qui nous semble à la fois la plus pertinente et la plus appropriée. La voie de la raison d’être s’est imposée à nous, mais ce n’est pas si évident d’y avancer en restant juste et légitime.

IN. : quelle est-elle, et comment aboutissez-vous à cette « solution »?

Gh.Pf. : Pour l’anecdote, je dois vous avouer honnêtement, qu’à cette époque, je suis surtout un bon ambassadeur et un bon commercial, mais je n’ai aucune idée de comment y arriver : le vocabulaire manque pour exprimer clairement ce choix d’une identité ancrée dans une raison d’être. Ce concept n’existe pas encore vraiment. Alors je vais sur internet et je tape : « Comment garantir l’existence d’une marque de luxe jusqu’en 2050 ? ». Et là je trouve beaucoup d’inspiration: en 2050 le luxe viendra du sens qu’y trouveront les clients. Il s’agira de trouver la justification de la valeur élevée autrement que dans le produit ou le service offert. En clair, les marques qui veulent se pérenniser devront étendre leur territoire et justifier leur existence par une responsabilité sociale accrue. Elles devront prouver aussi qu’elles font du sens. Nous sommes donc en 2010, je digère tout cela et décide de choisir une raison d’être sociale proche de notre métier d’experts en produits de soins pour la peau. Nous lançons alors un programme de recherche fondamentale pour améliorer la qualité des greffes de peau.

IN. : tout comme Typolgy qui va sur le terrain de la dermatologie (lire interview de Ning Li), vous partez sur un registre peu compatible avec le monde des crèmes qui font rajeunir et offrent du rêve…

Gh.Pf. : en effet, si la raison d’être sociale fait déjà partie du paysage aux US sur la côte ouest il y a quinze ans avec notamment une marque telle que Tom’s (tu achètes une paire de chaussures, et un enfant va à l’école) créée par Blake Mycoskie, nous faisons notre révolution en créant notre propre grammaire. Et dès 2013, nous lançons ce programme qui consiste à améliorer la qualité des greffes de peau.

IN. : pouvez-vous expliciter votre raison d’être?

Gh.Pf. : la qualité de vie d’un grand nombre de patients dépendra du succès de notre programme de recherche. Si notre activité commerciale vient à s’arrêter, si notre mission échoue et si nous arrêtons de développer notre marque nous ne pourrons plus apporter les ressources nécessaires à notre raison d’être sociale : temps, motivation, engagement et moyens financiers. Notre engagement social va donc se faire sur la durée et notre raison d’être suscite l’adhésion de l’université de Zurich... A la même époque, beaucoup s’interrogent sur le statut d’obligés de certains laboratoires de recherche financés par les entreprises… Nous arrivons avec notre programme qui garantit l’indépendance de la recherche de nos équipes… Nous nous lançons, mais tout est à faire.

IN. :  comment parvenez-vous à  concrétiser le programme?

Gh.Pf. : par étapes ! Après avoir créé notre doctorat de recherche dès 2013, nous renforçons ce programme qui sera porté par le Laboratoire d’ingénierie cutanée La Colline : un laboratoire que nous implantons sur le campus Irchel de l’université de Zurich, avec une équipe dédiée au cœur du centre de recherche en biologie appliquée et en médecine moléculaire (CABMM) qui met au point des méthodes sûres, traçables et efficaces pour réparer la peau.

IN. : sur Instagram, nous découvrons vos peintures…une passion contrariée?

Gh.PF. : oui, je suis aussi artiste-peintre! Je peins depuis l’âge de 7 ans et me lève maintenant chaque jour après 5 heures du matin et réalise mon travail d’artiste, où que je sois dans le monde. De fait, jeune, je suis les suggestions de mes parents, et sans doute autant pour mériter leur amour que pour découvrir le monde, j’intègre une école de commerce à Lyon. En fin de première année, un peu perdu, je suis les conseils de mon prof de marketing qui me recommande de suivre les cours d’expertise comptable : selon lui la seule compétence technique enseignée dans les écoles de commerce. Une compétence technique parfaite pour un rêveur comme moi, m’explique-t-il. J’ai suivi ses conseils, et chaque fin de mois m’avoue que j’ai bien fait !

IN. : vous vous racontez en mettant de la distance et de l’humour… Pourtant vous avez travaillé dans de grandes entreprises…

Gh.PF. : j’ai failli m’engager dans la marine, après y avoir fait mon service militaire comme Chef de Quart… Je passais mes journées à la passerelle, à regarder la mer et j’ai fait de merveilleuses escales qui m’ont permis de beaucoup peindre. L’équipage m’aimait bien…les officiers me trouvaient inefficace, mais enfin ils ont presque tous des tableaux de moi chez eux (rires)… Alors oui, je reviens de loin. De retour à Paris, François Gonnet m’engage comme responsable grand export chez Dior. Il m’engage, mais six mois après je donne ma démission : je ne suis pas assez politique, pas assez détaché, pas assez efficace. Heureusement pour moi, les Parfums Dior me récupèrent et je me retrouve ainsi un peu plus tard participer aux comités de création dirigés par Maurice Roger : j’y ai beaucoup appris sur l’évaluation d’un process créatif, du visuel, d’un brief. J’ai 35 ans, je pense que tout m’est dû…

IN. : vous êtes très critique à votre égard, ou simplement clairvoyant…?

Gh.PF. : Je ne sais pas… J’ai énormément appris au cours de 10 années aux Parfums Dior que je quitte pourtant afin de lancer une start-up du web qui échoue, Ovivo. Puis j’arrive ensuite 5 mois avant les attentats du 11 Septembre chez Baccarat où Anne-Claire Taittinger cherchait quelqu’un pour mettre en place un réseau de filiales : mon poste est évidemment supprimé peu après…sens parfait du timing.

IN. :  une vie survoltée?

Gh.Pf. : C’est après mon passage chez Matis, une société cosmétique familiale, que la réalité m’impose d’arrêter de me prendre pour un autre. La peinture est là et fonctionne alors comme une thérapie. Je me pose. Les deux associés -fondateurs d’une petite banque d’affaires Arès Finances, (fusions acquisitions) me font confiance et m’offrent de les rejoindre. Avec eux je continue à approfondir mes connaissances du monde des marques cosmétiques grâce aux dossiers qui arrivent chez nous…  Sans doute cette étape m’aide-t-elle à mettre à plat mes compétences ? Je visite souvent notre voisin de palier Phitrust, premier fond d’investissements à impact, durable. Je croise aussi Bob Geldof, le createur de Live Aid. Je me penche sur le besoin de sens des organisations. Je me passionne pour l’aventure d’Yvon Chouinard chez Patagonia. Tout cela me parle, parce que je souhaite être plus quelqu’un qui donne, qui transmets… Ensuite, c’est La Colline, et après dix ans j’y suis bien. Mon travail a du sens, ma peinture aussi, qui sait ?

Extraits des oeuvres de Ghislain Pfersdorff

 

En mai dernier, lors de sa dernière exposition à Paris

 

 

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