3 février 2025

Temps de lecture : 6 min

Franck Annese : « Le développement de So Press est cohérent mais va souvent contre le sens de l’histoire »

Chez So Press, Franck Annese conjugue en permanence la production de films publicitaires, la musique, la presse (So Foot, So Film, Society…). Il se développe maintenant dans la SVOD avec Society+. Rencontre avec un patron "animateur de talents", viscéralement attaché à l’indépendance de son groupe, qui cherche à se développer "sans s’éparpiller".
Franck Annese So Press

INfluencia : en janvier, So Press a annoncé une réorganisation de ses activités de production audiovisuelle et publicitaire, puis le lancement d’une plateforme Society+. L’audiovisuel est-il aujourd’hui un développement plus stratégique que la presse ?

Franck Annese : l’audiovisuel a toujours été très présent dans le groupe puisqu’on a commencé à produire des films publicitaires en 2005 et que j’ai produit plus de 700 pubs à titre personnel. Il y a aujourd’hui une espèce d’alignement de planètes qui fait que tout s’accélère. L’actionnariat du groupe a été simplifié après le rachat des parts de plusieurs actionnaires, ce qui nous permet d’être maîtres de notre développement et de notre activité. Nous avons mis de l’ordre dans nos activités de production de publicitaire, pour une meilleure lisibilité entre nos deux sociétés Sovage et Allso. Nos activités hors production de pub et presse accélèrent aussi, que ce soit dans le documentaire ou la fiction. Nous voulons miser et investir sur notre vivier de réalisateurs et réalisatrices, qui prennent aujourd’hui une place plus stratégique dans le développement du groupe, que ce soit sur la pub ou sur des formats plus longs. So Press avait accompagné Sophie Lévy pour son premier film Méduse et nous avons deux projets en écriture avec elle. Plusieurs réalisateurs qui travaillent avec nous en pub font déjà de la fiction. Hafid F. Benamar, quia coécrit beaucoup de séries, dont Platane avec Eric Judor, a des projets de réalisation de long métrage que nous pourrions accompagner. David Bertram développe aussi de la fiction – pas avec nous – mais nous pourrions intervenir sur d’autres de ses projets. Hasard et coïncidence, Society a dix ans le 6 mars. Il était important de marquer le coup en concrétisant notre envie de digitaliser le magazine. Nous pouvions le faire en lançant un site internet d’information ou en faisant autre chose, en cohérence avec l’activité globale du groupe.

Nos réalisateurs et réalisatrices prennent aujourd’hui une place plus stratégique dans le développement du groupe, que ce soit sur la pub ou sur des formats plus longs

IN : autre chose, qui est donc la plateforme Society+

F.A. : aller taper Le Monde en digital nous semblait un poil compliqué et ambitieux avec les moyens d’un petit groupe indépendant. On s’est donc dit qu’on allait taper Netflix… Ce projet de digitalisation a pris un peu de temps car il fallait trouver la bonne formule, le bon modèle, et que nos autres activités se développent suffisamment pour que cela devienne intéressant d’un point de vue stratégique à tous les niveaux. Lancer une plateforme documentaire est cohérent avec ce que l’on fait par ailleurs : raconter des histoires sous toutes les formes, des histoires de vraies vies avec des récits longs… La digitalisation se fait donc à travers un site society.fr qui reprendra tous les articles parus dans le magazine et s’actualisera au fur et à mesure, sans contenu spécifique, sauf en cas d’événement particulier. Le site sera quand même éditorialisé au quotidien en fonction de la matière existante. Tout sera payant parce qu’il s’agit également de poursuivre le développement des abonnements digitaux. Nous développons par ailleurs Society+ avec VOD Factory, qui opère déjà différentes plateformes (Spicee, Madelen, mk2 Curiosity…). L’offre Society+ sera corrélée à Society car l’abonnement à la plateforme englobera l’accès au magazine en digital.

La digitalisation de Society se fera début mars sur un modèle entièrement payant avec un site internet qui reprendra les articles parus dans le magazine et une plateforme documentaire Society+

IN : émerger dans cet univers de la VOD, déjà assez fourni sur le documentaire, est loin d’être simple… Quel sera le positionnement de la plateforme ?

F.A. : on achète plein de documentaires qui sont très Society dans leur esprit, selon la fameuse matrice « Histoire, humain, humour ». Au lancement, j’aimerais qu’on ait deux cents titres. Beaucoup de deals sont en cours… Pour donner accès à la plateforme à nos « early supporters » avec des bonus, une campagne de crowd-funding vient d’être lancée sur Ulule, comme on l’avait d’ailleurs fait il y a dix ans au lancement de Society. 

IN : So Press pourrait-il lancer de nouveaux magazines ?

F.A. : c’est toujours possible. En presse, on a un peu moins de projets, sans doute parce qu’il y a dans le groupe des gens plus jeunes qui ont davantage tendance à vouloir lancer des médias digitaux.On a déjà beaucoup de titres et je dirais qu’on a ce qu’il faut. Pour lancer un nouveau magazine, il faudrait avoir envie de défendre quelque chose ou de s’intéresser à un nouveau domaine qui nous passionne. Mes passions ne se renouvellent peut-être pas assez vite… Cela n’empêche pas d’intervenir ponctuellement sur des projets, comme on le fait pour le lancement de Billboard, début février. Ce média, numéro un sur la musique aux Etats-Unis, se lance en France à l’initiative de trois jeunes gens Ulysse Hennessy, Tarek Britel et Nicolas Baudoin, qui ont monté une société dont on a pris 30 % du capital. Il traitera de musique et d’entertainment, sur internet et les réseaux sociaux.

On n’a jamais envisagé d’être autre chose qu’indépendant et libre de faire ce qu’on a envie de faire. La question de l’indépendance ne s’est donc jamais posée, d’autant qu’on gagne de l’argent

IN : Society revendique d’être « un quinzomadaire libre et indépendant ». Pour un groupe de la taille de So Press – profitable avec un résultat net de 1,26 M€ en 2023 – comment se pose la question de l’indépendance ?

F.A. : on n’a jamais envisagé d’être autre chose qu’indépendant et libre de faire ce qu’on a envie de faire. La question ne s’est donc jamais posée, d’autant qu’on gagne de l’argent. Toutes nos activités sont plutôt en bonne santé et profitables, certaines plus et d’autres moins. La publicité est une activité avec une marge intéressante, que l’on a développée à notre façon. Nos réalisateurs, qui sont très forts en storytelling et savent raconter des histoires de manière sérielle, tournent énormément de films : la saga Reef de Hafid F. Benamar pour Free, les campagnes Fred Livraison de Thomas Ngijol pour Uber Eats, une partie de celles de Bouygues Telecom et la F.I.B (Force d’Intervention Bouygues Telecom, ndlr) par Sophie Lévy… Sovage est une des principales sociétés de production en comédie publicitaire en France, qui est un gros marché en nombre de films. Notre manière de produire de la pub ressemble un peu à celle de faire des magazines.

Investir dans ce qui fait la richesse de notre savoir-faire permet de maîtriser les coûts et donne de la souplesse dans le travail

IN : comment la définir ?

F.A. : on produit des réalisateurs qui constituent un pool, en essayant de développer la famille comme on a développé la presse, dans une ambiance très resserrée. Ce qui au début pouvait avoir un caractère un peu artisanal a maintenant atteint un niveau de production value qui fait que c’est de l’artisanat++. On a toujours eu tendance à se développer nous-mêmes et à investir des champs que les autres n’investissent pas forcément. Peu de groupes indépendants comme le nôtre ont à la fois leur label de musique et leur salle de concert, un atelier pour les décors et une société de production pour la pub, notre propre société de production documentaire et, demain, une plateforme de diffusion… Investir dans ce qui fait la richesse de notre savoir-faire permet de maîtriser les coûts et donne de la souplesse dans le travail. Avec l’atelier, on peut souvent répondre à des problématiques de production qui seraient infaisables autrement en France. Dans la comédie, le casting est le nerf de la guerre. Notre directrice de casting travaille au quotidien avec nos réalisateurs, comprend leurs besoins et peut répondre de manière centralisée. En presse, on investit dans le reportage avec des enquêtes au long cours ou dans des destinations lointaines. À la pièce, c’est sans doute cher mais, au final, c’est plutôt une source de rentabilité. Plus aucun éditeur aujourd’hui ne mettrait autant d’argent que nous avons mis dans l’enquête sur l’affaire Dupont de Ligonnès. On le fait parce que cela génère l’acte d’achat sur nos titres, c’est notre marque de fabrique et cela enrichit la logique éditoriale au sens large (la diffusion France payée des deux numéros portant l’enquête a frôlé en cumulé les 300 000 exemplaires, selon l’ACPM, et un livre a ensuite été publié chez Marabout, avec So Lonely, ndlr).

IN : les avantages sont-ils seulement économiques ?

F.A. : on gagne en autonomie et aussi en RSE. Grâce à notre organisation, on peut se permettre de tourner quasiment tout le temps en France, on recycle tous nos décors… La logique écologique ne va pas contre une logique économique. On est aussi plus autonome quand on mise sur un réalisateur qui, demain, va réaliser un documentaire pour une grande chaîne, pour une plateforme ou demain pour notre propre plateforme, réalisera un long métrage de cinéma… Tout cela est en fait hyper cohérent mais va souvent contre le sens de l’histoire. Quand beaucoup de groupes externalisent, on a plutôt tendance à regrouper et à internaliser.

En savoir plus

So Press a racheté, fin 2023, les 47 % que les deux autres cofondateurs, Sylvain Hervé et Guillaume Bonamy, détenaient dans le groupe. Il a aussi acquis les 30 % que Willy Morencé détenait dans Sovage.

Depuis début 2025, Sovage est devenue l’unique société de production publicitaire de So Press. Allso s’est recentrée sur le brand content, tandis que les formats longs sont l’apanage de So In Love, société de production « fictions et documentaires » du groupe.

Plusieurs documentaires ont déjà été produits. Les synergies éditoriales groupe ont par exemple permis de coproduire avec Federation Studios pour France 2 le documentaire pour MH370 : La vérité disparue, qui avait fait l’objet d’une enquête dans Society.

En presse, So Press édite plusieurs magazines de sport : So Foot (37 498 ex. de diffusion France payée 2023-2024 selon l’ACPM), Pédale ! sur le vélo, Tampon ! sur le rugby et 40-A sur le tennis. Un trimestriel Doolittle sur l’enfance, le magazine de cinéma So Film, ainsi que Society (40 893 ex. de DFP) et So Good, lancé en 2020.

Allez plus loin avec Influencia

the good newsletter

LES FORMATIONS INFLUENCIA

les abonnements Influencia