INfluencia : Votre coup de cœur ?
David Lacombled : Mon coup de cœur de cette rentrée est une pièce de théâtre, « Art » de Yasmina Reza, qui est devenue un classique du répertoire français, bien qu’elle soit pourtant récente – ndlr : créée il y a trente ans à la Comédie des Champs-Elysées -. Je suis allé la voir au Théâtre Montparnasse, interprétée par François Morel, Olivier Saladin et Olivier Brioche, ces trois anciens Deschiens que je n’avais jamais vraiment appréciés jusqu’alors. J’ai été conquis : ces trois acteurs brillants ont su renouveler une pièce déjà marquée par des interprétations mémorables, comme celles entre autres de Fabrice Luchini, Pierre Arditi, Pierre Vaneck ou Charles Berling. Le thème de l’amitié qui peut partir en vrille pour une affaire de goût est traité avec une justesse et une intensité qui font mouche. Le texte est d’une puissance rare. Une pièce traduite dans 35 langues et jouée dans le monde entier, à voir absolument, pour le plaisir du jeu et la profondeur du propos.
Je suis en colère, non pas contre la politique, mais contre un malaise plus profond : celui d’un peuple qui ne s’aime plus
IN. : Et votre coup de colère ?
D.L. : Je suis en colère, non pas contre la politique ou les politiques, mais contre un malaise plus profond : celui d’un peuple qui ne s’aime plus, qui a même une haine de soi-même. La France, autrefois terre des Lumières et grenier de la culture, en matière littéraire, musicale, artistique… doute aujourd’hui de sa propre valeur.
Ce doute n’est pas nouveau, mais il s’aggrave avec les difficultés économiques et sociales. Tout le monde se recroqueville sur soi-même et ne supporte plus ses voisins. Chacun reporte ses décisions importantes. Les jeunes couples retardent la naissance de leur premier enfant, les valeurs traditionnelles sont remises en question, avec des réactions défensives, parfois survivalistes… Nous sommes face à un défi politique et social majeur.
A l’été 1990, avec une centaine de jeunes, nous avons traversé la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Roumanie, la Yougoslavie…
IN. : L’évènement qui vous a le plus marqué dans votre vie ?
D.L. : Si je devais citer un événement qui m’a marqué hors du cadre professionnel ou familial, ce serait un voyage en bus en Europe de l’Est, comme on disait à l’époque, juste après la chute du mur de Berlin. A l’été 1990, avec une centaine de jeunes, nous avons traversé la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Roumanie, la Yougoslavie… Rencontrer des figures comme Vaclav Havel, alors simple écrivain et symbole de la résistance et de la liberté, a été un premier choc. Le deuxième choc a été celui de la pauvreté. Nous étions logés dans des universités tellement insalubres qu’il y avait des rats et que nous préférions dormir dans nos bus. Nous attendions des heures aux frontières, mais nous découvrions une Europe en reconstruction, profondément attachée à ses valeurs. Ce voyage, avait été organisé par des conseils régionaux de jeunes et des mouvements politiques. Je travaillais à l’époque pour François Léotard, président du Parti Républicain que j’ai accompagné à son cabinet au ministère de la Défense. Il m’a rappelé que la culture et la liberté sont des forces indestructibles – même si la guerre, aujourd’hui à deux heures d’avion, reste une réalité trop souvent oubliée.
Ma première réussite, c’est d’avoir réussi une posture de yoga exigeante : Utthita Parsvakonasana
IN. : Votre plus grande réussite, toujours hors du cadre professionnel ?
D.L. : Je parlerais plutôt de satisfactions que de réussites. Deux me viennent à l’esprit.
La première, c’est d’avoir réussi une posture de yoga exigeante : Utthita Parsvakonasana (ndlr : la posture de l’angle latéral, aussi appelée « posture de l’ange étiré »). Je pratique le yoga depuis une quinzaine d’années. Mon épouse dirige un centre de yoga rue des Martyrs, cela ne s’invente pas. Je n’avais pas vraiment le choix que de m’y mettre (rires). Plus sérieusement, le yoga demande beaucoup de rigueur. C’est une satisfaction de parvenir à pratiquer régulièrement, de travailler le souffle, les postures, qui procurent une sorte de force intérieure… Et au-delà de l’aspect physique, il y a toute une dimension philosophique que j’apprécie beaucoup.
La seconde, c’est d’avoir une pratique musicale continue depuis 25 ans. Je joue de la batterie, un instrument que j’avais choisi en pensant – à tort – qu’il serait plus facile que les autres. Grâce à mon professeur Claude, j’ai beaucoup progressé. Ce dont je suis le plus fier, c’est d’avoir instauré un rituel : chaque jeudi matin, à la première heure, je joue au Père Lachaise – un moment que je n’ai jamais manqué. C’est devenu une véritable habitude de vie dans un lieu où, paradoxalement, je ne vais jamais autrement.
Je joue souvent seul, parfois avec des amis musiciens. Mes voisins, eux, sont musiciens classiques professionnels, donc pas toujours ravis… mais j’ai fini par les convaincre que la batterie avait toute sa place dans le monde de la musique !
IN. : Votre plus grand échec ? (hors du cadre professionnel ?)
D.L. : Tout ce qui tourne de près ou de loin au bricolage. Et là, mes échecs sont quand même multiples, variés et cuisants. C’est pour moi une grande source de frustration. Je n’en tire aucune gloriole mais je n’y arrive pas. Certes on ne vient plus m’embêter pour planter un clou ou changer une ampoule mais j’avoue que c’est très humiliant en fait.
IN. : Votre rêve d’enfant ou si c’était à refaire
D.L. : Depuis l’enfance, mon rêve était limpide : à 5 ans, je voulais être journaliste. Et à 15 ans à peine, je présentais déjà un journal quotidien sur des radios locales à Beauvais puis à Rouen (Radio Vérité, Viva, Horizon 60…) Pour un adolescent, c’était une sacrée aventure. Très formatrice. Que j’ai pu prolonger à RFI en arrivant à Paris. Merci à mes parents d’avoir cru que mes résultats scolaires seraient meilleurs de cette façon. Résultat : un mini studio installé dans ma chambre, une lumière rouge pour signaler l’enregistrement, les dépêches AFP sur minitel, et des bandes publicitaires récupérées sur les radios périphériques pour être plus crédible.
A 15 ans à peine, je présentais déjà un journal quotidien sur des radios locales
La radio a toujours eu, pour moi, quelque chose de magique. La voix transmet des émotions que l’image ne peut pas capturer. C’est un espace de liberté pour celui qui écoute, et un véritable terrain d’exigence pour celui qui parle. J’en garde une nostalgie vivace. Je me souviens en particulier de Jacques Chaput qui présentait le journal de 18h sur RTL, dans les années 70. À l’antenne, on devinait une cigarette allumée dans le studio, le tintement discret des glaçons dans un verre… Il y avait une poésie dans cette ambiance, une liberté presque palpable en dépit d’une actualité rythmée par les drames, les organisations terroristes en Europe, les boat people en Asie.
La radio est mon média de coeur et paradoxalement celui que je pratique le moins
C’est ce parcours qui m’a donné envie de professionnaliser ma passion en intégrant une école de journalisme … La radio est mon média de cœur et paradoxalement celui que je pratique le moins, ayant eu la chance et la volonté d’embarquer très tôt dans l’aventure du web. Et ce que j’apprécie justement dans le web, c’est qu’il a, malgré sa dimension technique, su retrouver certains fondamentaux de la radio : la liberté de ton, l’instantanéité, le dialogue. À travers les blogs, les réseaux sociaux, on retrouve cette énergie, ce souffle, cette possibilité de créer et de transmettre sans filtre. Cela ne m’empêche pas d’écrire avec passion une chronique hebdomadaire dans L’Opinion. Je viens de rentrer dans ma 8e saison avec un défi de taille : ne pas se répéter et ne pas se contredire.
J’aimerais dîner en tête-à-tête avec Volodymyr Zelensky, le président ukrainien
IN. : Les convives avec lesquels vous aimeriez partager un dîner
D.L. : J’aimerais dîner en tête-à-tête avec Volodymyr Zelensky, le président ukrainien. Il incarne à la fois la bravoure, l’indépendance et la liberté, avec une présence remarquable et une force exceptionnelle pour encaisser les coups, les esquiver et rester debout. Alors qu’il aurait pu fuir, il a choisi de rester. Face à ce destin hors du commun, auquel rien ne l’avait préparé, on ne peut que l’admirer.
Pierre Dac disait : « À Los Angeles, les distances sont si considérables que tout piéton est suspect ».
IN. : Votre rêve de bonheur
D.L. : Ce serait de ne rien faire, simplement flâner dans les villes que j’aime, les découvrir de l’intérieur, et m’attarder en terrasse pour écrire. Aujourd’hui, mes villes de cœur sont Bangkok et Los Angeles. J’aime l’énergie de ces cités qui ne dorment jamais. Pierre Dac disait : « À Los Angeles, les distances sont si considérables que tout piéton est suspect ». J’ajouterais aussi Rome, même si l’esprit y est différent.
Je ne peux pas m’y installer définitivement, car j’ai des enfants et je tiens à être présent pour eux. Mais y passer plusieurs mois, pour en percer l’âme et m’en imprégner, voilà un bonheur que j’aimerais m’offrir. Voyager et aller à la découverte du monde, c’est aussi se rapprocher de soi-même et mesurer les chances qui sont les nôtres.
IN. : Quel livre emmèneriez-vous sur une ile déserte ?
D.L. : L’Iliade. Il y a de quoi tenir longtemps en le lisant et ça me fera le plus grand bien de le relire. Il fait partie de ces classiques qu’on lit au collège. Et qu’on finit par connaître sans même le lire jusqu’au bout. C’est un feuilleton en soi et il porte aussi le berceau de de notre civilisation.
* l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’« À la recherche du temps perdu »
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L’actualité
David Lacombled est président de La villa numeris, un think tank qui promeut un modèle européen du numérique affirmant la primauté de l’humain. Réunissant de nombreuses entreprises, La villa numeris vient de publier, en partenariat avec le Medef, un plaidoyer appelant les entreprises à s’engager dans la lutte contre la désinformation et les ingérences. Journaliste de formation, David Lacombled publie une chronique hebdomadaire, #DigitalCitizen dans L’Opinion. Il est également président de l’Etablissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense (ECPAD).