4 juillet 2021

Temps de lecture : 6 min

Mon premier, c’est désir

Paradoxal, le désir ne cesse de chercher sa définition et échappe à tout contrôle. Aujourd’hui plus que jamais nos « désirs » sont chahutés par la révolution que vit notre société. Mais, l’élan de vie Eros, a toujours, malgré tout, la peau de Thanatos… Du moins, c’est là notre désir.

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En ces temps agités de révolution digitale, climatique, de globalisation intempestive, de crises économiques et sociales, de sorties (momentanées) de pandémie, chaque individu est désormais confronté à distinguer ses besoins de ses désirs, ses devoirs de ses plaisirs, ses pulsions intimes et vitales de ses intérêts. À reconsidérer la notion de responsabilité, versus celle de son plaisir. Pour la communication, la question est finalement de savoir si « un devoir » (sauver la planète) peut engendrer du désir, si l’obligation de respecter la nature peut stimuler la pulsion de vie. Alors, évidemment, il s’agit de réinterroger ce fameux désir, un paradoxe sur pattes, que philosophes, psychologues, sociologues et autres chercheurs définissent de différentes manières.… Bien comprendre la mécanique du désir, voilà du pain sur la planche puisque les entreprises et marques cherchent avant tout à éveiller et susciter ce fameux désir de consommer, de vivre, de voyager, d’inventer sa vie… sans détruire celle « du voisin » ni polluer l’air de ses gaz d’échappement, sans salir la terre de ses pesticides.

Autrement plus compliqué qu’en 2005, où et la paraîtution du le livre de Marie-Claude Sicard, Les ressorts cachés du désir − Trois issues à la crise des marques (Pearson, 2005) ? Pas sûr. Si Les marques sont alors inextricablement liées au bon désir des consommateurs, Marie-Claude Sicard cette dernière s’attaquait déjà à ce sujet brûlant pour la communication. Car, de fait, le marketing connaissait une crise sans précédent. « Question philosophique ou psychologique, sans doute, écrivait-elle, mais sans désir, il n’y a plus de marque. » Brutal, mais bien réel. « Car si les besoins ne nécessitent pas de communication pour exister, en revanche les marques, elles, sont inextricablement liées au “bon désir” des consommateurs. » L’experte en stratégiees de marques s’était alors attachéeait à offrir une classification simple du désir en trois points bien distincts. L’approche de l’économie dite « classique », qui veut que les raisons du désir soient dans l’objet du désir, avec cet exemple simple : je désire cette robe parce qu’elle est belle. La définition selon la psychologie dite classique, qui attribue les raisons du désir au sujet : je désire cette robe parce qu’elle me plaît. Et l’hypothèse de l’anthropologue René Girard basée sur le désir d’imitation. En effet pour lui,selon qui le désir est dans leil y a mimétisme : je désire cette robe parce que je veux avoir la même que cette amie qui la porte, (le monde des followers et des influenceurs n’a jamais été aussi près de cette définition !).

Toute sa vie, l’homme est à À la recherche de l’objet manquant…

Il va sans dire qu’il existe d’autres définitions du désir qui toutes se retrouvent sur un point : « le manque, la frustration », dont celle de Gilles Deleuze et Félix Guattari. C’est dans L’Anti-Œdipe que les deux philosophes affirment qu’un seul objet (produit) présenté hors contexte ne suscitera le désir qu’un temps. Pour eux, c’est l’idée de construire un ensemble, un agencement, qui suscite le désir, en faisant appel à un contexte passé ou présent. Un exemple simple ici aussi : « Je vois dans un rayon des confitures Bonne Maman, explique un consommateur lambda. Je m’empare de l’une d’entre elles, instinctivement, crois-je… Or il s’agit de celle que je dévorais chez ma grand-mère… J’étais alors dans un cocon, qui me manque, un rituel que je souhaite retrouver, cette madeleine, moins sexy que celle de Proust, procède du même mécanisme. Et c’est ainsi que toute une population se reconnaît dans ce produit et est susceptible de l’acheter encore aujourd’hui. »

Le désir est fragile car composé d’émotions, de souvenirs, de connexions neuronales, et d’hormones…

Quand Sigmund Freud, parle de la quête répétée, tout au long de la vie d’un objet manquant, c’est dans le complexe d’Œdipe qu’il nous plonge. « Cet objet perdu que le désir cherche à retrouver dans les objets du monde qui sont offerts à son appétit est introuvable, il en est même expressément soustrait, il y manque. Parce qu’il est interdit, dit Freud, qui prend le modèle de cette interdiction chez Sophocle dans la tragédie d’Œdipe Roi », note Marc Strauss dans Quelques paradoxes du désir (EPFCL-France, in Champ lacanien 2014/1, n° 15).

Sublimé, consommé, fantasmé, le désir est insaisissable

Vous l’aurez compris, le désir est un matériau à manipuler avec précaution. La méconnaissance du cerveau, les quelques certitudes que les spécialistes ont sur la question n’ont pas réellement évolué depuis ce temps où Sigmund Freud fait le lien entre désir, énergie vitale et, libido. Sublimé (contempler un tableau), consommé (acheter un sac repéré depuis des mois sur un réseau ou dans une vitrine), ou fantasmé (le désir s’éloigne de l’objet, emprunte des voies inconscientes et déplace ainsi sa réalisation sur un autre objet).

Michel Dorais, chercheur en sociologie de la sexualité, professeur à l’école de travail service social de l’université de Laval, explique : « Un désir satisfait en génère un autre, c’est un moteur sans fin. Il faut ainsi savoir que fort heureusement nous ne pouvons pas réaliser tous nos désirs, auquel cas nous deviendrions fous. » Certes, mais « à l’heure où nous sortons d’une séquence vécue (comme) un enfermement, où nous avons été interdits de libertés essentielles (ou non), analyse Yvonne Poncet-Bonnissol, psychologue clinicienne, on peut s’interroger sur les effets de la Covid- 19, sur nos désirs, et sur la remise en marche de ce moteur vital. J’ai actuellement en consultation bon nombre de personnes qui ont été confrontées à un vide de sens, qui les a menées à la dépression, quand d’autres ont su faire jaillir de leur routine, du désir de fabriquer, de créer. Le désir est un élan vital, c’est notre moteur, il ne faut pas le confondre avec le besoin ni avec l’envie, poursuit-elle. Le désir est bien plus fragile, car composé d’émotions, de souvenirs, de connexions neuronales, et d’hormones aussi qui provoquent des pannes de désir (dans tous les sens du terme), de consommation, de vivre, de faire l’amour, de se lever le matin, de s’alimenter ».

Re-susciter le désir auprès de sa cible mais bien de l’étendre à tous

Lorsqu’une société est déprimée (c’est le cas aujourd’hui), il ne s’agit plus de re-susciter le désir auprès de sa cible mais bien de l’étendre à tous. Le débat qui s’est déroulé autour des biens essentiels, et la victoire de la littérature sur cette pandémie en est une démonstration. Dans Philosophie Magazine, Laurence Devillairs, professeur agrégée et docteur en philosophie, expliquait dans une tribune datée du 30 octobre 2020 : « Le monde des besoins est un monde fini, où une envie trouve satisfaction, où une case est cochée. Les désirs sont infinis. Ce qui nous agite alors, ce n’est pas la réalité, mais la fiction et les rêves, l’espoir et les idées. Tout désir est en cela désir de l’impossible, d’une vie plus intense, plus dramatique. Une vie comme on en lit dans les livres, qui mettent plus de vie dans la vie, la transportent plus haut et plus loin que le simple ici et maintenant des besoins. » Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, explique la politologue et sociologue Janine Mossuz-Lavau, spécialisée aussi dans le désir et la sexualité. : « Emmanuel Macron en campagne pour le prochain mandat, orchestre le jour de la libération du 19 mai dernier 2021, autour de la culture en annonçant le lancement des passes de 300 euros pour les jeunes âgés de 18 ans sur TikTok. Un exemple, et une manière habile de toucher les jeunes, leurs parents, et tous les métiers de la culture, s’assurant ainsi un électorat dont le désir s’est éteint pendant plus d’un an. » ».

Un désir sans fin à combler ?

Autant dire que « la publicité, le marketing, prennent en charge toute cette incertitude qui règne dans ce rapport entre besoins-objets, désir-objet », comme le soulignaient déjà Antoine Hennion et Cécile Méadel dans l’ouvrage Dans les laboratoires du désir : le travail des gens de publicité. « Les communicants disent communément que l’image fait l’objet, et qu’il n’y a pas d’image sans objet. Les publicitaires sont chargés de fabriquer ce « “désir ajouté” » aux produits, marques qu’ils vont vendre. Là où leur tâche est exceptionnellement sensible, c’est dans l’art de “mettre en commun”, ce qui relève du “désir unique” de chacun, en phase avec le désir d’imiter son prochain. » Un cocktail, chaque fois plus difficile à obtenir, que les réseaux par leur puissance d’entraînement permettent d’atteindre. Mais pour combien de temps ? Car si le désir doit, chaque fois être satisfait, la déception liée à son obtention, semble être chaque fois plus rapide. Un désir sans fin à combler ? Il y a toujours quelque chose qui cloche avec ce décidément très mystérieux désir !

Si vous souhaitez en savoir plus sur la Revue numéro 37 d’INfluencia consacrée au désir dans tous ses états, c’est ici !

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