25 juin 2020

Temps de lecture : 3 min

Voyager sans bouger : du « non ici » au « non ailleurs »

Sociologue de la consommation, Patrice Duchemin nous offre une fois de plus son point de vue décalé, son regard affûté sur ce que certains ne prennent plus le temps de considérer ou d'interroger. Après le changement d'horaire en plein confinement, il examine ici le drôle de tour que nous joue le tourisme. Un "non ici", et un "non ailleurs" encore renforcé par la crise du Covid....

Patrice Duchemin nous offre une fois de plus son point de vue décalé, son regard affûté sur ce que certains ne prennent plus le temps de considérer ou d’interroger. Après le changement d’horaire en plein confinement, il examine ici le drôle de tour que nous joue le tourisme. Un « non ici », et un « non ailleurs » encore renforcé par la crise du Covid….

Frédéric Thérin rendait compte des choix des Français en matières de vacances cet été dans un article paru récemment dans La Quotidienne INfluencia. La production Futura rendait hommage à notre media pour la diffusion de son spot Paris 2020 qui nous permettait d’observer les monuments historiques et les rues de la capitale vides… Patrice Duchemin examine ci-dessous les nouveaux tics de la presse pour évoquer le tourisme.

Dans Paris Match, Stéphane Bern, monsieur Patrimoine, nous propose un été bleu blanc rouge. Quelle surprise ! Il ne s’agit pourtant pas (comme chaque année) de « redécouvrir les merveilles de la France », mais de trouver au détour de l’une d’entre elles, des paysages qui évoquent l’ailleurs. A priori une bonne idée puisque cet été, beaucoup d’entre nous renonceront (semble-t-il) à franchir les frontières.

La réalité est affaire de regard.

Les Vosges prennent ainsi soudain l’apparence du Canada, le col de L’Izoard nous transporte en Jordanie, l’Auvergne a des allures de Rwanda, les dunes du Pilat, des airs de Namibie et la Lozère de Bolivie. Bouddha et les mandarins pourraient même s’épanouir dans les rochers en cascade du Jura, nous affirme-t-on. A voir. Oublions le rêve américain, les châteaux en Espagne, les tentations de Venise, affirme l’historio-journaliste. La réalité est affaire de regard.

Même topo dans L’Obs dans une version davantage bobo-centrée où l’île d’Yeu se la joue grec, la Loire Atlantique rime avec Kenya, Guéthary avec Hawaï, la Drôme avec Angkor et Bali avec le Jura. Pourquoi pas.

Accueillir l’étranger

Jusqu’à présent, l’ici s’opposait à l’ailleurs comme la gauche à la droite ou la ville à la campagne. Notre société s’est complexifiée au point d’avoir réussi à brouiller ces oppositions, jugées trop conservatrices, et assez vite remplacées par un consensuel « en même temps » chargé de redonner une cohérence à l’ensemble. Faute de pouvoir accueillir des touristes de tous les pays, nous pouvons donc toujours accueillir l’étranger. Et, pour une fois, ce ne sont, ni les châteaux, ni les cathédrales, ni les villages (qui constituent pourtant le fond de commerce de l’économie touristique) qui sont convoqués, mais les paysages. Après deux mois de confinement, s’enfermer dans un château semble moins attirant que de gambader dans les prairies. Cet été, on peut déjà parier que la nature primera sur la culture.

On dirait le sud….

Voir l’ailleurs dans nos paysages vient d’abord confirmer cette envie de ré-enchantement qui traîne dans les esprits depuis quelques années et qui trouve ici son ultime incarnation. Mais c’est aussi une nouvelle manière d’aborder le tourisme. Les adeptes du carré sémiotique, qui ont l’habitude de transformer les oppositions en complémentarités, n’auront pas manqué de relever que, de la confrontation de l’ici et de l’ailleurs pouvait naître deux nouvelles formes narratives bien plus intéressantes : le « non ici » (ce qui, à l’étranger, ressemble à ici) et le « non ailleurs » (ce qui, ici, ressemble à l’ailleurs).

Densifier le regard

Le « non ici » existe déjà : en Chine, on peut vivre dans de véritables rues parisiennes aux façades haussmanniennes et, aux Etats-Unis, admirer la Tour Eiffel sans avoir à traverser l’Atlantique. Les actuelles envies d’authenticité le rendent aujourd’hui beaucoup moins désirable. Reste le « non ailleurs ». Comment s’évader sans bouger ? Comment dépayser sans changer le paysage ? Comment permettre de voir autrement ? Comment prendre de la distance sans parcourir de distances ? Le nouveau défi du tourisme réside dans cette densification du regard… qui peut aussi concerner notre vie quotidienne…

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