5 mars 2017

Temps de lecture : 5 min

Le robot a-t-il assez de flair pour devenir journaliste ?

Le journalisme automatisé, la panacée ? Pas vraiment selon le rapport des chercheurs, dirigés par le Professeur Neil Thurman de LMU de Munich et de la City, University of London. Avec comme principale conclusion : un vrai manque de flair pour aller chercher l'info et écrire le bon papier.

Le journalisme automatisé, la panacée ? Pas vraiment selon le rapport des chercheurs, dirigés par le Professeur Neil Thurman de LMU de Munich et de la City, University of London. Avec comme principale conclusion : un vrai manque de flair pour aller chercher l’info et écrire le bon papier.

« Ce n’est pas demain qu’un robot prendra votre job », a lancé Serge Tisseron tout en faisant bien la différence avec l’IA qui joue dans un tout autre registre, lors de la récente conférence, Shopping d’idées neuves , de Change Nextexplo Observatory. Le psychiatre, psychanalyste et auteur notamment de « Le jour où mon robot m’aimera » n’y est pas allé par quatre chemins rappelant ainsi que si l’innovation technologique est nécessaire et porteuse d’espoir, nous n’avons pas besoin de celle qui ne sert à rien. Prenant à titre d’exemple Pepper qu’il a qualifié d’ « affligeant tant sa prestation non connectée à un serveur central, relève du service minimum. Sauf pour faire de la communication et obtenir des retombées qui restent sa première rentabilité ». Expliquant ensuite que le cerveau de l’humain capable de stocker et d’utiliser les informations est bien mieux équipé et performant. Car en plus d’autonomie, il est doué d’émotions et de réactions adaptées. S’élevant enfin contre cet anthropomorphisme du langage qui porte à confusion plus que de nous apporter une aide, notamment à travers l’oxymore « empathie artificielle » puisqu’il est impossible pour une machine automatique de se mettre à la place de l’autre.

 » Le robot a besoin de directives et le programmeur ou l’utilisateur doivent les prévoir pour notamment éviter des problèmes que nous pourrions créer en raison d’une mauvaise appréciation de ce que le robot peut représenter à nos yeux   » insiste Serge Tisseron. En effet, nous ne devons pas oublier que si celui-ci peut en effet conseiller ou signifier une erreur, il peut aussi être source de bug purement technique et que s’il refuse d’effectuer une tâche ce n’est pas affectif. Enfin, qu’au minimum, il est un gadget comme la balance dans la pharmacie, ou mieux un outil complémentaire pour des tâches ingrates, routinières ou même techniquement évoluées, comme le pilote automatique dans un avion, qui nécessite néanmoins une formation et donc une évolution de l’institution scolaire et des formations qui y sont dispensées. Ceci afin de bien laisser la machine à sa place et de ne jamais perdre de vue que leur capacité à simuler l’empathie sert d’abord à « vampiriser » le maximum de nos données.

Des réflexions qui invitent à prendre du recul en bousculant les attendus ambiants et qui contribuent à la construction de demain d’un point de vue éthique et éducatif. Elles apportent aussi de l’eau au moulin de Robot-Journalisme : menace ou opportunité, le nouveau rapport publié dans la revue scientifique internationale Digital Journalism. Une analyse qui montre les limites et les avantages du journalisme automatisé, selon les rédacteurs et les journalistes qui ont déjà utilisé cette technologie. En effet ces derniers, interviewés par des chercheurs, dirigés par le Professeur Neil Thurman de LMU de Munich et de la City, University of London, sont d’avis que les « robots-journalistes » n’ont pas beaucoup de flair pour aller chercher l’information et qu’ils produisent des articles unidimensionnels. Laissant une large marge de manœuvre à tou.te.s celles et ceux qui ont encore la niaque pour enquêter, informer et être créatif.ve.s. Découvrez les principales conclusions de l’étude.

Manque de contexte et de créativité

Les journalistes et les rédacteurs en chef ayant participé à l’étude du Professeur Thurman pensent que la dépendance du journalisme automatisé aux flux de données et la nécessité de programmer à l’avance des angles journalistiques signifient que les articles produits manquent de contexte, de complexité et de créativité par rapport au journalisme traditionnel. Témoignant de son expérience d’utilisation d’un logiciel d’écriture, un journaliste de la BBC déclarait qu’il n’aurait « jamais, au grand jamais, rédigé un tel article ». Un autre, journaliste sportif chevronné de CNN, a qualifié le texte produit de « irréfléchi et répétitif » et a conclu que la plus grande partie de ce qu’il doit inclure dans un article « ne peut pas être programmée ».

Difficile à mettre en place dans les rédactions

Les journalistes interrogés pensent aussi que la nécessité de planifier à l’avance les articles écrits de manière automatisée est un inconvénient. L’un d’eux, travaillant à la BBC, a déclaré : « Vous ne pouvez pas obtenir de réaction à propos des chiffres rapportés, vous ne pouvez rien leur expliquer ou leur demander, parce que la trame de l’article a été écrite avant que les données chiffrées ne sortent », et a conclu, après avoir personnellement utilisé la technologie d’écriture robotisée, qu’il était inutile pour la BBC de poursuivre ses recherches sur cette technologie.

Plus de vitesse pour moins de dépenses ?

Malgré ces lacunes, les journalistes sont d’avis que le robot-journalisme peut potentiellement réduire les coûts et augmenter la vitesse et la spécificité d’un certain type de journalisme. Les journalistes de CNN et de Reuters ont pensé que cela pouvait « réduire les coûts » en remplaçant « les salariés touchant un salaire élevé » qui effectuent un « travail assez simpliste et prenant ». Un journaliste de Reuters a pensé que l’automatisation pouvait améliorer la vitesse et la précision, et a déclaré « Nous l’envisageons dans tous les services de l’entreprise ». Un autre journaliste de Reuters a dit que l’automatisation serait utilisée pour les articles pour lesquels ils « n’ont pas les ressources nécessaires pour les couvrir manuellement ».

Et l’objectivité journalistique dans tout ça ?

Le robot-journalisme était perçu comme quelque chose qui pouvait à la fois soutenir et menacer l’objectivité journalistique. Un journaliste de The Sun a affirmé que cela pourrait permettre de « présenter les faits bruts », sans la « manipulation » du journalisme humain, ce qui, à ses dires, pourrait être « un assez bon outil pour la démocratie ». Au contraire, un autre journaliste, travaillant à la BBC, s’est inquiété du fait que l’important volume de contenu qu’il est possible de produire avec l’automatisation pourrait faciliter l’influence d’individus ou d’organisations sur la ligne éditoriale.

Une technologie à utiliser ou pas ?

En dépit de ses limites, le rapport révèle des projets pour que la technologie soit déployée plus largement, ce qui pourrait potentiellement remplacer des « centaines » de journalistes au sein de la seule agence de presse Thomson Reuters. Selon le Professeur Neil Thurman, « Le robot-journalisme est limité dans sa capacité à fournir le contexte contemporain qui est essentiel à de nombreux reportages, dans sa capacité à comprendre les nuances de l’expression humaine qui aident à déterminer la manière dont les évènements sont rapportés, et dans sa capacité à reconnaître systématiquement le point de vue journalistique le plus important. Nous pensons cependant que cette technologie sera de plus en plus souvent utilisée pour produire des rapports factuels simples, pour augmenter la vitesse de publication de tels rapports, et pour couvrir des sujets actuellement en deçà du seuil de reportabilité ».

Avant d’ajouter : « Malgré tout, l’augmentation du volume d’informations résultant de l’automatisation pourrait rendre plus difficile la navigation dans un monde déjà saturé par l’information et accroître en réalité le besoin de compétences humaines que les bons journalistes incarnent (jugement de l’information, curiosité et scepticisme) afin de continuer à être informés de manière succincte, complète et exacte sur le monde qui nous entoure ».

(*) CNN, de la BBC, de Thomson Reuters, de Trinity Mirror et de News UK.

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