21 septembre 2020

Temps de lecture : 7 min

Patrice Haddad : « L’état a globalement bien accompagné la production, on ne peut pas en dire autant pour le Red Star, on a dû se battre tout seuls »

« Deux pieds sur terre », ouvrage de Basile de Bure vient d’être publié chez Flammarion. Une immersion au sein du Red Star, le mythique club de Saint-Ouen, repris en main en 2008 par le Producteur et créateur de Première Heure, Patrice Haddad. L’occasion de converser avec l’homme chaleureux et enthousiaste.

« Deux pieds sur terre », ouvrage de Basile de Bure vient d’être publié chez Flammarion. Une immersion au sein du Red Star, le mythique club de Saint-Ouen, repris en main en 2008 par le Producteur et créateur de Première Heure, Patrice Haddad. L’occasion de converser avec l’homme chaleureux et enthousiaste.

INfluencia : à la fois Producteur de Première Heure et Président du Red Star, comment vivez-vous cette époque étrange? Quelles ont été les conséquences de la pandémie sur ces deux activités?

Patrice Haddad : j’observe deux expressions de la crise liée au CORONAVIRUS. La première est morale et émotionnelle, en ce sens qu’il y a une prise de conscience sur notre façon de vivre et de travailler. Des paradigmes sont remis en question. La seconde est matérielle et économique. Dans mes deux activités il a fallu immédiatement s’adapter à la situation et ses conséquences pour résister au choc et se tourner vers l’après. Pour ce qui est de la production avec Groupe Première Heure, l’État nous a globalement plutôt bien accompagnés. Je ne peux pas en dire autant dans le football, le club a dû se battre tout seul. Le Groupe Première Heure et le Red Star ont un point commun : un capital humain fort, avec des valeurs : humanisme, partage, transmission, et des perspectives de développement qui permettent d’envisager l’avenir avec détermination.

IN : vous en avez bluffé plus d’un en reprenant le Red Star, pouvez-vous nous raconter cette aventure humaine et sportive? Votre rôle de producteur vous a-t-il aidé ?

P.H.. : en arrivant dans la pub dans les années 80, j’ai découvert un milieu établi, normé, régi par des règles. En créant Première Heure, j’ai proposé une vision différente de l’image. J’ai souhaité avoir la même démarche avec le Red Star. Depuis, je n’ai de cesse de créer des passerelles entre ces deux mondes qui se nourrissent. Lorsque je reprends le club en 2008, Première Heure a déjà 30 ans d’existence et le club plus de 100 ans. Cette longévité-là est une force incroyable. À condition de savoir l’utiliser et la développer. Je me nourris de l’histoire du Red Star, de sa capacité de résistance notamment, pour continuer de faire grandir Première Heure.
Avec ce club, j’ai découvert une ville, Saint-Ouen, un territoire, des gens et des histoires humaines dingues. C’est un patrimoine national et historique. Une richesse immatérielle, morale et culturelle. On se doit d’en être respectueux et surtout de l’entretenir et de la dynamiser. C’est en ce sens que j’ai insufflé dans le club mon expérience de Producteur. L’histoire du club doit être racontée et partagée. Elle était dans la mémoire collective de nos grands-pères. Aujourd’hui le Red Star est dans la tête des jeunes du 93, et d’ailleurs. J’ai voulu casser les barrières entre le monde de l’art, de la création et du football. Déjà, Une des caractérisations de l’ostracisme du football est qu’en 2009, en plaçant naturellement Pauline Gamerre à la Direction générale du club (NDLR : directrice générale du club de football du Red Star, elle est la seule femme avec Hélène Schrub, directrice générale du FC Metz à la tête d’un club figurant parmi les trois premières divisions de football masculin en France), le club a permis au foot français de faire un grand pas en avant. Enfin, en 2008 nous avions un formidable défi sportif à relever. En 2015, le club a atteint son objectif de remonter en Ligue 2 après avoir franchi 5 divisions. En 7 ans le Red Star est redevenu un club ambitieux… on se confronte alors à une réalité douloureuse : pas d’infrastructures homologuées pour le monde professionnel et pas de soutien politique. Mais malgré tout, l’aventure s’est avérée encore plus belle : avec le Red Star nous avons la possibilité en plein cœur du 93, derrière le périph’, d’inventer chaque jour un autre football. Avec des valeurs fortes auprès d’une population de jeunes en attente de repères et de structures. Un football qui célèbre la diversité et l’ouverture d’esprit, sans lesquelles nous ne parviendrons à rien, sportivement et humainement.

IN. : comment s’en sort Patrice Haddad, Président de club ? Parvenez-vous à vos fins avec des politiques pas très au rendez-vous?

P.H. : regarder un match de foot n’est pas compliqué, par contre on sait l’émotion que cela génère et c’est nécessaire. Les 11 joueurs d’une équipe sur le terrain sont la partie immergée de l’iceberg. Instances, performance sportive, moyens financiers, législation, collectivités… En rentrant dans un club on ne s’imagine pas le travail, la débauche d’énergie qu’il y a derrière une feuille de match. S’y mêlent politique, immobilier, compréhension des codes de l’écosystème sportif. On redevient un grand club quand ces trois aspects sont réunis. Ça, c’est compliqué. Il faut du temps, de la résilience et de l’endurance.

IN. : pouvez-vous nous toucher deux mots au sujet du  Red Star Lab ?

P.H. : Le Red Star Lab a pour mission de contribuer à l’égalité des chances en étant un lieu non seulement dédié à la formation sportive mais aussi un lieu de formation et d’ouverture à la culture. En proposant aux jeunes licenciés des activités gratuites tout au long de l’année, le Red Star Lab leur permet de découvrir toute la diversité du monde et de s’épanouir émotionnellement et intellectuellement.

IN. : économiquement quelles ont été les conséquences de la crise? Avez-vous pu continuer de produire, et comment cela s’est mis en place?

P.H. : «gouverner, c’est prévoir » ; en 2000 Première Heure alors leader du marché, s’est projeté sur les 20 années suivantes en se réorganisant en labels. Une manière de préserver son rapport à l’image, sa culture artisanale du travail et du savoir-faire. Nous avons additionné des petites unités agiles et des expertises. Le rôle du Groupe a été de les soutenir et de les accompagner dans cette crise. Cette agilité nous a permis d’avoir un stress case maîtrisé et moins impactant. Nous travaillons d’ores et déjà sur un modèle à horizon 2030. Cela implique donc une analyse fine du secteur, des disciplines et des talents émergents, des nouvelles méthodes de travail…

IN. : vous avez créé Première Heure sur un principe unique: amener des photographes à réaliser pour la pub. Partiriez-vous aujourd’hui sur ce même concept ?

P.H. : leurs regards ont révolutionné la production publicitaire. Je suis toujours extrêmement attentif au travail des photographes. La publicité a eu l’audace d’accepter ce défi et de s’ouvrir à eux. À partir de là, je me suis dit que toute forme de créativité (peintre, musicien, chorégraphe…) pouvait s’exprimer dans la publicité. La voie était libre à d’autres disciplines artistiques. La publicité était devenue noble et les grands réalisateurs étaient plus accessibles.

IN. : il a fallu faire beaucoup de concessions avec les annonceurs, pour imposer la création, votre style; aujourd’hui y-a-t-il encore de vrais beaux films dont vous êtes fier?

P.H. : derrière les grandes idées audacieuses, il y a aussi un patron de marque qui a pris un risque. Il n’y a pas de belles campagnes sans des annonceurs visionnaires. Ils sont le baromètre de la créativité et de ce point de vue, régulent le niveau créatif du marché. Aujourd’hui des labels du groupe travaillent en direct avec des patrons de marque. Ce circuit court est une nouvelle facette de notre métier.

IN. : la demande publicitaire est en plein chambardement, pensez-vous que la création en pâtisse ?

P.H. : le digital a encore davantage pris sa mesure durant la crise. Il propose une nouvelle expression générationnelle, de nouveaux codes, de nouvelles écritures, de nouveaux impacts de consommation. Mais j’ai le sentiment qu’il se cherche encore et qu’il n’a pas écrit ses lettres de noblesse en matière de création. C’est une réflexion que nous avons. De plus la création n’est évidemment plus seule. Il faut considérer tout autant la technologie. Celui qui détiendra les deux aura les clés du jeu.

IN. : récemment il a été question d’apposer aux publicités le terme « en avez-vous vraiment besoin? (proposition faite parmi les 150 propositions de la commision pour le climat). Quel est votre opinion sur ce point?

P.H. : c’est le volet moral auquel je faisais référence au début. Se protégeant de la crise, un temps déculpabilisant et utile nous a été offert. Ce temps a été mis à profit, nous a permis d’observer, nos manières de vivre, notr façon de travailler. L’un doit tenir compte de l’autre. La réflexion post-crise doit porter sur cet équilibre.

IN. : on parle d’un long métrage sur le Red Star? Votre histoire portée à l’écran?

P.H. : le club a traversé la Grippe espagnole, deux guerres, des crises financières mondiales, la COVID et j’en passe… c’est clair qu’il y a beaucoup de choses à raconter. Oui, c’est l’un des plus beaux mélodrames du football Français. L’un des clubs qui a fourni le plus d’émotion et de grands joueurs en Équipe de France. Beaucoup d’œuvres portent sur le club. Des livres, le dernier date de la semaine dernière (Deux pieds sur terre de Basile de Bure) et un autre sortira en janvier, des documentaires sont en préparation… Et Oui, on pense à fictionner l’Histoire du Red Star.

IN. : pensez-vous que le cinéma va revenir à une certaine normalité ? Ou que tout le système va devoir être changé face aux risques d’épidémies grandissants?

P.H. : on est dans une crise de normalité, partout. Cette période et les doutes qu’elle soulève doivent amener une réponse créative. le cinéma va survivre. Tout comme il a aussi survécu à d’autres crises du 20ème siècle. La COVID créera assurément des centaines de scenarii. Comment se ressourcer créativement en s’adaptant aux normes restrictives de production ? C’est là la question. Les grands producteurs, auteurs, réalisateurs nous le diront.

IN. : plus largement, on voit le numérique prendre la place des « activités vivantes » comme d’aller au festival de Cannes, au festival du film Américain à Deauville, ou de voir une expo? Est-ce selon vous une fatalité, et cela ne changerait-il pas notre perception de la vie?

P.H. : rien ne pourra remplacer l’activité vivante. Elle restera fondamentale. Elle doit accepter, elle aussi, une forme d’expression différente et complémentaire. L’un s’additionne à l’autre. L’activité vivante doit rester accessible. Le virtuel ne remplace pas mais s’additionne, il est complémentaire. Le vivant reste essentiel. Ce n’est pas tant les prix que les festivals décernent qui importent que les lignes qu’ils peuvent faire bouger. Ces lieux se sont moralisés, politisés. Exemple cette question du moment : peut-on distinguer l’homme de l’œuvre, est issue de ces rencontres obligatoires.

IN. : vos enfants, (écrivain, productrice, réalisateur) vivent dans la vocation, la passion, l’art, pensez-vous que la jeunesse puisse s’épanouir sans la création ?

P.H. : quelle que soit l’activité, la part de créativité est fondamentale. Je pense que l’on a tous en nous, une force créative. Un médecin, un avocat, un artisan sont de grands créatifs. Mes enfants nourrissent chacun à leur manière un intérêt pour l’art, la créativité artistique, cela a été leur choix, et ils en ont fait leur métier, ma part de transmission inconsciente.

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