2 février 2011

Temps de lecture : 3 min

L’Egypte, Twitter et l’orientalisation du monde

Les récents événements et mouvements révolutionnaires secouant actuellement les pays arabes sont-ils une illustration de plus de la puissance des réseaux sociaux? Ou cachent-ils une réalité plus complexe? Par Thomas Jamet...

Les récents événements et mouvements révolutionnaires secouant actuellement les pays arabes sont-ils une illustration de plus de la puissance des réseaux sociaux? Ou cachent-ils une réalité plus complexe?

Iran, juin 2009. La révolte gronde, et Twitter connaît une première heure de gloire. Les journalistes occidentaux ne cessent de chanter les louanges du réseau social, celui-ci ayant paraît-il joué un vrai rôle dans le soulèvement contre Ahmadinejad. Le régime a été ébranlé mais il n’est pas pour autant tombé. Après la Tunisie, au sujet de laquelle la e-mobilisation a été très forte, il semble que L’Egypte ait senti un réel danger puisque les autorités ont décidé de débrancher le Net. Une première: il s’agit en effet de la première coupure officielle d’une telle ampleur. Cette décision a été suivie d’une innovation technologique puisque Twitter et Google ont collaboré tout le week end dernier à travailler à une nouvelle solution permettant de twitter par téléphone.

Les Egyptiens peuvent ainsi enregistrer un message depuis une ligne téléphonique vers 3 numéros. Le message vocal est converti en texte et ensuite tweeté automatiquement sur le compte speak2tweet avec le hashtag #egypt. Une innovation technologique sans doute un peu gadget car une centaine de messages seulement ont été envoyés par ce service et le compte a moins de 10 000 followers (alors que Justin Bieber en a 6 millions…). Mais le rôle stratégique de Twitter dans les soulèvements récents est en tout cas consacré par le gouvernement égyptien, qui le désigne comme l’ennemi et légitime par sa décision le net comme un espace de liberté dangereux pour sa stabilité.

Les révolutions tunisiennes et égyptiennes seraient des révolutions boostées par Twitter et les réseaux sociaux? La formule est facile. Twitter a sans nul doute joué un rôle de mobilisation des élites et de cristallisation de la révolte sur de nouveaux espaces et on se rend compte que les réseaux sociaux ont favorisé d’une certaine manière l’émergence de nouvelles opinions publiques. Mais les révolutions arabes ne sont pas l’œuvre de Twitter. C’est la facilité dans laquelle sont tombés beaucoup de media et d’analystes occidentaux, y voyant là une occasion trop belle peut-être de faire preuve (inconsciemment ou pas) d’un certain sentiment de supériorité. Comme si les foules et les masses des pays arabes n’attendaient que Twitter pour mettre à bas des régimes dont ils ne voulaient plus depuis longtemps. Comme si la magnifique technologie occidentale était l’arme qui manquait au peuple.

Au-delà de cette suffisance, ce n’est pas à une «occidentalisation» du monde qu’on assiste, mais au contraire à une progressive orientalisation». Un concept développé par Gilbert Durand avec ses écrits sur les «Orients mythiques», du fait que nos vies occidentales sont de plus en plus «orientalisées» dans notre façon de vivre, de faire la fête, de manger, de nous comporter. Une orientalisation qui va bien au-delà d’un simple phénomène culturel, d’une curiosité ou d’un attrait pour l’Orient. Ce sont les valeurs profondes de l’Orient qui s’imposent à nos sociétés.

Des valeurs qui reposent, au contraire de nos valeurs modernes basées sur l’ordre, le singulier, l’univoque, la simplicité et l’unicité, sur  » l’impermanence  » de toute chose, le vagabondage, le nomadisme, le non-rationnel et l’ouverture à l’autre. En cela, Durand fait clairement une description de la postmodernité. Twitter, Facebook, les réseaux sociaux, et leur manière de rapprocher les foules et les individus ont quelque chose de très tangible, réel et de très «oriental», au sens où l’entendait Gilbert Durand.

Au-delà de leur rôle (certes réel mais très limité) dans les révolutions arabes, il faut se rendre compte de la proximité de ces media avec le phénomène d’orientalisation du monde et de la spontanéité avec laquelle les foules les ont utilisés pour communiquer, même si pour l’instant leur pénétration est limitée. Mais aussi se poser la question de la révolution – silencieuse celle-là – que les réseaux sociaux opèrent chez nous, chaque jour, sur notre vision du monde.

  Thomas Jamet – NEWCAST – Directeur Général / Head of Entertainment & brand(ed) content, Vivaki (Publicis Groupe)
thomas.jamet@vivaki.com / www.twitter.com/tomnever

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