6 avril 2021

Temps de lecture : 3 min

Comment échapper au “purpose washing” ? Ben & Jerry’s partage ses recettes

Alors qu’aux Etats-Unis comme en France le statut d’entreprise à mission et l’activisme de marque séduisent de plus en plus d’organisations, les pionniers du sujet sonnent l’alerte : pour dépasser le simple effet de mode, ces démarches doivent rester authentiques, s’inscrire dans la durée et se traduire par des actions concrètes et mesurable. A l’occasion de la conférence SXSW 2021 en ligne, Sean Greenwood, de Ben & Jerry’s a partagé ses conseils, issus de plus de 40 années d’implication dans de grandes causes.

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Fondée en 1978 dans le Vermont, la marque de crème glacée Ben & Jerry’s a fait de l’engagement l’une de ses valeurs cardinales. Sa mission d’entreprise repose sur trois piliers : les produits (“faire les meilleures glaces du monde”), l’économie (“faire du profit, mais de façon équitable, sans chercher à maximiser uniquement les profits des actionnaires”) et le social. “Beaucoup de gens voient Ben & Jerry’s comme un vendeur de crème glacée. Mais nous, nous nous considérons comme un acteur de justice sociale qui se trouve juste fabriquer les meilleures glaces du monde,” résumait Sean Greenwood, le “Grand Poobah” des relations publiques chez Ben & Jerry’s, lors d’une table ronde en ligne du festival SXSW 2021.

C’est ainsi que l’entreprise s’est très tôt engagée pour une juste rémunération de ses employés et fournisseurs, pour le développement durable et le commerce équitable, puis pour de grandes causes. Le tout avec un ton souvent irrévérencieux et toujours une longueur d’avance sur les attentes sociétales. L’entreprise a conservé et cultivé cette singularité au fil des années, y compris depuis son rachat par le groupe Unilever en l’an 2000, pour 326 millions de dollars.

“Ben [le cofondateur de l’entreprise] explique souvent que le commerce est aujourd’hui la force la plus puissante de notre société. La question est donc : comment faire en sorte que cette force serve le bien commun et le progrès social ?, explique Sean Greenwood. Dès la fin des années 70, les deux fondateurs, visionnaires, considèrent qu’ils peuvent faire bien davantage que de créer une fondation financée par les profits de l’entreprise : le modèle même de leur organisation devait être un moteur de progrès pour tous.

Des achats “value-led”

Cette vision se traduit notamment par une politique d’achat “value-led”, “qui privilégie des fournisseurs qui ont un impact positif sur leur communauté”, mais le plus visible du grand public restent les campagnes et les prises de position tranchées de la marque. “Nous devons démanteler le suprématisme blanc” ou “le silence n’est pas une option” affichait par exemple la marque sur ses réseaux sociaux après la mort de George Floyd et les émeutes raciales qui ont agité l’Amérique en 2020.

En trente ans au sein de l’entreprise, Sean Greenwood a ainsi été le témoin et le porte-voix des nombreux engagements de la marque : soutien au mouvement Occupy Wall Street en 2011, campagnes contre l’abstention aux élections ou pour l’accueil des réfugiés en Europe, sensibilisation au changement climatique et opposition à la sortie des Etats-Unis aux accords de Paris, lutte contre l’égalité raciale aux côtés du mouvement Black Lives Matter, etc.

Des logiques de partenariats avec des experts

Mais qu’est-ce qui distingue la démarche de Ben & Jerry’s des prises de parole, parfois opportunistes, de la plupart des marques sur les sujets sociétaux, si ce n’est cet historique de plus de 40 ans d’activisme ? “Nous nouons des partenariats pour identifier là où nous pouvons avoir un impact et mettre en place des actions concrètes, puis nous mesurons le travail effectué. C’est très différent des pratiques de “cause marketing” dans lesquelles un directeur marketing se demande comment il peut se positionner sur un sujet qui va convaincre davantage de gens d’acheter ses produits, en s’alignant avec les attentes des consommateurs”, poursuit Sean Greenwood.
“Nous sommes experts dans une chose : vendre des glaces. Pour le reste, nous allons apprendre auprès des spécialistes et partager ce qu’on apprend avec nos fans et le public en général” ajoute-t-il. En travaillant avec des organisations de terrain et des experts des sujets sur lesquels il prend position, Ben & Jerry’s s’assure une crédibilité et entretient l’authenticité de sa démarche.

Apprendre en marchant

Mais cela ne fait pas tout : la persévérance et des logiques de long terme doivent prévaloir. Lorsque Ben & Jerry’s prend la parole sur le sujet des inégalités raciales en 2020, l’entreprise peut par exemple s’appuyer sur son engagement auprès du mouvement Black Lives Matter depuis 2016. “Nous ne sommes pas parfait, nous apprenons en marchant, en traversant des échecs. Il ne faut pas penser que vous devez communiquer uniquement lorsque vous avez atteint la perfection. Vous allez être critiqué, quoi qu’il arrive. Nos organisations apprennent sans cesse et s’améliorent en faisant des erreurs”, souligne Sean Greenwood.

Dans ses communications engagées, Ben & Jerry’s n’hésite pas à mettre en scène ses produits : par exemple en présentant une boule de glace en train de fondre pour parler de réchauffement climatique, ou en refusant de vendre deux boules d’une même saveur en Australie pour protester contre le rejet du mariage pour les couples de même sexe. De nouveaux parfums de glace sont aussi régulièrement lancés en lien avec des causes, comme le “Pecan Resist” anti-Trump ou le « Bernie’s Yearning » pour soutenir Bernie Sanders dans sa campagne présidentielle.

Néanmoins, Sean Greenwood le jure : “en trente ans chez Ben & Jerry’s, je n’ai jamais entendu personne dire en réunion ‘cela ne va pas nous faire vendre des glaces, ne le faisons pas”. Mais quand on regarde tout ce qu’on a fait, peu importe le sujet sur lequel nous avons pris position, les ventes ont continué à augmenter régulièrement au fil des années.” Et de citer un chiffre : “Seulement 1% des personnes qui contactent notre service client le font à propos de nos prises de position. On se dit que c’est peut-être le signe que nous devons aller encore plus loin !”

Ce papier a d’abord été publié sur The Good

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