21 septembre 2021

Temps de lecture : 6 min

Bertrand Swiderski (Carrefour) : « Emmener le client, c’est ce qui nous motive ».

Pour certains cela paraitra incongru. Pour d’autres une évidence. Le jury du Grand Prix de la Good Économie a choisi de distinguer l’ensemble des initiatives prises par Carrefour en matière de réduction des déchets. Symbole d’une grande consommation en pleine transformation, c’est aussi le pouvoir de traction et la dynamique lancée par le géant de la distribution qui sont récompensés. The Good a interrogé Bertrand Swiderski, l’énergique directeur de la RSE du Groupe Carrefour.

Carrefour

The Good : Vous avez pour raison d’être, d’être un « Leader de la transition alimentaire pour tous ». Comment se matérialise-t-elle ?

Bertrand Swiderski : La dimension de Leadership c’est pour nous un projet qui va jusqu’au bout, c’est un projet qui emmène le secteur, la catégorie. La réussite s’évalue lorsque nous avons effectué la transformation de la catégorie. Quand on a supprimé le plastique au rayon fruits et légumes, cela s’est fait ensuite partout, et la Loi est venue derrière. Quand on a lancé l’opération « Apporte ton contenant », l’idée de venir avec son propre contenant en magasin était impossible au départ, mais on l’a fait. Et il y a une Loi qui l’a imposé à tous aussi. Quand on lance C’est qui le Patron ? avec une start-up, c’est 100 millions de bouteilles que nous vendons. Et désormais il y a 5 marques de lait en commerce équitable. Si je devais imager cela, c’est comme si vous mettiez un projet au milieu d’un rayon, ça prend un petit espace au début ; notre objectif est que cela grandisse et prenne tout l’espace. Regardez le rayon textile d’un magasin : il n’y a plus un gramme de plastique en rayon, ce n’est que du carton. Le changement est énorme. C’est ça être un leader de la transition.

Et il y a le « pour tous ». Il ne faut pas oublier que cela doit rentrer dans le quotidien de tout le monde. Notre métier chez Carrefour ce n’est pas d’être sur une niche, le bio, la petite boutique. C’est d’être un magasin populaire. Notre client c’est le Français que l’on côtoie tous les jours, c’est lui qui doit changer ; ce n’est pas seulement les plus engagés, ce n’est pas l’élite de l’écologie. Voilà qui est passionnant.

The Good : Pourriez-vous nous résumer la stratégie RSE de Carrefour aujourd’hui ?

BS : Il y a différents types d’enjeux. Les enjeux de long terme que sont le climat, la biodiversité, la diversité et l’inclusion, la santé. Ce sont les grands enjeux sur lesquels nous travaillons et avons des programmes d’action individuels et collectifs. Ce sont des dynamiques de fond. Et après nous avons 5 priorités pour le client : le bio, le local, le plastique, l’anti-gaspi et la santé/nutrition. L’ensemble de nos communications consommateur en magasin touche toujours l’un de ces sujets-là.

Ensuite, il y a différents niveaux d’attente. Il y a les attentes d’aujourd’hui, par exemple les plastiques des fruits et légumes. Et les attentes de demain, que le consommateur ne connait pas encore, comme la consigne, avec le projet Loop, ou le projet « Apporte ton contenant ». Nous sommes persuadés que dans le futur, les clients viendront avec leurs contenants, même si on ne sait pas encore lesquels. Ils viendront avec des contenants en magasins, comme ils ont réussi à venir avec leurs propres sacs. Nous sommes aussi persuadés que le vrac est une opportunité énorme pour une consommation différente.

Nous imaginons tout cela en respectant les codes du commerce. Il faut d’abord un intérêt économique. Un client ne peut pas comprendre que ce que l’on vend en vrac soit plus cher qu’un produit emballé. En BtoB avec nos fournisseurs, nous devons expliquer la position du client. Celui-ci a 1/10e de seconde pour choisir. Il se dit soit « je fais comme avant », soit « je tente une aventure » ; pour aller vers cette aventure-là, il doit être attiré par le prix, par la qualité du produit – il l’a dans la main, il trouve cela beau- il y’a plein de petites accroches pour attirer le client vers une autre consommation. Notre succès initial, c’est la banane. C’est le plus gros chiffre d’affaires d’un rayon fruits et légumes. Quand nous avons lancé notre banane bio équitable, pour faire décoller les ventes, nous l’avons installée à côté de la banane standard. En comparant les deux, le client se rend compte que pour quelques centimes de plus, il a une banane bio équitable. Désormais chez nous, une banane vendue sur 3 est une banane bio équitable… C’est cette transformation là qu’il faut faire !

The Good : Comment votre stratégie RSE infuse-t-elle dans toute l’entreprise et comment faire en sorte que tous les collaborateurs participent à sa transformation ?

BS : Les secrets de fabrication sont simples. D’abord, il faut une direction générale impliquée. Alexandre Bompard est complètement embarqué sur le sujet de la transition alimentaire. Rami Baitieh (CEO France) pousse le sujet aussi. Nous avons mis en place une gouvernance, avec un indice RSE qui mesure la transition, et des rémunérations associées – tous les membres de tous les COMEX de tous les pays ont 20 % de leur variable indexé sur l’indice RSE. Le volet numéro deux : les clients, avec qui nous sommes très connectés, et qui nous racontent leurs histoires. Nous avons des clubs de clients engagés, sur Facebook et sur WhatsApp, qui nous envoient des messages directement. L’heure silencieuse ce sont des clients qui nous disent qu’ils ont des soucis avec leur enfant autiste parce qu’il y a beaucoup de bruit, c’est comme cela que les choses bougent. Le 3e point c’est l’entreprise. Les collaborateurs voient ce qui est fait, ils sont fi ers de ce qu’ils font, et ont envie de s’engager. Nous avons un club ambassadeurs, et un « Bravo meeting » organisé par Rami Baitieh, pour récompenser chaque ambassadeur qui a une bonne idée. Le projet sur les oeufs en vrac que nous venons de généraliser, il n’y a qu’un collaborateur pour faire remonter cela ; c’est lui qui se voit jeter une boîte d’oeuf entière quand seul un oeuf est cassé. C’est lui qui dit non, ce n’est pas possible. C’est comme cela que l’on mobilise, en écoutant les bonnes idées et en les félicitant.

The Good : Quels sont les premiers résultats de votre stratégie aujourd’hui ?

BS : Le bio, le simili carné sont des leviers de croissance. L’engouement client sur ces sujets-là est une opportunité pour aller encore plus loin. Le local aussi est un levier important, plus encore après Covid. Une start-up comme C’est qui le patron ? que l’on accompagne de zéro à 100 millions de bouteilles vendues, c’est facteur de croissance, mais une croissance dans la bonne direction. D’autres projets sont plus complexes à mettre en oeuvre. La consigne, Apporte ton contenant, ce sont des petites lignes, mais qui grossissent.

The Good : Quelles sont vos priorités pour les prochains mois ? Quels sont les chantiers les plus complexes à mettre en place ?

BS : Sur chacun des projets que nous avons évoqués, il y a une utopie derrière. Nous avons tous en tête un monde sans plastique, où les agriculteurs seraient heureux, etc. Si on trace une droite avec au bout l’utopie, pour la rejoindre, il faut passer des marches. Nous avons déjà passé la 1re marche, la 2e, la 3e marche, travaillons déjà sur la 4e marche, la 5e, pour chaque utopie, on essaye d’avoir un coup d’avance. C’est ce que nous construisons, avec nos consommateurs, avec les start-up. Notre feuille de route c’est d’identifier et de passer les prochaines marches.

The Good : La stratégie de réduction des déchets de Carrefour a obtenu le Grand Prix de la Good Économie. Que cela représente-il pour vous ?

BS : Nous sommes très très fi ers de remporter le Grand Prix de la Good Économie. C’est une très bonne surprise. Nous partageons nos prix avec nos consommateurs qui relisent tous les dossiers que l’on soumet, et avec les ambassadeurs.

Concernant le projet gagnant (stratégie de réduction des déchets par la suppression des emballages plastiques au rayon F & L, partenariat avec Loop pour la consigne, opération « Apporte ton contenant » et développement du vrac), si nous reprenons la métaphore de l’utopie et de l’escalier, nous avons répondu à chaque escalier. Certaines étapes étaient attendues, d’autres le seront demain. Le projet tel que nous le menons est un projet visionnaire, qui entraîne indéniablement le marché, la consommation en France, en Europe et dans le monde, et sur lequel nous ne sommes qu’au début. C’est un sujet sur lequel il y a beaucoup de controverses. Je suis régulièrement interpellé sur le choix de remplacer le plastique par du papier. C’est une étape. Demain chacun viendra avec son propre sac. De notre côté, les balances sont déjà prêtes pour faire la tare. Emmener le client, c’est ce qui nous motive. Mais si vous changez trop vite, vous n’emmenez pas le client. C’est pour cela qu’il faut que la proposition soit facile à décoder. Dans la complexité du monde dans lequel on vit, avec la quantité d’information que l’on reçoit, et la diversité des attentes et des solutions, nous devons réussir à combiner une offre simple et lisible.

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