2 septembre 2019

Temps de lecture : 3 min

Art : Auctionata, histoire d’un échec cuisant et coûteux !

En cinq ans à peine, cette maison de vente en ligne a croqué les 130 millions d’euros de fonds de ses actionnaires avant de disparaître.

En cinq ans à peine, Auctionata, maison de vente en ligne a croqué les 130 millions d’euros de fonds de ses actionnaires avant de disparaître.

Certaines idées, qui semblent bonnes sur le papier, peuvent se transformer en véritables cauchemars dans la réalité. Les actionnaires d’Auctionata, parmi lesquels figurait le patron de LVMH, Bernard Arnault, en ont fait l’amère expérience. Le concept imaginé par Alexander Zacke ne manquait, il est vrai, pas d’attraits. Issu d’une famille de marchand d’arts, cet ancien élève du Lycée Français de Vienne, qui a dirigé le département d’art asiatique de la maison de ventes Dorotheum avant de rejoindre la société familiale Zacke Auctions pour laquelle il a organisé plus d’une centaine de ventes, a créé la première maison de vente en ligne. Auctionata reprenait toutes les recettes qui ont fait le succès de Christie’s et Sotheby’s en les adoptant au monde virtuel du net. « Vous trouvez chez nous tout ce que propose une maison de vente classique, vantait l’entrepreneur en 2013 au magazine Gruenderszene. La valorisation et l’estimation des objets de valeur, le contrôle de leur authenticité jusqu’à la vente et la prise en charge de toutes les tâches logistiques». Son système breveté de streaming en direct, diffusé en haute définition depuis son propre studio de télévision, permettait d’accéder depuis un ordinateur portable, une tablette ou un smartphone à sa salle de vente virtuelle. Les acheteurs pouvaient enchérir en direct et voir le commissaire-priseur ainsi que l’objet de leur désir.

 Folie des grandeurs

Mais pour prendre de l’avance sur ses concurrents, Alexander Zacke a décidé de grandir vite, très vite, trop vite. En cinq ans à peine, la start-up a brûlé 130 millions d’euros… Ses actionnaires, dont l’éditeur Georg von Holtzbrinck et le distributeur allemand Otto, ont longtemps été bernés par les taux de croissance annoncés par le fondateur de la plateforme. Lors du premier semestre 2015, son chiffre d’affaires a ainsi atteint 35,7 millions d’euros, soit une hausse de 195% par rapport au résultat de la même période de l’année précédente. En 2014, ses revenus avaient dépassé 31,5 millions d’euros contre à peine 12 millions un an plus tôt. Grisé par le succès, l’entrepreneur autrichien a racheté en 2015 son rival britannique ValueMyStuff et un an plus tard l’américain Paddle8 qui perdait entre 1 et 1,5 million d’euros par mois. Ces acquisitions ont accéléré la chute de la maison allemande. Le site connaissait en effet déjà des problèmes avant même de lancer sa politique de croissance externe.

Des commissions trop modestes

Pour afficher des revenus en hausse et rassurer ses investisseurs, ses dirigeants avaient changé de stratégie en proposant des produits de moins en moins précieux aux collectionneurs. Si le tableau d’Egon Schiele intitulé « Reclining Woman » peint en 1916 a été adjugé pour 2,3 millions de dollars, la plupart des adjudications sur la plateforme se situaient dans une fourchette de prix comprise entre 5000 et 15.000 dollars. De telles enchères ne permettaient pas à la maison de vente de toucher des commissions suffisantes pour couvrir ses frais de fonctionnement. Pire encore, un rapport du cabinet d’audit KPMG commandé par Auctionata a prouvé que l’entreprise berlinoise n’avait pas respecté à plusieurs reprises la règlementation commerciale. La société aurait notamment pris en dépôt près de 600 œuvres estimées de façon douteuse en échange d’avances substantielles. Les contrats de dépôt étaient parfois incomplets, non signés ou disparus. Des membres de la direction, des investisseurs et des employés auraient acheté des œuvres sur Auctionata, ce qui est contraire à la loi. Alexander Zacke, et son épouse Susanne Zacke qui occupait le poste de directrice marketing, auraient, eux-mêmes, participé à des ventes sur leur plateforme en utilisant des pseudonymes mais aussi leur patronyme. Interrogé par artnet News, le fondateur du site a reconnu avoir commis des erreurs même s’il a nié que ses actions visaient à faire grimper les enchères.

Vouée à l’échec dès sa création?

L’histoire a prouvé que le concept d’Auctionata était voué à l’échec dès sa création. Si les ventes en ligne génèrent près de 9% des revenus du marché des oeuvres contemporaines selon le dernier rapport annuel publié par Art Basel et UBS, elles ne représentent que 4% des pièces adjugées plus de 1 million de dollars. Pour les œuvres importantes, les acheteurs privilégient ainsi toujours les ventes « physiques ». Alexander Zacke et ses actionnaires l’ont compris trop tard…

Allez plus loin avec Influencia

the good newsletter

LES FORMATIONS INFLUENCIA

les abonnements Influencia