9 décembre 2025

Temps de lecture : 8 min

Avec la Paris Creator Week, Jokariz veut transformer Paris en capitale mondiale de la creator economy

Créateur de contenu et cofondateur de la Paris Creator Week, Marc Lesage-Moretti, alias Jokariz, pilote la deuxième édition d’un salon qui réunit 4 000 professionnels de l’influence et du marketing. Ambitions internationales, structuration du marché et nouveaux projets... il nous livre sa vision pour le futur du salon.

INfluencia : Pour commencer, j’aimerais que tu reviennes sur ton parcours : à partir du moment où tu as eu l’intuition qu’un salon comme celui-ci devait exister, comment tu en es arrivé à cette deuxième édition de la Paris Creator Week ?

Marc Lesage-Moretti (alias Jokariz) : Quand je lance mon activité de créateur de contenu, d’abord sur le gaming (après avoir été vice-président chez Goldman Sachs de 2015 à 2022, NDLR), je comprends assez vite qu’il y a un sujet autour de la creator economy.

Je vois à quel point c’est développé aux États-Unis et à quel point ça l’est peu en France.

À ce moment-là, je ne sais pas si mon intuition est la bonne, mais je sais que si je me positionne tôt, je vais prendre de l’avance. L’idée, c’est de devenir créateur, de construire une légitimité, et que cette expertise soit ensuite reconnue par d’autres acteurs, type Google ou d’autres plateformes. Très vite, mon ambition, c’est d’être identifié comme l’un des leaders d’opinion sur le sujet en France.

L’idée du salon arrive ensuite. J’ai un ami de promo à l’ESCP, Karim Sebbah, qui organise des salons dans la crypto. Rien à voir avec la creator economy, mais il a un vrai savoir-faire événementiel. De son côté, mon associé, Pierre Allary, qui était aussi à l’ESCP avec moi, me dit : « Karim sait faire des salons, on devrait en monter un sur la creator economy ». L’idée naît comme ça.

Après, il a fallu beaucoup de réflexion pour bâtir un événement capable de fédérer toute l’industrie.

IN : Tu as tout de suite senti que tu avais besoin de quelqu’un avec cette expérience-là, quelqu’un qui connaît la mécanique des gros salons, pour mener ce projet à bien ?

M.L-M. : Honnêtement, au début, ce n’était pas si évident donc oui, on a fait le choix de faire confiance à Karim… et ça a tout de suite payé. Il a apporté toute l’expertise événementielle qu’on aurait pu externaliser, mais l’avoir avec nous en interne nous a fait gagner un temps fou sur la façon de construire un salon solide.

Je me souviens des réactions sur la première édition : les gens nous disaient « Ah, waouh, ce n’est que la première ? ». Et là, sur la deuxième, on change encore de dimension : 13 événements satellites, une semaine complète de programmation, 4 000 professionnels du secteur venus de toute l’Europe, des traducteurs, une vraie infrastructure.

Sans Karim, je pense qu’il nous aurait fallu cinq ans pour atteindre ce niveau dès une deuxième édition.

IN : Pour avoir interviewé plusieurs acteurs du secteur en amont du salon, l’engouement et la volonté de se retrouver pendant ces deux jours est palpable…

M.L-M. : Oui, complètement. Ce qui est particulier dans l’événementiel, c’est qu’en tant qu’organisateur, tu stresses toute l’année pour ton événement, mais les gens, eux, se réveillent deux semaines avant. C’est seulement là que tu vois les posts sur les réseaux, les clients qui commencent à te dire qu’ils ont hâte, etc.

Le plus dur, ce n’est pas de gérer les imprévus, tu sais qu’il y en aura et tu finis par composer avec. Le vrai truc qui te réveille la nuit, c’est : « Et si personne ne vient ? ».

Là, on sait qu’on sera plus de 4 000, alors qu’il y a dix jours, on se disait encore qu’on n’était que 2 500.

IN : L’an dernier, vous nous disiez vouloir faire de Paris un hub de la Creator Economy, un point de rassemblement pour les créateurs, les marques, les investisseurs et même les concurrents autour de la même table. Un an plus tard, cette ambition s’est-elle concrétisée ?

M.L-M. : En France, oui, clairement. On est aujourd’hui l’événement majeur de la creator economy. Il y a d’autres initiatives très bien comme le YouTube Festival, Frame ou le salon Follow Me, mais sur un format qui réunit vraiment tous les acteurs de l’écosystème, je pense qu’on est devenu l’événement incontournable.

Sur l’Europe… on aura la réponse demain et après-demain (rire). Cette année, environ 25 % des conférences sont en anglais. On accueille davantage d’acteurs internationaux, agences, plateformes, créateurs. L’an dernier, quasiment 100 % des keynotes étaient francophones. On avait seulement une table ronde en anglais avec les équipes de MrBeast et Amixem.

Cette fois, un quart des talks sont en anglais et toutes les conférences en français sont traduites en direct. C’est un vrai budget, mais on tenait à le faire pour que l’on parle de nous à l’international. Il existe d’autres gros rendez-vous en Europe, comme OMR en Allemagne ou South by Southwest à Londres, mais ils ne sont pas aussi créateur-centriques que nous.

IN : Thomas Angerer, co-fondateur et CCO de l’agence Beinfluence, qui accompagne la PCW, nous révélait à demi-mot que vous aviez peut-être même une ambition internationale au-delà de l’Europe pour les prochaines éditions…

M.L-M. : Oui, complètement. À long terme, notre vision est claire. Le marché continue de croître à un rythme phénoménal, autour de 25 % par an, ce qui veut dire qu’il double tous les trois ans. C’est stratosphérique, peu de secteurs peuvent en dire autant. Avec toute la valeur et les emplois que cela génère, les opportunités vont forcément se multiplier.

Notre ambition est de faire de la PCW l’un des événements majeurs au niveau global, que des gens du monde entier viennent à Paris pour rencontrer des créateurs, mais aussi recruter des talents dans les agences et les plateformes, afin que les Français puissent pleinement jouer leur rôle dans cet écosystème.

IN : Vous présentez ce matin en exclusivité une étude sur la Creator Economy européenne qui projette 26,7 millions de créateurs monétisés et 157,3 milliards de dollars de revenus en 2032. Quand vous regardez ces chiffres, qu’est-ce qui vous frappe le plus : la vitesse de la croissance, le poids des micro-créateurs…?

M.L-M. : La première chose, c’est la croissance globale dont on vient de parler. C’est un signal très fort, on se dit vraiment qu’il se passe quelque chose.

L’autre point clé, c’est effectivement le poids de la micro-influence. On le voit dans la décomposition des revenus : les collaborations commerciales représentent environ 45 % des revenus, là où la publicité pèse autour de 25 %. Et ce sont les collaborations commerciales qui vont le plus progresser dans les prochaines années.

Cela permet aux créateurs de s’affranchir un peu de la logique des vues. L’enjeu n’est plus seulement de faire du volume, mais de toucher les bonnes personnes et d’être pertinent pour une marque.

L’étude montre aussi que les micro-créateurs génèrent, en moyenne, des revenus proches de ceux des méga-créateurs. À partir d’un certain niveau d’audience, les revenus ne bougent presque plus. C’est un signal rassurant : le marché n’est pas saturé, il y a de la place pour des créateurs de niche.

Dernier point important : on a tendance à résumer le créateur de contenu à un YouTuber. Or, l’étude montre que les plateformes de vidéos ne représentent qu’une partie de l’écosystème, autour d’un quart du marché. Le gros se situe côté social media au sens large, avec TikTok, Instagram, Facebook, mais aussi le podcast, le live stream type Twitch, les plateformes d’e-commerce, etc. C’est un univers beaucoup plus vaste que l’image que l’on s’en fait souvent.

IN : L’étude montre un marché qui se structure très vite, mais on sent encore beaucoup d’angles morts : transparence des rémunérations, rapport de force entre plateformes, marques et créateurs, rôle des pouvoirs publics… Sur quoi, selon vous, le marché doit-il absolument évoluer dans les trois prochaines années pour ne pas “casser” cette dynamique ?

M.L-M : Il y a plusieurs menaces. La première, c’est le pay-to-play.

Beaucoup de créateurs ont vu leurs revenus organiques chuter ces quatre ou cinq derniers mois. Sur Instagram, si un créateur ne paie pas l’abonnement, il perd en visibilité dans la recherche et dans le feed. Sur TikTok, beaucoup racontent que leurs vues ont été divisées par deux ou trois. Sur LinkedIn, l’algorithme favorise très clairement les contenus sponsorisés au détriment de l’organique. C’est un vrai sujet.

L’IA en est un autre. C’est à la fois un défi et une opportunité. Elle démultiplie les capacités de production des créateurs, mais elle brouille aussi la frontière entre vrai et faux. On voit des deepfakes, des faux Hugo Décrypte qui proposent du coaching ou envoient de faux messages. Cela abîme la confiance des abonnés, alors que c’est le principal asset des créateurs de contenu.

Enfin, il y a la question de la répartition des revenus. Le rapport montre un marché en forte croissance et une immense opportunité, mais la vraie question, c’est : comment on partage la valeur entre plateformes, agences et créateurs. Tant que chacun trouve sa part, le système tient.

Aujourd’hui, la creator economy, ce sont quelques heureux élus qui en vivent très bien, face à une majorité qui n’en vit pas, et des plateformes qui, elles, sont très rentables.

IN : Est-ce que vous ne pensez pas justement, en parlant de confiance, qu’une plus grande transparence sur les fees pourrait vraiment changer la donne et faire tomber certains fantasmes ?

M.L-M. : J’en parlais encore ce matin. En France, on n’a pas une très bonne culture économique, on a peu de cours d’économie et on est assez mal à l’aise dès qu’il s’agit de parler business et argent, surtout si on se compare aux États-Unis, à l’Allemagne, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas ou aux pays nordiques.

Quand j’ai commencé à porter le sujet de la creator economy, rien que le terme posait problème. On me disait : « Non, ce n’est pas une économie, c’est de la création de contenu, c’est un art ».

Alors que, dans les faits, une grande partie des créateurs travaillent énormément, parfois 70 ou 80 heures par semaine, embauchent des gens, gèrent des boîtes. Ils créent des emplois, structurent de vraies équipes, avec des monteurs, des graphistes, des auteurs, des chefs de prod, des réalisateurs, ou des équipes dédiées à leurs side business.

Il faut reconnaître tout cela comme une industrie à part entière, professionnalisée, avec des enjeux économiques réels. Et tant qu’on ne met pas de transparence sur les fees, on sous-estime la réalité du travail derrière.

IN : Pour finir, pouvez-vous revenir sur vos dernières actus ? En vous suivant sur les réseaux, on a presque l’impression que vous avez inondé, dans le bon sens, nos feeds ces derniers mois.

M.L-M. : C’est vrai que je sors de six mois très intenses. Il y a d’abord cette deuxième édition de la Paris Creator Week. Ensuite, mon frère m’a rejoint pour gérer toute la partie business de ma boîte de représentation personnelle, Jokariz Corporation, et il a multiplié le chiffre d’affaires par cinq sur le deuxième semestre.

Comme ce n’est pas un modèle très scalable, ça veut dire beaucoup de tournages, de conférences, de prises de parole.

On a aussi lancé un format qui s’appelle The Unicorn, une sorte de déclinaison de « Qui veut être mon associé ? », où des entrepreneurs viennent pitcher leur projet. C’est un très bon exemple d’influence de niche : les vidéos font parfois moins de 10 000 vues sur YouTube, mais comme elles sont vues par des entrepreneurs, la lifetime value de chaque vue est énorme pour le partenaire.

Résultat, la collaboration est très bien rémunérée, à des niveaux que des créateurs avec plusieurs millions d’abonnés n’atteignent parfois jamais. Je trouve que c’est un bon cas d’école.

Enfin, on monte une nouvelle boîte, un logiciel pour aider les étudiants à préparer leurs entretiens d’embauche. L’idée, c’est de lutter contre le déterminisme social et scolaire, en permettant à des étudiants de s’entraîner et à des entreprises de recruter sur des compétences réelles, via leurs scores sur la plateforme plutôt que sur le diplôme.

Le lancement officiel est prévu en janvier. Avec ces quatre chantiers, le deuxième semestre a été bien chargé.

IN : Pensez-vous que la première édition de la PCW a aidé au succès de ces nouveaux projets, ne serait-ce qu’en termes de notoriété ?

M.L-M. : En nombre d’abonnés, honnêtement, l’impact est très marginal par rapport à ce que je peux gagner avec d’autres contenus. En revanche, dans la niche de l’influence en France, qui reste une niche, là oui, tout le monde me connaît beaucoup mieux. Je l’ai vu par exemple aux Cannes Lions cet été.

Donc, sur la creator economy, l’événement m’a clairement aidé à être identifié.

Mais au global, sur la chaîne Jokariz, c’est plutôt l’inverse : c’est l’événement qui a surtout bénéficié de la crédibilité que j’avais construite avec mon contenu. C’est aussi l’un des atouts d’un créateur : quand tu as une crédibilité installée, tu peux monter des boîtes très vite.

Allez plus loin avec Influencia

les abonnements Influencia

Les médias du groupe INfluencia

Les newsletters du groupe INfluencia