JO, cybersécurité, harcèlement… Dans les coulisses de la stratégie social media (très sensible) de la RATP
L’agence 5e Rue, avec son partenaire Boomerang, vient de remporter pour la seconde fois l’appel d’offres « Conseil et accompagnement social media de la RATP ». Cette victoire marque un tournant pour le groupe, entre ouverture à la concurrence et omniprésence des réseaux sociaux dans la relation aux usagers. Rencontre avec Thomas Laydis, Head of Hub Content & Social Media de RATP Group, et Louis-Marie Durand, Directeur Général de 5eRue (The Arcane) qui orchestrent la nouvelle grammaire social media du groupe.
INfluencia : Une démarche aussi transparente entre un annonceur public et son agence est inhabituelle. Quels ont été les premiers jalons de votre collaboration ?
Thomas Laydis(à droite sur la photo) :Quand j’arrive en septembre 2023, 5e Rue (groupe The Arcane) travaille déjà avec la RATP depuis deux ans. Je viens de plusieurs années en agence et de trois ans et demi chez EDF, mais je ne connais l’agence que de nom. Je découvre leur proposition stratégique, celle qui avait permis de gagner l’appel d’offres initial, et je réalise rapidement qu’elle ne correspond plus à ce qui est produit.
Ce n’était pas de leur fait. La RATP avait changé de gouvernance entre-temps. Jean Castex venait de prendre la présidence et la vision du groupe n’était plus la même que deux ans plus tôt. Toute la stratégie initiale devenait difficile à appliquer. Nous avons donc passé du temps à tout recalibrer pour s’aligner sur les ambitions globales de la RATP.
À cela s’ajoutaient les Jeux olympiques. En arrivant en septembre 2023, la priorité était que juillet 2024 se passe bien pour les voyageurs.
INfluencia : Ce qui vous limitait au court terme…
Thomas Laydis : Exactement. Nous avons lancé de petits projets et posé quelques bases avec Louis-Marie, mais tout restait très court-termiste. Et c’est seulement maintenant, presque deux ans plus tard, que nous commençons à installer un véritable écosystème social media : le fond, la forme et son évolution pour les prochaines années.
Louis-Marie Durand : C’est ce qui rend le social media passionnant : tout évolue très vite. Quand nous sommes arrivés, il n’y avait pas de compte TikTok. Nous avons dû accélérer sur l’influence, réfléchir à la présence des dirigeants. Et soudain, TikTok est devenu central. En parallèle, la gouvernance de la RATP changeait aussi.
IN : D’autant plus que les réseaux sociaux évoluent souvent plus vite qu’une grande institution comme la RATP…
L. M. D. : Même si la RATP bouge vite, car c’est une marque du quotidien, exposée et fortement attendue. L’enjeu, pour une agence comme pour un client, c’est de garder un cap tout en s’adaptant à la réalité du social media. Le nouveau contrat court sur cinq ans, le précédent sur quatre. Nous avons appris à travailler ensemble, puis choisi de repartir sans vraiment savoir ce que seront le social media ou la RATP dans deux ans. C’est une marque de confiance rare aujourd’hui et un engagement fort pour les deux parties.
T. L. : Et puis ce choix est intervenu à un moment clé. Jusqu’ici, la RATP avait un fonctionnement assez classique, avec Havas Paris pour la marque, une agence interne pour une partie de la communication, une autre pour les RP et 5e Rue pour le social media. Puis l’appel d’offres global a été remporté par Babel, avec Socialy sur une partie du social. Dans ce cadre, l’appel d’offres social media était très disputé. Pour une agence sortante, il faut prouver deux fois plus.
5e Rue l’a fait, grâce à sa connaissance du groupe mais aussi à sa capacité d’adaptation. Leur présence apportait également de la stabilité : une nouvelle agence globale d’un côté et, de l’autre, un partenaire social media déjà opérationnel. Mais il a fallu du temps pour trouver la formule.
L. M. D. : Et l’appel d’offres l’illustre bien…
T. L. : Trente-six agences y ont répondu. Nous en avons retenu huit, puis quatre.
L. M. D. : En même temps, le périmètre était large : accompagnement des dirigeants, influence, événements B2B, contenus grand public, TikTok, dimension pop, mais aussi enjeux serviciels comme la relation client. Ce n’est pas seulement du social. C’est du B2B, du B2C, de la réputation et du dirigeant.
Notre force, et j’espère que Thomas ne me contredira pas (rire), c’est d’allier proximité et compréhension des enjeux de la RATP, tout en restant dans le réel des usages sociaux. Sans cette double maîtrise, on n’avance pas.
IN : Vous évoquiez dans un précédent entretien, Louis-Marie, une évolution importante des prises de parole de la RATP, liée à l’ouverture à la concurrence et au positionnement du groupe. Pouvez-vous expliquer ce mouvement et ce qu’il implique pour la communication ?
T. L. :C’est plutôt une évolution vers une marque-groupe. La RATP change, notamment avec l’ouverture à la concurrence. En Île-de-France, plusieurs lots de bus sont désormais attribués par Île-de-France Mobilités à différents opérateurs, dont nous. Et chaque année, nous recrutons massivement : conducteurs, ingénieurs, mainteneurs, machinistes, techniciens. Nos prises de parole doivent donc refléter notre capacité à être un opérateur de transport performant à Paris, en France et à l’international.
Le groupe est aussi très diversifié. RATP Dev opère à Lyon, Riyad, en Australie, au Caire, dans le Pays basque, et vient de remporter un appel d’offres ferroviaire à Caen. Notre mission est double : rester une marque du quotidien pour les voyageurs franciliens et assumer une identité d’acteur industriel global.
Ce qui distingue la RATP, c’est aussi son ancrage pop culture. Serge le Lapin, les plaques de métro, les casquettes, les mugs : ce sont des symboles parisiens très identitaires. Nous devons concilier cette dimension émotionnelle et une communication industrielle plus classique.
L.-M. D. : Dans notre réponse au second appel d’offres, nous sommes partis de cette idée. Jusqu’ici, on séparait beaucoup : la dimension grand public sur TikTok, l’expertise industrielle sur LinkedIn. Nous avons choisi de casser ces frontières. Tous les publics doivent pouvoir voir toutes les facettes du groupe. Et nous voulions utiliser les codes créateurs pour réinventer la grammaire B2B, corporate et grand public de la RATP.
IN : Avez-vous des exemples concrets de cette hybridation entre contenus et canaux ?
L. M. D. : Prenons LinkedIn : sur cette plateforme, plus de 50 % des interactions viennent du réseau proche de la RATP, un public déjà acquis. Notre enjeu est de les surprendre. D’où le format qu’on a lancé où l’un de nos experts réagit aux prédictions de l’IA sur la mobilité urbaine. L’IA imagine un tramway dans dix ans, par exemple, et l’expert commente, nuance, contextualise. L’objectif est de maintenir un vrai effort éditorial malgré une audience familière.
La concurrence sur l’attention est forte et cette créativité traduit notre ADN pop et notre proximité, avec les voyageurs comme avec nos partenaires et nos équipes.
À l’inverse, TikTok n’est plus un espace de tendances innocentes. Les crises y naissent, certaines audiences l’utilisent comme source d’information, et un incident remonte immédiatement. La RATP doit donc répondre dès le début, expliquer et participer à la conversation. Les commentaires bleus, qui valorisent les prises de parole pertinentes, renforcent cette dynamique.
Donc sur LinkedIn, nous publions des formats qu’on aurait vus sur TikTok il y a quelques années, et sur TikTok, nous faisons du corporate ou même de la gestion de crise.
IN : La gestion de crise fonctionne également dans les deux sens. Une crise née sur les réseaux peut parfois appeler une réponse via les médias traditionnels, et inversement. Pouvez-vous détailler cette logique de contre-emploi des canaux ?
T. L. : Il faut distinguer deux types de crises. D’abord les crises opérationnelles, celles qui touchent directement les usagers. Une chaîne d’incidents un jour de forte chaleur, des rames bloquées, par exemple. Dans ces situations, nous veillons les réseaux en continu pour mesurer la part de voix, le niveau de stress et transmettre ces signaux aux équipes terrain. Mais la priorité reste de résoudre la situation. La prise de parole est minimale et passe souvent par les médias traditionnels, une fois les problèmes réglés.
Certaines crises émergent sur les réseaux sans qu’il y ait de véritable raison pour nous d’intervenir. Nous observons, nous faisons remonter aux services concernés, mais nous ne répondons pas systématiquement. Le risque vient surtout des prises de position extrêmes, amplifiées en quelques minutes. Entrer dans la discussion nous exposerait inutilement. Et souvent, la presse traditionnelle sert de baromètre : si une polémique en ligne ne génère ni demandes ni sollicitations médias, ce n’est sans doute pas un sujet majeur.
Viennent ensuite les crises qui touchent à nos valeurs et contre lesquelles nous nous devons d’agir. La lutte contre le harcèlement en est un exemple. C’est l’un des problèmes les plus lourds du réseau. Nous avons une équipe dédiée, pilotée par Sandrine Charnoz. Il existe un numéro d’alerte, le 31 17, et un numéro SMS, le 31 17 7. Nous formons nos agents à la gestion de ces situations. Et avec 5ème Rue, nous avons pris la parole récemment à travers une opération et le podcast Night Confession en adoptant les codes du créateur pour toucher la bonne audience.
IN : Justement, ce respect des codes semble essentiel pour éviter une communication trop verticale.
T. L. : Exactement. En interne, nous faisons un gros travail de pédagogie. Par exemple, Sandrine Charnoz souhaiterait que le 31 17 soit omniprésent. Nous lui expliquons que cela ne fonctionne pas dans un format créateur. Nous construisons un contenu adapté à la cible, puis nous complétons par une prise de parole sur LinkedIn, où son réseau professionnel est pertinent. Nous fournissons aussi des assets aux équipes et encourageons l’employee advocacy pour que les agents relaient les messages.
Notre logique est simple. Nous regardons ce que nous faisons en owned, en earned et en paid. Est-ce qu’on fait un contenu trop ennuyeux ou est-ce qu’on le rend attractif sans perdre la justesse du message. Et nous testons.
L. M. D. :Ce qui fonctionne dans ces campagnes contre le harcèlement, c’est que tout le monde joue un rôle. Une marque comme la RATP peut être peu audible seule. Pour sensibiliser des collégiens ou lycéens, il faut des créateurs qui connaissent ces publics. Mettre en scène Sandrine Charnoz, un agent, un voyageur témoin ou victime, crée également un discours de vérité.
Et cette logique vaut aussi pour la gestion de crise. L’analyse de départ est essentielle. Ensuite, on active les bons leviers, là où ils sont pertinents.
IN : Au moment d’amorcer une collaboration avec un créateur, qui décide concrètement qu’il est safe pour une institution comme la RATP ?
T. L. : La question est légitime. À la fin, c’est nous qui tranchons, avec pragmatisme. Un exemple : nous voulions travailler avec un créateur qui avait fait, quelques mois plus tôt, quelque chose d’interdit dans le métro. Rien de dangereux, mais interdit. L’agence nous le recommande tout en signalant ce point ; à moi ensuite de dire oui ou non.
Si on avance, je veille de très près aux scripts. Il faut respecter la ligne du créateur, certes, mais également faire passer nos messages. C’est souvent un équilibre fin. Dans ce cas précis, il voulait ouvrir sa vidéo en rappelant son geste interdit. J’ai tout de suite expliqué que renvoyer vers un contenu problématique n’était pas souhaitable (rire) et qu’on devait rester sur notre message.
Pour le safety check en lui-même, nous avons des règles simples. Un créateur qui a dénigré la RATP, c’est non. Un créateur dont la probité a été remise en cause, c’est non. Et enfin, nous évitons les profils trop dispersés, qui collaborent avec nous le lundi un autre opérateur le mardi et encore un autre le mercredi. Cela manque de cohérence.
L. M. D. : Parfois, c’est plus subtil. Pour sensibiliser les collégiens à un sujet important, nous avions choisi Snapchat et confié une partie du message à une collégienne qui parlait avec ses mots et son vécu. Cela implique que la RATP accepte, pendant un temps, qu’une adolescente porte ce message auprès de ses pairs.
C’est efficace, mais cela demande d’expliquer en interne pourquoi c’est le bon choix et qu’ils acceptent de lâcher prise pour toucher la bonne audience. Dans ces cas-là, des profils comme Thomas Laydis, qui maîtrisent les usages et les codes des plateformes, sont essentiels.
IN : Les JO ont été un moment clé pour la RATP, autant opérationnellement que dans votre communication. Comment avez-vous abordé cette période et quels choix ont guidé votre présence pendant les Jeux ?
L. M. D. : Pour nous, tout est parti d’un constat simple : Les JO allaient se vivre dans le métro. Les moments forts, les scènes de joie, de fête ou d’émotion se produiraient avant tout dans le réseau. C’est ce qui a guidé notre approche.
Il y a eu deux territoires pendant les JO. Le premier était très marque et grand public. C’est ce qui a donné le partenariat avec le créateur de Les Gens dans le Métro et la mécanique Les JO dans le métro qui permettait de faire remonter de l’UGC (User Generated Content, NDLR). Nous avons aussi mobilisé des créateurs habitués à la photo pour saisir ces instants et montrer comment la RATP s’était organisée pour accueillir ce moment exceptionnel. Certaines stations changeaient de nom ou accueillaient des activations spécifiques, et nous voulions le documenter.
Le second territoire concernait la mobilisation interne. Avant les JO, il y avait des interrogations sur la capacité de la RATP à être prête. Elle l’a été. Nous voulions donc valoriser ce travail via les dirigeants et le Comex RATP sur les réseaux sociaux. Ils ont pris la parole pour expliquer ce qui avait été mis en place en matière de sécurité, d’infrastructures, de transformation du réseau et de communication. Nous avons publié environ quarante posts en trois semaines, chacun générant une fois et demie la performance d’un post classique.
Cette mécanique a aussi eu un effet fort en interne. Avec le hashtag Team RATP, nous avons voulu rendre tout cela lisible. Et de manière totalement spontanée, des agents ont commencé à publier sur leur mission, leur fierté d’appartenance au réseau et leur participation au défi des JO. Nous avons observé trois fois plus de posts internes que d’habitude, sans intervention de notre part. C’est l’effet que nous n’avions pas anticipé et, à mes yeux, l’un des plus marquants.
IN : Thomas, comment justifiez-vous l’investissement social media auprès de la direction, et quels KPI comptent vraiment dans les arbitrages réputation–engagement–perception ?
T. L. : Tout évolue par cycles. Les publics ont reçu des prospectus, puis des newsletters, puis ils ont rejoint des groupes Facebook. On a ensuite créé des applications intégrées à Facebook pour récupérer des contacts, jusqu’à ce que l’algorithme rende les publications invisibles sans investissement. Et aujourd’hui, on voit revenir des logiques très CRM (Customer Relationship Management, NDLR). Ce que cela montre, c’est qu’une entreprise comme la RATP doit être présente partout, en owned, en earned et en paid.
Concernant le social, les KPI sont évidemment essentiels. On regarde évidemment l’engagement, mais de plus en plus les taux de complétion. Toucher sept millions de personnes avec une campagne paid, comme celle sur les comportements à risque, ne sert à rien si les gens ne restent pas sur la vidéo.
Je challenge énormément mes équipes et celles de 5e Rue, Socially ou Babel : le bon contenu doit être pensé pour le bon créateur et la bonne plateforme. On fait encore trop de duplicate content, même si on réduit, et il faut progresser pour que le public nous choisisse, nous, plutôt que tout ce qui passe dans son flux.
L. M. D. : Et il ne faut pas oublier l’enjeu business, qui est très fort avec l’ouverture à la concurrence. La force de la RATP, c’est sa marque, et elle est nettement au-dessus de ses concurrents en notoriété. Sur les réseaux sociaux, la RATP génère plus d’un million de vues par jour en intégrant l’information voyageurs.
Quand la RATP montre ses coulisses à des jeunes sur TikTok, quand elle met en scène ses ateliers ou crée un lien émotionnel avec Serge le Lapin, elle devient plus qu’un opérateur. Cette affection, elle n’existe pas pour les concurrents. Et dans un métier perçu comme utilitaire, mais vécu au quotidien, cela compte énormément quand un opérateur doit choisir entre deux prestataires.
IN : Une dernière question pour vous projeter. Quelles seront, selon vous, les priorités des cinq prochaines années pour maintenir la confiance et l’engagement des usagers ?
T. L. : L’enjeu, d’abord, sera d’assumer pleinement notre rôle d’opérateur pour Île-de-France Mobilités, tout en respectant celui de l’autorité organisatrice. C’est un équilibre essentiel.
L’autre priorité sera de tenir ensemble notre réalité d’industriel et le lien affectif très fort qui entoure le métro parisien. Le réseau est partout dans la pop culture, de Emily in Paris à Mission Impossible, jusqu’à Zidane dans la cérémonie des JO. À nous d’en faire un levier, en France comme à l’international. Notre force, c’est notre capacité à opérer un réseau ultra maillé, l’un des plus complexes au monde. C’est ce que nous vendons, à Paris et ailleurs.
L. M. D. :Côté agence, la priorité est d’objectiver le conseil. Les réseaux sociaux arrivent à maturité : les choix doivent reposer sur des données, pas sur l’intuition. Veille, cartographies, analyse des parties prenantes : c’est ce qui compte.
Il faut aussi continuer d’apprendre. Le social media évolue sans cesse. Les agences doivent redevenir des acteurs de conseil, pas des producteurs de contenu. C’est notre position chez 5e Rue : ne pas internaliser la prod pour garder la liberté de choisir le bon format, et pas forcément une vidéo de plus.
Enfin, il faut s’adapter à un écosystème entièrement recomposé, où les créateurs vendent désormais audience, concept et production. Là où il y avait quelques acteurs, il y en a des milliers. Et c’est tout l’enjeu : faire le lien entre une structure comme la RATP, qui ne peux pas bouger au rythme quotidien des plateformes et un marché du social media qui change tous les jours.
À retenir
L’agence Cinquième Rue, accompagnée de son partenaire Boomerang, a remporté l’appel d’offres « Conseil et accompagnement social media de la RATP ». Ce duo agit de manière coordonnée avec les agences Babel et Socialy, titulaires du marché « Communication interne et externe » de la RATP.