10 octobre 2025

Temps de lecture : 9 min

Laurent Solly (Meta) : « J’ai épousé ma femme Caroline en secret. Tout le monde était au courant, sauf elle »

Réussir de parfaits œufs brouillés. Voilà certainement un succès -ouf- que l’IA ne peut pas atteindre. Le vice-président de Meta en Europe, lui, en est le roi…. Laurent Solly répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’Hôtel Littéraire Le Swann* – Proust oblige

INfluencia : Votre coup de cœur ?

Laurent Solly :  Il va à « La peau dure », le dernier livre de la journaliste et romancière Vanessa Schneider, que j’ai la chance de connaître. J’ai trouvé ce récit, dans lequel elle raconte sans fard sa relation avec son père Michel Schneider — psychanalyste et écrivain disparu en 2022 — extrêmement touchant. À mes yeux, c’est sans doute l’un de ses meilleurs ouvrages.

Vanessa Schneider avait déjà publié plusieurs livres marquants, notamment « Tu t’appelais Maria Schneider », consacré à sa cousine, qui a rencontré un grand succès. Mais avec « La peau dure », elle livre quelque chose d’intime : l’histoire d’une fille face à un père dur, colérique, parfois égoïste et centré sur lui-même. Plus qu’une simple biographie, ce livre est une plongée dans l’énigme paternelle qui, au passage, esquisse aussi le portrait d’une époque : celle des baby-boomers, des illusions de Mai 68, de l’accession de la gauche au pouvoir avec Mitterrand, puis des désillusions qui ont suivi.

C’est aussi le récit d’une filiation littéraire : celle d’un père écrivain, d’abord réticent — voire jaloux — devant la vocation de sa fille, qui finira pourtant par la reconnaître, non seulement comme sa fille qu’il a sans doute beaucoup aimée, mais aussi comme une écrivaine à part entière.

Ce qui m’a particulièrement frappé, c’est l’honnêteté avec laquelle Vanessa Schneider raconte cette histoire, n’éludant jamais les zones d’ombre de son père. D’où ce titre, si juste : « La peau dure ». Le livre regorge de scènes fortes, comme celles de l’introduction où elle décrit la dispersion des cendres avec ses enfants, ou encore les dernières pages, bouleversantes, consacrées à la mort de son père. Je ne m’attendais pas à être happé à ce point. Mais c’est bien mon véritable coup de cœur de cette rentrée : un coup de cœur littéraire, car « La peau dure » est, à mes yeux, une véritable œuvre de littérature.

J’essaie désespérément de trouver deux places, les 22 ou 23 novembre, pour l’un des trois concerts de Radiohead à Londres

IN. : Et votre coup de colère ?

L.S. : Il est très personnel… et un peu secret (j’espère que mon fils ne tombera pas dessus !). J’essaie désespérément de trouver deux places, les 22 ou 23 novembre, pour l’un des trois concerts de Radiohead à l’O2 Arena de Londres. (ndlr : Le groupe, qui n’était pas monté sur scène depuis août 2018, entame enfin une grande tournée européenne avec quatre dates par ville à Madrid, Bologne, Londres, Berlin et Copenhague).

Mon fils, 16 ans, en première, s’est mis à la musique, notamment à la guitare, et voue une véritable passion à ce groupe. Je sais combien cela lui ferait plaisir. À cet âge, certains moments culturels — un concert, une rencontre, une pièce, un livre — vous marquent pour la vie.

C’est donc une colère positive : j’aimerais tellement réussir à lui offrir ce souvenir inoubliable. Mais pour l’instant, malgré mes efforts, je n’ai pas encore réussi à décrocher les précieuses places… (Ndlr : amis lecteurs, si l’un de vous a des places qu’il souhaite revendre, contactez-nous. Vous ferez deux heureux.)

Je me souviens avoir passé une partie de la nuit enfermé dans une chambre d’hôtel à Disney

IN. : L’évènement qui vous a le plus marqué dans votre vie ?

L.S. : J’ai retenu un événement extrêmement douloureux et tragique pour nous tous : les attentats du Bataclan et des terrasses parisiennes, le 13 novembre 2015. Ce jour-là, j’avais été invité avec ma famille à Disneyland Paris, pour ce qui devait être une journée et une soirée de fête et de joie pour les enfants. Et puis, tout a basculé.

L’une de mes filles était restée à Paris pour aller à un concert, sans que je sache lequel. L’angoisse a été immédiate. J’ai heureusement reçu rapidement de ses nouvelles : elle était rentrée et en sécurité. Mais en tant qu’entreprise, nous avions aussi des centaines de salariés, dont certains auraient pu se trouver au Bataclan ou sur les terrasses. Je me souviens avoir passé une partie de la nuit enfermé dans une chambre d’hôtel à Disney — interdiction de sortir — à tenter de localiser nos employés partout dans Paris. Nous n’avons eu des nouvelles de l’une d’elles que vers trois ou quatre heures du matin. Notre directrice de la communication se trouvait à proximité du Bataclan, enfermée dans une cave sans savoir ce qui se passait : elle était terrifiée, comme tant d’autres, face à l’incompréhension et au chaos de cette nuit.

Cet épisode m’a marqué aussi parce qu’il a déclenché quelque chose de positif. Avec quelques dirigeants de Facebook France, dont j’avais alors la responsabilité, nous avons voulu que les réseaux sociaux puissent être utiles dans ce drame. Une fonctionnalité existait déjà : le « Safety Check », créée après Fukushima, mais réservée jusqu’alors aux catastrophes naturelles. Dans la nuit, nous avons convaincu les dirigeants américains — Mark Zuckerberg lui-même — d’autoriser son activation pour la population d’Île-de-France.

Je le dis avec humilité : ce dispositif a été très utile. Des milliers de personnes ont pu signaler à leurs proches qu’elles étaient en vie. Les médias et les autorités françaises y ont aussi trouvé un outil précieux. Depuis, le Safety Check est utilisé dans le monde entier à chaque tragédie.

Avec une spatule en bois, on trace doucement un « 8 » en continu, pas trop vite, à température 5 ou 6

IN : Votre plus grande réussite ?

L.S. : Pour détendre l’atmosphère, une petite réussite légère : mes œufs brouillés. Je dois l’avouer, je les fais extrêmement bien — les meilleurs, dit-on (rires). C’est presque devenu ma spécialité. Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas si facile, c’est même assez technique !

Ma recette ? La voici -libre de droit- (rires). On casse les œufs, on les bat soigneusement dans un saladier. Surtout, pas de crème, pas de lait. Jusque-là, c’est très simple… Ensuite, on prépare quelques petits dés de beurre, pas trop, juste assez selon le nombre d’œufs. Un peu de sel, un peu de poivre. Dans une poêle bien chaude, avec deux petits morceaux de beurre, on verse les œufs battus. Puis, avec une spatule en bois, on trace doucement un « 8 » en continu, pas trop vite, à température 5 ou 6. Et au fur et à mesure, on ajoute quelques dés de beurre : le secret est là. A la fin, les œufs sont à la fois onctueux et légèrement baveux, ni trop gras, ni trop secs. Bref, les œufs brouillés parfaits !

C’est une réussite dont je suis fier, parce que j’adore la cuisine et que je suis très gourmand. J’admire les grands chefs et toutes celles et ceux qui savent cuisiner. Moi, honnêtement, je ne suis pas brillant derrière les fourneaux… sauf pour ce plat, si simple en apparence, que je réussis à chaque fois.

Une semaine avant le départ pour l’ascension du Mont Blanc, patatras : je me suis bêtement bloqué le dos. Impossible de partir, j’ai dû tout annuler

IN. : Votre plus grand échec ? (idem)

L.S. : J’ai depuis l’enfance une passion héritée de mon grand-père : l’alpinisme. J’adore la montagne. Certes, je ne suis pas un grand alpiniste et je ne fais pas énormément de randonnées, mais dès que j’en ai l’occasion, je pars marcher.

Mon grand-père, que j’aimais profondément et qui est parti trop tôt, vouait une véritable passion à l’alpinisme, en particulier à la chaîne du Mont-Blanc. C’est sans doute de lui que je tiens ce rêve. Cette année, pour mon anniversaire, ma femme m’a offert un cadeau incroyable : l’ascension du Mont-Blanc, en deux temps. Une première étape de préparation cet été, et l’ascension finale prévue pour 2026.

J’avais tout préparé avec sérieux. Quatre jours en haute montagne, à 3 500 mètres d’altitude, avec des guides. J’y ai appris à marcher avec des crampons, à progresser sous la neige, à m’habituer à l’altitude. J’avais même pris soin de me remettre en forme, de faire plus de sport, de perdre un peu de poids. Passionné comme mon grand-père par la chaîne du Mont-Blanc, j’étais à la fois excité et heureux comme rarement.

Et puis, une semaine avant le départ, patatras : je me suis bêtement bloqué le dos. Terriblement. Impossible de partir, j’ai dû tout annuler. Ce fut mon grand échec de 2025. J’en suis d’autant plus frustré que je ne sais pas si je pourrai tenir l’objectif de 2026. Mais je continue d’y croire et de me battre pour ça : gravir le Mont-Blanc reste un rêve que je veux absolument réaliser.

IN. : Votre rêve d’enfant ou si c’était à refaire…

L.S. : Il y a quelque chose que je regrette profondément : ne pas savoir jouer du piano. À 14 ans, mes parents m’avaient inscrit à des cours. Une de mes grandes tantes, professeure de piano, me donnait des leçons. Mais à l’époque, l’apprentissage se faisait d’une manière très stricte : gammes incessantes, dans toutes les tonalités, avec notamment la célèbre Méthode Rose. Cela durait des mois, parfois plus d’un an, avant d’aborder le moindre morceau.

Je voulais certes apprendre, mais sans passion véritable. Ma tante était douce et patiente, mais pour moi ces cours du lundi soir étaient devenus une obligation, presque une punition. Après seize mois d’exercices, j’ai enfin commencé à jouer de petits morceaux, j’étais sorti du tunnel. Et pourtant, j’ai fini par supplier mes parents d’arrêter. Je leur ai répété que c’était inutile, insupportable, horrible… J’ai trouvé toutes les excuses possibles. Et, comme beaucoup de parents, ils ont fini par céder.

Sur le moment, j’étais heureux d’échapper à ces cours. Mais depuis, je le regrette. Le piano est un instrument magnifique. Chaque fois que j’entends quelqu’un en jouer — dans un bar, une soirée, ou même dans une gare — je repense à ce choix. Aujourd’hui, je me dis que j’étais stupide. Et, plus encore, j’en veux un peu à mes parents d’avoir cédé à un caprice d’adolescent. Si c’était à refaire, je n’aurais jamais arrêté.

Ma famille, la sienne, nos amis, nos témoins, tous étaient au courant… sauf elle

IN. : Un secret à nous révéler ?

L.S. : C’est très personnel : j’ai épousé ma femme Caroline en secret (ndlr : la journaliste Caroline Roux). Un jour, en mars 2012, je lui ai demandé sa main. Elle m’a dit oui. Mais quand elle m’a demandé la date, je lui ai simplement répondu : « On verra ». Sa seule mission : trouver une robe de mariée. Deux mois plus tard, un samedi matin, elle s’est réveillée et je lui ai annoncé que c’était… le jour de son mariage ! Tout était prêt : la mairie, nos familles, nos amis. Je l’ai emmenée d’abord à la mairie, où tout le monde nous attendait. Ensuite, nous avons partagé un déjeuner familial au Jules Verne, à la Tour Eiffel, puis une grande soirée à Paris avec près de 200 invités.

J’avais tout organisé dans le plus grand secret. Seule certitude : elle était d’accord (rires). Ma famille, la sienne, nos amis, nos témoins, tous étaient au courant… sauf elle ! Même les fonctionnaires de la mairie ont joué le jeu, en acceptant de ne pas révéler la date précise malgré la publication des bans. Et après la mairie, je l’ai conduite à l’église : le prêtre, lui non plus, n’avait rien laissé paraître. Un vrai mariage surprise, pour le plus beau jour de notre vie.

Je déplorais le fait que, parfois, la vérité pèse moins que la perception — une réalité qui, aujourd’hui encore, est criante.

IN. : Un malentendu à votre égard ?

L.S. : Oui il y en a bien un et j’en profite pour vous remercier de me permettre de rétablir la vérité. Il se trouve dans un livre de quelqu’un que j’admire énormément : Yasmina Reza. Il s’agit de « L’aube, le soir ou la nuit ». J’ai eu la chance de la côtoyer plusieurs mois, à une période déjà lointaine de ma vie professionnelle. Yasmina Reza travaillait sur son livre consacré à la campagne présidentielle de 2007, à laquelle je participais, et avait suivi Nicolas Sarkozy pendant des mois. Nous échangions souvent sur la vie.

Dans cet ouvrage, elle m’attribue une phrase : « La vérité n’a aucune importance, il n’y a que la perception qui compte. » Lorsqu’elle raconte la scène, on peut croire que je prononce cette phrase avec une certaine fierté. Or, c’est exactement l’inverse : ce n’était pas un propos cynique, mais un constat attristé. Je déplorais le fait que, parfois, la vérité pèse moins que la perception — une réalité qui, aujourd’hui encore, est criante.

Voilà donc un malentendu réparé. Et cela me donne l’occasion de redire toute mon admiration et mon amitié pour Yasmina Reza, auteure exceptionnelle et reconnue dans le monde entier. Sa pièce « Art » se rejoue actuellement, mais celle que j’aime particulièrement est « Le Dieu du carnage ».

IN. Quel réalisateur de cinéma emmèneriez-vous sur une île déserte ?

L.S. : Je pense que je prendrai un réalisateur que j’aime énormément, Claude Sautet. J’admire ses films qui ont marqué des générations, notamment César et Rosalie, ses personnages, sa réalisation, ses dialogues et ce qu’il raconte de façon intemporelle de la société, des générations, des hommes et des femmes.
J’espère que ce ne serait pas trop dur pour lui d’être en tête à tête avec moi (rires). Mais pour moi, ce serait un plaisir et un honneur de dialoguer avec lui.

*L’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’ « À la recherche du temps perdu »

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L’actualité :

Laurent Solly a pendant 6 ans dirigé l’Europe du Sud (France, l’Espagne, Portugal, l’Italie et Israël). Il a été nommé Vice-Président en Europe en novembre 2024 et étend son périmètre depuis janvier 2025 à l’ensemble du Vieux Continent. Maintenant, il s’occupe pour Meta en Europe de sujets liés à l’intelligence artificielle, à la régulation, aux partenariats. Son actualité, explique-t-il : « les sujets liés à l’intelligence artificielle, l’accélération de l’IA, son impact dans nos sociétés, dans nos vies, la vitesse d’adoption des utilisateurs, l’IA générative, les outils de Meta et d’Open AI, le bouleversement économique, social, sociétal, parfois philosophique de l’IA. L’homme est en train de créer une intelligence qui, dans certains domaines, le dépasse ou va la dépasser. Les progrès pour certains métiers, par exemple la santé, sont absolument spectaculaires. »

En France, un country director vient d’être nommé : Pierric Duthoit.

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