« L’évènementiel local connaît une vraie dynamique, en réponse aux fractures sociales », Adèle Tanguy (directrice de Lumière, pôle 366)
Deuxième volet de notre série d’entretiens autour du Palmarès du Grand Prix du Brand Content 2025 : après la responsabilité, place à deux autres signaux forts de cette édition, l’ancrage territorial par l’événementiel et l’hybridation croissante entre culture, divertissement et communication.
INfluencia : que révèle l’hybridation croissante entre communication et culture, illustrée par Hot Ones (Canal+ et McDonald’s), Bref 2 (Disney+) ou encore le Grand Prix The Final Copy of Ilon Specht (L’Oréal) ?
Adèle Tanguy : cela permet aux marques d’entrer dans des contenus déjà créatifs, aimés et rassembleurs. L’énorme avantage de l’entertainment, c’est que peu importe nos divergences politiques ou sociales, on peut tous s’entendre sur l’attachement à des personnages de fiction… Je défie quiconque d’arriver à détester un personnage de Friends(rire).
C’est une base émotionnelle commune que les marques peuvent investir pour se connecter avec leurs audiences. Diverto par exemple, qui est l’un de nos titres, est aujourd’hui le premier magazine sur l’entertainement en diffusion, à savoir 5 millions d’exemplaires par semaine.
IN : le retour de formats cultes ou de mythes publicitaires illustre-t-il une tendance durable de la nostalgie ?
A.T. : oui, totalement. Aujourd’hui, on a besoin de valeurs refuge, et la nostalgie joue ce rôle. Revoir un format comme Bref, ou la réactivation d’un mythe publicitaire par L’Oréal, ce sont des images rassurantes. On le voit partout : dans l’automobile avec la réédition de modèles, ou dans la mode. La nostalgie rassure parce qu’on connaît déjà ces codes. Les marques s’en servent car cela fonctionne très bien et permet parfois d’illustrer les progrès de la société en mettant en perspective le passé et le présent.
IN : le luxe aussi s’inscrit dans ce mouvement. Comment interpréter l’appropriation des récits culturels par des groupes comme LVMH, primé pour The Partnership That Changed Everything ?
A.T. : le luxe, dans son ensemble, joue aujourd’hui un rôle majeur dans cette hybridation entre communication et culture. C’est un secteur qui a toujours cherché à nourrir l’imaginaire collectif, mais qui s’appuie désormais sur des récits plus larges, plus universels. Et quand on regarde un acteur comme LVMH, on comprend pourquoi : ils disposent de budgets colossaux, une puissance de frappe financière qui leur permet de produire des formats extraordinaires.
Mais ce n’est pas seulement une question de moyens. Leur stratégie est d’intégrer leur influence dans le quotidien des gens, de montrer leur contribution au bien commun. De « prendre marque » au sein de la ville. La vraie question, désormais, c’est d’aller jusqu’au bout dans le produit pour que ces récits ne restent pas symboliques mais s’incarnent pleinement dans l’expérience vécue.
IN : ce brouillage des frontières ne risque-t-il pas de diluer le message de marque ?
A.T. : au contraire. Les marques ont compris qu’elles pouvaient investir les mêmes terrains que les producteurs culturels, avec des formats longs et ambitieux. Elles cherchent à générer des moments de communion avec leurs audiences et je trouve ça très naturel qu’elles le fassent autour de leur propre récit, en dépassant le simple format promotionnel.
INfluencia : vous parlez de la nécessité pour les annonceurs de « prendre marque » dans la ville. Chez Lumière, vous insistez d’ailleurs beaucoup sur l’événementiel local. Pourquoi est-il redevenu si stratégique ?
Adèle Tanguy : L’événementiel local connaît une vraie dynamique : festivals, manifestations sportives, animations de terrain… Ce n’est pas seulement une question de visibilité, mais aussi de réponse aux fractures sociales. Ces rendez-vous permettent aux entreprises de démontrer leur utilité, leur ancrage territorial et leur implication sociale.
L’ensemble de nos titres produisent plus de 500 événements par an, du Rose Festival à la fête de la châtaigne, en passant par la Braderie de Lille et de grands forums économiques. Nous agissons comme un facilitateur : soit en produisant nos propres événements avec les rédactions locales, soit en sponsorisant des manifestations existantes.
L’efficacité se mesure désormais en création de lien, d’appropriation locale et de confiance : 91 % des consommateurs disent qu’un événement de marque renforce leur confiance, et 74 % estiment que cela accroît leur préférence (EventTrack 2023).
IN : peut-on dire que le brand content devient une composante de la culture populaire au même titre que les séries ou la musique ?
A.T. : pour moi, oui, mais en réalité ça l’a toujours été. Comme la publicité classique, le brand content fait partie de la pop culture depuis longtemps. Il suffit de regarder certains visuels ou campagnes d’agences créatives : quand on les revoit des années plus tard, ils appartiennent déjà à l’histoire culturelle.
La différence aujourd’hui, c’est que la frontière est de plus en plus fine. On le voit avec les placements produits dans les séries : difficile parfois de distinguer ce qui relève de la communication et ce qui est de l’œuvre en elle-même.
Mais en parallèle, le public est devenu plus averti, plus capable de faire la différence entre pub et contenu artistique. Pour moi, le brand content est donc dans la pop culture depuis toujours. Et c’est marrant, parce que je le constate aussi dans mes équipes et autour de moi : c’est très tendance aujourd’hui de porter des t-shirts Ricard, des bobs Heineken, bref d’intégrer directement des références publicitaires dans son style.