11 juin 2025

Temps de lecture : 3 min

Stéphane Xiberras (BETC) : « La culture du consensus ne va pas avec nos métiers »

Lorsqu’on se demande ce qu’est « faire société », la pub est ce qui semble être au plus proche de la question : publicité, j’écris ton nom ! N’est-ce pas le métier le plus en vue, le plus visible par nature ? Alors, certes, son pouvoir est grand, mais elle marche sur le fil : elle doit être impactante, mais pas impitoyable, ce n’est pas Dallas. Ce n’est pas le reflet de la réalité non plus, la publicité est une forme de théâtre, nous fait remarquer le président et directeur de la création de l’agence la plus créative du monde BETC*, Stéphane Xiberras.
le président et directeur de la création de l’agence la plus créative du monde BETC*, Stéphane Xiberras.

Stéphane Xiberras, président et directeur de la création de l’agence la plus créative du monde BETC*

INfluencia : Dans cette société qui… ne fait pas société, peut-on encore parler de tout à tout le monde ?

Stéphane Xiberras : Tout dépend de quoi on parle. La culture du consensus ne va pas avec nos métiers. Énoncer des choses génériques n’a que peu d’intérêt et est quasiment contradictoire avec l’impact qu’on attend de notre travail. Sauf si le message est universel. Nous avons la chance de travailler pour Leclerc par exemple. Lorsqu’on doit défendre le pouvoir d’achat des Français, il est clair qu’on s’adresse à tout le monde et que ce n’est pas discutable. Donc cela dépend aussi évidemment des marques, certaines vont viser des cibles très larges, alors que d’autres vont s’adresser à une communauté plus « niche ». Et puis il faut avoir quelque chose à dire. Affirmer simplement « je suis très bon » ne déplace pas les foules. Et comme nous vivons à une époque où une marque a vite fait de se faire tacler dès qu’elle prend la parole, c’est devenu assez compliqué pour la pub. Si vous n’avez rien à dire, le mieux est parfois de s’abstenir de prendre la parole.

IN : Les résultats des derniers prix Effie montrent plus d’humour et de légèreté. Indispensable aujourd’hui pour rassurer et rassembler ?

S.X : C’est plutôt une bonne nouvelle en effet. « L’humour, c’est la politesse du désespoir*. » Il est indéniable que le fait d’utiliser une forme de dérision ou d’humour, plus ou moins noir selon les époques, aide. Mais cela peut être un cache-misère également parce que les gens qui n’ont rien à dire s’en sortent parfois avec des pirouettes. Et je pense que l’humour ne résout pas vraiment les problèmes si on n’y met pas du sens et du fond.

Il faut dire qu’on sort de communications tellement lourdes, tristes et soi-disant fondamentales – et on est allé un peu loin de ce côté-là – que ce n’est pas plus mal de revenir à une certaine forme de légèreté. Regardez les one-man-show. Dans un spectacle de stand-up, quelqu’un parle avec dérision d’un problème un peu grave, les enfants, l’inflation, les rapports hommes-femmes, l’âge, etc., ses sketchs abordent différents types de sujets à partir d’insights qui sont quasiment des insights de planneurs d’agence, et il ajoutent sa patte comique ou tragi-comique. Alors il touche tout le monde dans la salle. Ce sont peut-être finalement les stand-uppers qui comprennent le mieux la société aujourd’hui, comme Coluche autrefois, lorsqu’il parlait de sujets un peu lourds, par exemple du « mec normal, un Blanc quoi ». Cela touche les gens et peut les rapprocher, ne serait-ce que le temps d’un spectacle.

IN : La pub doit-elle jouer un rôle sociétal ou en tout cas, donner une image fidèle de la société ?

S.X : Il y a toujours une forme d’ambiguïté sur le rôle de la publicité. Certes, nous ne pouvons pas être complètement déconnectés de la réalité et nous avons un grand pouvoir de représentation –, par exemple dans les castings, ou en utilisant certains lieux, ou en montrant des façons de consommer, ou de se comporter. Mais notre objectif est de vendre une idée, un produit. Nous ne sommes pas là pour rendre compte d’une certaine forme de réalité. Sauf, bien sûr, quand on défend des causes ou quand on est sur des enjeux de santé publique. Mais il faut assumer le fait que la publicité soit une forme de théâtre, une mise en scène.

IN : Et les marques ? On entend dire de plus en plus qu’elles devraient jouer le rôle que les pouvoirs publics ne jouent plus et aider à faire société… 

S.X : Dans l’expression« faire société », il y a quand même un verbe qui est important, c’est celui de « faire ». Le sujet c’est de réparer le monde et c’est le travail minutieux de chacun. Les marques peuvent accompagner le mouvement, certaines sont capables de rassembler, comme les distributeurs ou les banques. Mais de façon plus globale, je ne crois pas que ce soit fondamentalement leur rôle, elles peuvent faire bouger les lignes dans leur périmètre, avec leurs salariés, dans leur propre industrie. Mais de là à dire qu’elles doivent être systématiquement en avance pour projeter la société dans une forme différente, je pense qu’on a poussé le bouchon un peu loin…

IN : Y a-t-il encore la place pour de grandes campagnes de communication, qui créent des mythes fédérateurs ?

S.X : J’ai constaté quelque chose d’assez symptomatique dans notre industrie : il y a de moins en moins de « signatures de marque », comme si, tout d’un coup, il y avait une difficulté à énoncer en quatre ou cinq mots une mission, un point de vue, une ligne éditoriale claire. Je comprends l’extrême difficulté de synthétiser un power point de 400 slides dans une phrase, particulièrement dans un monde aussi complexe, mais ceux qui y parviennent savent trouver une place dans la tête et dans le cœur des gens. N’est pas Dove qui veut

*Selon le prestigieux Warc (World Advertising Research Center), qui comptabilise tous les points des festivals créatifs internationaux.

** Quel qu’en soit l’auteur, Chris Marker, Oscar Wilde, Boris Vian ou Georges Duhamel.

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